Société

CMU : Donatien Robé, expert en couverture santé : « Les seules cotisations sociales ne sont pas suffisantes »

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Donatien Robé a exposé ses pistes de solutions.
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Expert en Couverture santé, Donatien Robé explique les raisons pour lesquelles la Couverture maladie universelle (CMU) ne décolle pas comme il faut. Dans cet entretien, il propose des pistes de solutions pour la vitalité du projet.

Vous êtes spécialiste des questions de mutualité en matière de la santé. Pouvez vous nous définir la notion de Couverture maladie universelle ? 

-L’assurance maladie est un système de prépaiement des soins qui permet à l’assuré de se prémunir contre le risque maladie. En termes plus simples, l’assurance maladie vous permet de payer une cotisation dans une caisse, et quand vous êtes malade, cette caisse supporte entièrement ou partiellement les frais liés à vos soins. Je rappelle que le prépaiement s’oppose au paiement direct. 

En Côte d’Ivoire, depuis plus de 5 ans, ce projet a été lancé. Quel jugement portez vous sur la CMU ? 

La CMU est un système dont ont besoin les Ivoiriens. Je rappelle que l’assurance maladie est le moyen de financement de la santé le plus efficace dans le monde en termes d’accès des populations aux soins de santé. Toutes les statistiques de L’OMS le disent. Tous les grands pays du monde ont adopté ce système. Il faut donc saluer le fait que le gouvernement veuille le faire en Côte d’Ivoire. Sous Laurent Gbagbo, l’assurance maladie était déjà une option pour le gouvernement. J’espère qu’on y arrivera malgré les difficultés. 

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Le débat se situe au niveau de l'approvisionnement des hôpitaux en médicaments et le rejet, par des hôpitaux du projet. Quels peuvent être les freins à la mise en œuvre d'un tel projet ? 

On a l’habitude de dire que le nerf de la guerre, c’est l’argent. Un projet doit être financé. Et il appartient au gouvernement de garantir le financement de la CMU. La question essentielle est de savoir si les bons choix ont été faits pour permettre à la CMU d’avoir un bon financement afin de prendre en charge les Ivoiriens. Depuis que le débat sur la CMU a commencé, je vois que certains accusent la CNAM de mauvaise gestion, de mauvaise communication, d’autres pointent du doigt le caractère obligatoire. Le problème de la CMU est le financement. Il n’est pas suffisant. La Côte d’Ivoire a fait le choix des seules cotisations sociales pour la financer. Il se trouve que ce mode de financement n’est plus efficace en raison de la hausse des dépenses de santé dans le monde et du caractère universel. D’ailleurs aucun pays ne le fait. Tous les experts vous le diront. Le gouvernement en est conscient. Il rationne donc les soins pour éviter le déficit qu’ont connu de nombreux pays. Je résume l’attitude du gouvernement : il souhaite que la CMU soit un projet qui impacte positivement la vie des Ivoiriens, mais a peur que cela engendre des dépenses insupportables. 

Le mode de financement du projet, dites-vous, est insuffisant. Ce qui sous-entend qu’il y a d’autres modes de financement ? 

À mon avis, il faut innover en jouant sur le financement et la gestion du risque maladie pour une prise en charge de qualité et la maîtrise des dépenses. Cela veut dire qu’il faut adjoindre aux cotisations sociales, une taxe santé sur certains produits nocifs à la santé (alcool et tabac) et bien d’autres que ne consomment pas les pauvres et la classe moyenne inférieure. Il faut aussi revoir la gestion du risque maladie en sortant du système dépassé du ticket modérateur pour les soins primaires. J’ai envie de faire le pari que la CMU ne sera jamais efficace si son financement reste tel qu’il est. 

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En France, dans l’ensemble, le projet marche. Qu’est-ce qui peut expliquer cela ?

Il n’y pas que la France. L’Allemagne réussit formidablement bien. L’Allemagne a réussi en jouant sur les deux leviers : financement optimal et maîtrise des dépenses. Le Ghana n’est pas loin. Le Gabon utilise les taxes sur la téléphonie mobile. En France, le paquet de cigarette coûte aujourd’hui près de 10 euros. Le surplus sert à financer l’assurance maladie. Il y a encore des problèmes dans le système français, mais la solution de la taxe permet au système de tenir la route.

Quelles peuvent être les faiblesses d'un tel projet ?

L’assurance maladie est exposée à plusieurs risques majeurs : l’aléa ou risque moral qui s’explique par le fait que les populations surconsomment les soins parce qu’ils sont moins coûteux, la demande induite qui s’explique par le fait que des professionnels de santé qui verront en l’assurance maladie une source intarissable de revenus poussent la population à surconsommer les soins. Pour l’instant, la CMU n’est pas exposée à la demande induite, les hôpitaux privés étant exclus de l’offre de soins. Mais cette exclusion laisse moins de choix aux assurés. Ça c’est un autre problème. Il y a aussi la fraude, la Côte d’Ivoire étant un pays d’immigration importante. On peut craindre l’immigration pour des raisons de soins. Ce n’est pas de la xénophobie mais c’est un risque majeur du fait de l’ouverture de notre pays. Voyez-vous, si la CMU n’est pas abondamment financé, elle risque d’être une mauvaise expérience pour la Côte d’Ivoire avec tous ces risques. Ça serait triste pour les Ivoiriens et pour nous autres qui militons pour l’assurance maladie en Côte d’Ivoire. 

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Que faut il faire en Côte d’Ivoire pour faire décoller véritablement ce projet ?

Je l’ai implicitement dit. Il faut réformer. Si après 8 ans, la CMU ne décolle pas, c’est que quelque chose ne marche pas bien. Pourtant, le gouvernement a eu une excellente idée d’opter pour ce projet. Il faut donc de l’intelligence, de l’imagination pour réformer et avancer. Les Ivoiriens en ont besoin. Je voudrais dire que si le président Ouattara réussit la CMU, il sera le président de la République que les Ivoiriens n'oublieront pas de si tôt, car la maladie cause la tristesse, la désolation dans toutes les familles.

Entretien réalisé par Yacouba DOUMBIA 

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