- « J’ai failli me suicider »
- « J’ai accouché de jumeaux dans les rues en pleine pluie »
Vous avez été violentée par votre homme. Que s’est-il passé concrètement ?
J’étais mariée coutumièrement à mon cousin. Suite à une vérité que je lui ai révélée à propos de ma santé, il n’a pas accepté la situation. Il a jugé bon de me fuir un bon matin. Deux jours après, je suis tombée malade et je me suis rendue à l’hôpital. C’est là-bas que j’ai appris que j’étais enceinte. Quand je l’ai appelé pour l’informer, il m’a dit qu’il n’en avait rien à foutre et voulait refaire sa vie ailleurs. Mon magasin de coiffure ayant été cassé au moment où la mairie demandait à ceux qui occupaient les bordures de route de dégager, je n’avais plus les ressources pour payer la maison où mon mari m’a abandonnée. C’est comme ça que je me suis retrouvée dans la rue.
Vous n’avez pas de parents vers qui vous auriez pu retourner ?
Si. Quand je leur ai révélé la vérité sur mon état de santé, eux également m’ont rejetée. Je me suis sentie perdue ; je n’avais plus d’espoir. Comment m’en sortir alors que je portais une grossesse ? J’ai d’abord acheté des médicaments pour faire passer la grossesse, mais rien n’y fit. Puis j’ai tenté de me suicider. Laissée pour compte dans la rue, j’ai commencé à vendre du poisson à Vridi pour survivre, grâce au soutien que m’ont apporté certaines personnes.
Aujourd’hui, vous portez des jumeaux encore bébés. Comment avez-vous traversé l’étape de l’accouchement alors que vous étiez dans la rue ?
Quand j’étais allée faire ma troisième consultation, on m’a dit que la grossesse était à risque parce que le cordon ombilical s’était enroulé autour du cou de l’un des fœtus. Mais Dieu aidant, j’ai donné naissance à ces jumeaux à Vridi, en pleine rue, sous une pluie battante, dans une cabane. C’était le 30 octobre 2022.
Dans la rue ?
Oui, j’étais toute seule sous un apatam, dans la rue. Ce jour-là, il pleuvait fortement. J’ai appelé à l’aide mais il n’y avait personne. J’ai accouché le premier autour de 21h30 et le deuxième quelques minutes après. Lui, il est sorti avec le cordon enroulé autour du cou. Le premier a commencé à pleurer à peine sorti. Le second, lui, avait du mal à pleurer, le cordon ombilical l’empêchant de respirer. Ils étaient tout petits. Je criais péniblement à l’aide, vu que je saignais beaucoup. J’étais couchée sur le dos et le sang était arrivé jusque sous ma tête. La seule femme qui était de passage, m’a vue mais n’a rien pu faire pour moi. Elle est allée plutôt appeler une sage-femme dans un hôpital non loin de là. Mais celle-ci lui a dit qu’elle ne pouvait pas abandonner les femmes en travail dont elle s’occupait. C’est une heure après que j’ai accouché qu’elle est venue. C’est ainsi qu’on m’a emmenée à l’hôpital. Quatre jours après, j’ai été transférée ici (au Centre d’hébergement SOS EJA de Koumassi, NDLR).
Comment s’est fait votre prise en charge et celle de vos jumeaux à votre arrivée au Centre d’hébergement SOS EJA ?
Quand je suis arrivée ici, il n’y avait que deux hommes et une dame. La dame a dit qu’elle ne pouvait rien faire pour les bébés parce qu’ils étaient trop petits. Elle disait qu’elle avait peur. J’étais donc obligée d’allaiter les enfants. Un matin, je me suis écroulée. On m’a transportée d’urgence au CHU de Treichville et après je suis revenue au Centre ici. Mais les jours suivants, je transpirais à grosses gouttes. Je me sentais mal dans ma peau. Or, je faisais une hémorragie interne sans le savoir. Je me vidais de mon sang comme pendant l’accouchement. Quand je mettais un pagne pour retenir le sang, il était aussitôt trempé. J’ai dû demander à retourner à l’hôpital. C’est M. Jean Louis (Un bénévole qui fait officie d’intendant du Centre SOS EJA, NDLR), qui a pris le peu d’argent qu’il avait sur lui pour m’accompagner au CHU de Treichville. Là-bas, ils ont essayé d’arrêter le sang. Mais une fois de retour au Centre, le sang a continué à couler. On a dû repartir à l’hôpital général de Port-Bouët.
Est-ce que vous avez retrouvé la santé après ce dernier tour à l’hôpital ?
Non. Le sang a continué à couler après que les sages-femmes de l’hôpital de Port-Bouët m’ont nettoyée et installée sur un lit. Pour arrêter l’hémorragie, elles ont utilisé un paquet de couches qui ont été vite gorgées de sang. Elles m’ont alors mis un médicament sur la langue et m’ont fait une injection. J’ai commencé à voir tout noir. Et je suis tombée de mon lit. Tout le monde pensait que j’allais mourir. Il a fallu que le président fondateur de l’ONG SOS EJA, M. Vako, dépêche d’urgence le médecin-chef de l’hôpital à mon chevet. Ils m’ont alors fait un lavement du ventre. C’était douloureux ! Finalement, je suis revenue à moi. Mais j’avais perdu tellement de sang qu’il fallait qu’on me fasse d’urgence une transfusion sanguine. On me disait que mon état nécessitait quatre poches de sang. Comme je n’arrivais pas à m’occuper de mes jumeaux, nés il y a seulement quelques jours, ils ont été placés tout ce temps-là sous une couveuse. Finalement, mes enfants et moi avons pu nous en sortir.
Comment se portent aujourd’hui vos jumeaux ?
Je peux dire qu’ils vont relativement bien aujourd’hui. Je ne les allaite pas à cause de mon état de santé. Ils sont nourris au lait artificiel mais ce n’est pas toujours facile. Vu que je n’ai pas les ressources, je les nourrissais au lait maternel au début mais on m’a dit qu’ils courraient un risque donc j’ai dû arrêter pour opter pour le lait artificiel. Mais je n’ai pas assez de moyen pour acheter ces boites de lait. Je me débrouille avec ce que j’ai. Il m’arrive par exemple d’acheter le lait de boutique pour leur donner. Si j’ai pu avoir un petit fonds, je vais reprendre un petit commerce pour m’occuper de mes enfants.
Que retenez-vous de toute cette expérience douloureuse ?
Je conseille à toutes les filles et plus généralement à toute personne qui a le Vih comme moi de ne pas s’apitoyer sur son sort. Il est vrai que ce n’est pas facile au début mais on peut vivre avec en prenant ses précautions. Si une personne que vous aimez ne veut pas de vous parce que vous lui avez dit la vérité sur votre état de santé, dites-lui merci car elle vient de vous libérer. Car si elle reste avec vous, c’est elle qui va vous tuer et non cette maladie. J’ai été battue et abandonnée par mon homme quand je lui ai révélé la vérité sur ma santé. Mais j’exhorte tous ceux qui sont dans mon cas à prendre courage, à garder espoir.
Réalisée par Assane Niada