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ENQUETE/Pollution de l’air / Incinération des drogues et produits prohibés saisis: Alerte, on nous drogue à petit feu !

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Le brûlage à l'air libre des drogues, stupéfiants est interdit par le code de l'environnement. (Ph : DR)
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Pour lutter contre la drogue et le trafic de produits pharmaceutiques prohibés, il est fréquemment procédé à « l’incinération » de ces produits en plein air. Cette façon de faire suscite des interrogations quant à son impact sur la qualité de l’air en Côte d’Ivoire.

L’actualité nationale est régulièrement rythmée par des informations sur « l’incinération » des drogues et autres produits médicaux frauduleux. La dernière opération en date remonte au 4 janvier 2024. Ce jour-là, rapporte l’Agence Ivoirienne de Presse (AIP), 94,334 kg de drogues, ainsi que des produits médicaux de qualité inférieure et falsifiés (PMQIF) et des cigarettes prohibées ont été brûlés à l’air libre à Daloa, par la cellule antidrogue de la Gendarmerie nationale, en présence du sous-préfet de ladite localité, Massouam Méïté, et du procureur de la République près le tribunal de première instance de la ville, Moussa Touré.                                                                                         

Ça brûle en plein air partout

Autre lieu, même réalité : le 06 novembre 2023, à Aboisso, ce sont 62,704 tonnes de produits médicaux de qualité inférieure et falsifiés qui ont été brûlés à l’air libre. On y trouvait des liqueurs en sachet, des médicaments, des produits éclaircissants, des insecticides et des sachets plastiques. Selon le site internet des douanes qui rapporte les faits, l’opération a été effectuée par la direction régionale des douanes d’Aboisso, après une ordonnance prise par le Président du Tribunal de Première instance de la commune et avec l’autorisation du Substitut du procureur de la République près la section du Tribunal de première instance d’Aboisso, Sonté Rosine et du Secrétaire général de préfecture, représentant le préfet de région du Sud-Comoé, Honoré Gueu GuiéEt en présence du Directeur régional de l’Environnement, du Développement Durable et de la Transition Écologique du Sud Comoé, Ehui Germain. Celui-ci, rapporte l’article, a souligné que de nouvelles mesures en matière d’incinération des produits dangereux doivent être envisagées, afin de préserver la couche d’ozone et les autres composantes de l’atmosphère.

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Le 23 mai 2023 à Man, la direction de la Police des stupéfiants et des drogues (DPSD) a procédé à « l’incinération » de 3,5 tonnes de drogues et produits pharmaceutiques de qualité inférieure, rapporte le portail d’information abidjan.net. Au nombre des drogues saisies, de la cocaïne, de l’héroïne et du cannabis. Quant aux produits pharmaceutiques, ils étaient majoritairement constitués de Tramadol et Diazépam. Outre ces amphétamines, on notait la présence de cigarettes et médicaments contrefaits et non fabriqués sur le territoire national. Le brûlage s’est fait à l’air libre, en présence de la première responsable de la DPSD de Man, la commissaire Irma France Béou du substitut du procureur de la République près du Tribunal de première instance de Man, Célestin Diahi.

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On le voit donc, ces opérations de brûlage sont effectuées en plein air et sur toute l’étendue du territoire par trois entités régulièrement citées : les douanes, la cellule anti-drogue de la Gendarmerie, la Direction de la Police des stupéfiants et des drogues (DPSD). L’épandage des fumées qu’elles produisent ne constitue-t-il pas une pollution atmosphérique ? Ces fumées ne transportent-elles pas des substances et métaux lourds susceptibles d’impacter la qualité de l’air. Plus concrètement, n’engendrent-elles pas une consommation passive de drogue et, plus grave, ne provoquent-elles pas des maladies respiratoires ? Ceux qui procèdent à ces brûlages à l’air libre à répétition en sont-ils conscients au point de prendre certaines dispositions visant à éviter cette pollution environnementale ? C’est pour avoir des réponses à ces interrogations que nous nous sommes lancé sur les traces des auteurs de ces opérations.

Douanes, Gendarmerie, Police : Silence troublant

Photo d'illustration, Saisies de stupéfiants

Jointe par courrier le 9 février 2024 pour qu’une personne ressource nous entretienne sur le brûlage des drogues, stupéfiants et produits médicaux qu’elle saisit, la Direction des douanes n’a pas voulu nous en dire davantage sur ses opérations. Par courrier n°889/ MPB/DG/DCQP-2024, en date du 28 février 2024, elle nous a poliment éconduit en nous ramenant vers le ministère de l’Environnement, du Développement durable et de la Transition écologique. « Je note que les résultats de l’interview sont destinés à éclairer les populations sur l’impact de l’incinération desdits produits sur leur santé (…) Aussi voudrais-je vous prier de vouloir bien prendre l’attache du Ministère de l’Environnement, du Développement Durable et de la Transition écologique », nous ont-ils répondu.

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La même démarche a été effectuée en direction de la Gendarmerie nationale. Par courrier en date du 27 février 2024, adressé au Commandant Supérieur de la Gendarmerie, nous avons reconduit la même requête : échanger avec une personne ressource sur les opérations récurrentes de brûlage de drogues et stupéfiants auxquelles procède l’unité de lutte contre la drogue de la Gendarmerie. En réponse, le commandant Supérieur de la Gendarmerie, le Général de Corps d’Armée, Alexandre Apalo Touré, nous a orienté vers un interlocuteur. Par courrier n°01179/CSG/DOE du 29 février 2024, celui-ci écrivait : « J’ai l’honneur de bien vouloir prendre contact avec le Lieutenant-Colonel Fofana Aboubacar (contacts à l’appui, NDLR), Commandant le Groupe de Documentation et des Recherches (GDR) pour modalités pratiques ». Le jour suivant la réception du courrier, nous joignons par téléphone notre interlocuteur. Celui-ci nous renvoie à son tour au Capitaine Adou Ruth en prenant soin de nous communiquer son contact. Jointe à son tour, celle-ci nous demande de lui faire parvenir un questionnaire résumant nos préoccupations. Ce que nous faisons le 7 mars 2024, via un réseau social. Jointe quatre jours plus tard, via le même canal, elle nous répond : « J’ai transmis le questionnaire à ma hiérarchie. Je suis en attente ».

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Après plusieurs coups de fil durant le mois de mars, la même réponse nous est servie : « Je suis toujours en attente d’un retour de la part de ma hiérarchie ». Joint à nouveau à son tour par téléphone, le Lieutenant-Colonel Fofana Aboubacar nous ramenait sans cesse vers le Capitaine Ruth. Notre dernière tentative pour les joindre remonte au jeudi 4 avril. Sans davantage de succès.

Nos démarches en direction de la DPSP ne se révèleront pas plus fructueuses. Approchée dans ses locaux, sis à la Préfecture de police sur la route d’Abobo, l’administration nous a d’abord recommandé d’adresser un courrier à la Direction Générale de la Police, laquelle doit leur donner le OK, faute de quoi, la DPSD ne saurait donner suite à nos préoccupations. Nous adressons alors un courrier à la Direction Générale de la Police, le 27 février 2024. Ne recevant aucune réponse, nous nous rendons dans leurs locaux, sis à la Sureté au Plateau, à la mi-mars 2024. Le service courrier nous remet un bout de papier tout en nous informant que notre courrier, enregistré sous le n°724, a été transmis le 29 février à Direction Générale Adjointe, Chargée de la Police Judiciaire (DGA-CPJ).

La position du CIAPOL

Le même jour, nous nous rendons dans leurs bureaux sis à la Police Economique au Plateau. Là, le service courrier, nous apprend que notre courrier, enregistré sous le n°183/DGA-CPJ, a été transmis à la DPSD le 1er mars. Quelques jours plus tard, soit le mercredi 20 mars, nous nous y rendons. Nous sommes reçu par le Commissaire Gogoua Maxime, sous-directeur de la DPSD, en compagnie de trois de ses collaborateurs. Après l’avoir informé des raisons de notre présence, il promet de se prêter à nos questions après avoir recueilli nos préoccupations (un questionnaire lui a été remis), à condition de recevoir des instructions claires de sa hiérarchie. Sur ces entrefaites, il sort joindre par téléphone la Directrice de la DPSD en congé. À son retour, il nous informe que, dans le courrier transmis à la DPSD par la DGA-CJP, il est mentionné : « Pour examen ». Par expérience, confie-t-il, cette formule signifie que la suite à donner au courrier est laissée à son appréciation. Il prend soin d’ajouter qu’il y a peu de chance que nous ayons une suite favorable. Il nous conseille néanmoins de l’appeler le vendredi suivant, soit le 22 mars. Ce que nous faisons. « Je suis toujours en attente des instructions de ma hiérarchie ». Une semaine plus tard, nous le rappelons : toujours la même réponse.

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Dans la même veine, des courriers ont été adressés le 27 février au Ministre d’État, ministre de la Défense et au ministre de la Sécurité et de l’Intérieur. Aucune réponse de la part du ministère de la Défense. Quant au ministère de la Sécurité, il nous a répondu plus d’un mois plus tard, par la voix de sa direction de la communication ; laquelle, pour toute réponse, nous a renvoyé vers le ministère de l’Environnement, du Développement durable et de la Transition écologique. Face à ce qui s’apparente à de l’omerta, nous décidons de nous orienter vers le Centre Antipollution (CIAPOL) et son ministère de tutelle.

Par courrier en date du 05 mars 2024, nous saisissons donc le ministre en charge du maroquin de l’Environnement, du Développement durable et de la Transition écologique, pour lui soumettre nos préoccupations résumées dans un questionnaire à lui adressé. N’ayant pas de suite, plusieurs semaines après, nous nous rendons dans les locaux dudit ministère, sis au 4e étage de la Tour A au Plateau. Nous sommes orienté vers la Direction de la Communication, laquelle nous recommande de prendre langue avec le Centre Antipollution (CIAPOL). Lequel a accepté de nous recevoir quelques jours après pour nous entretenir sur le sujet (Voir encadré). Cliquer ici pour lire l'interview Le DG du CIAPOL, Yapo Ossey Bernard : « C’est dangereux et puni par le code l’environnement »

 

Assane Niada

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