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DOSSIER/  Consommation de chicha : Ces graves dangers qui guettent les jeunes

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De plus en plus d’espaces de loisir de la place offrent la possibilité aux jeunes de fumer la chicha. Et pourtant, cette sorte de tabagisme n’est pas sans conséquences dévastatrices sur la santé.

Chanelle, 17 ans et élève en classe de 2nde dans un lycée de la place, est une cheminée. « C’est la magie ! Un anniversaire sans chicha n’est pas un anniversaire », s’exclame-t-elle. Selon la jeune fille, la chicha est toujours au menu lorsqu’on veut organiser le charter. « Mes amis le savent. Si tu organises une fête ou un «charter» sans la chicha, tu as échoué. Il faut d’abord penser à ça et à la boisson. Le reste vient compléter. Quand je fume ça, je me sens bien. C’est trop bon ! », ajoute-t-elle.

Comme Chanelle, de nombreux jeunes des communes du district d’Abidjan, s’y adonnent à cœur joie dans les snacks bars, même dans les domiciles et dans les terrasses à Abidjan. D’origine magrébine, la chicha, appelée encore narguilé ou hooka, selon la région du monde où l’on se trouve, est une pipe à eau de taille variée, destinée principalement à fumer du tabac ou de l’essence de fruits. Elle est populaire dans plusieurs régions du monde. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), elle serait fumée quotidiennement par plus de 100 millions de personnes, principalement par les plus jeunes (15-25 ans), lesquels la fument aussi lors d’occasions spéciales.

Selon le dernier bilan de l’Observatoire français des drogues et toxicomanies (OFDT), pour l’année 2018, les achats de tabac à chicha ont augmenté de 30 %. Elle se compose en général, de 28% de tabac, associés à 70% de mélasse (liquide sirupeux contenant 50% de sucre) et des arômes de fruits (fraise, pomme, noix de coco...) qui lui donnent ce côté acidulé et parfumé qui trompe les fumeurs. Une cinquantaine de bouffées de chicha, sur une durée moyenne d’une heure, est équivalente à deux paquets de cigarettes. C’est dire que la chicha est plus dangereuse que la cigarette, contrairement à ce qu’on pourrait croire. En effet, le monoxyde de carbone présent dans la fumée de la chicha est en quantité 7 fois supérieur à celui présent dans la fumée d’une cigarette. La fumée d’une chicha contient autant de pollution au monoxyde de carbone (CO) qu’environ 15 à 52 cigarettes et autant de goudron que 27 à 102 cigarettes. Sa teneur en chrome, cobalt, plomb et nickel est plus élevée que celle de la fumée de cigarette. De plus, un millilitre de fumée de narguilé contient plus d’un million de microparticules.

Un tueur silencieux

« La consommation du tabac et de la chicha peut donner toutes sortes de maladie, à partir du moment où ces produits affaiblissent le système immunitaire qui est l’armée du corps humain. À partir de ce moment, lorsque vous atteignez un certain nombre de cigarettes ou un certain taux selon votre capacité à supporter, vous êtes exposé à toutes sortes de maladies pulmonaires, dermatologiques, virales et tout », fait savoir l’infirmier d’État, en service au CHU de Treichville, Kouassi Louis.

« Croire que fumer la chicha (narguilé) est plus sain que fumer des cigarettes, est une erreur. Au contraire, la fumée de la chicha est particulièrement toxique, y compris pour les fumeurs passifs », explique l’infirmier. « Comme toutes les fumées de substances organiques qui brûlent, celles de la chicha libèrent lors de la combustion, près de 4000 substances chimiques », poursuit-il.

On y trouve des métaux qui proviennent du tabac, du charbon ou encore de la feuille d’aluminium. Les risques sur la santé sont les mêmes que pour la consommation régulière de tabac, à savoir une augmentation des risques de cancers (en particulier du poumon, des lèvres, de la vessie et des voies aéro-digestives supérieures), de bronchites chroniques, et de problèmes cardiovasculaires.

La directrice du Centre national d’oncologie médicale et de radiothérapie Alassane Ouattara du CHU de Cocody, Pr Judith Didi-Kouko Coulibaly, assure que le tabac constitue la cause majeure de nombreux types de cancer. « Très souvent, on pense que les cancers liés au tabac, sont ceux du poumon ou de la gorge. Aujourd’hui, le tabac est associé au cancer de la vessie, au cancer du pancréas, au cancer du sein. Le tabac est associé au cancer du col de l’utérus. Vous voyez que le nombre de cancer associé au tabac ne fait qu’augmenter, ne fait que progresser et ça reste un véritable fléau, l’influence du tabac dans la santé des personnes en général », avait-elle confié au confrère de l’AIP.

« Les conséquences se font par le biais de produits qui sont dans la cigarette qu’on appelle la nicotine, le monoxyde de carbone. Sur le cœur, ces produits vont entraîner le fait que le cœur va battre plus vite. Un individu normal, quand son cœur bat, il ne le sens pas. Mais dès lors qu’on sent le cœur battre, soit c’est parce qu’il y a un dérèglement du rythme normal de battement du cœur ou il y a une accélération de ce rythme-là », explique le directeur de l’Institut de cardiologie d’Abidjan, Pr Euloge Kramoh Kouadio.

« Donc, lorsqu’on fume une cigarette, le rythme cardiaque va s’accélérer. Mais il y a en plus quand les artères deviennent étroites. Les artères, c’est là où circule le sang. Ces artères vont se rétrécir. Par leur rétrécissement et aussi par le fait que les battements soient accélérés, tous ces paramètres mis ensemble, vont faire que la pression artérielle va s’élever. On parle couramment de tension. Donc, cela fait qu’on va avoir la tension juste après avoir consommé la cigarette. Le tabagisme chronique va alors exposer à l’hypertension artérielle. Ce sont-là, les conséquences directes », ajoute le cardiologue. C’est sûrement pour toutes ces raisons que le gouvernement ivoirien a durci ses lois pour mieux lutter contre le tabagisme.

 La Côte d’Ivoire renforce son dispositif anti-tabac

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a lancé en 2021, une campagne mondiale d’un an pour la Journée mondiale sans tabac 2021, « S’engager à arrêter ». Cette campagne vise à soutenir, dans le monde entier, 100 millions de personnes qui tentent de renoncer au tabac. Elle contribuera à l’instauration d’environnement plus sain, propice à un arrêt du tabagisme.

« Le tabac est une cause majeure de décès, de maladie et d’appauvrissement partout dans le monde. L’épidémie du tabagisme est l’une des plus graves menaces n’ayant jamais pesé sur la santé publique mondiale et cette épidémie fait plus de huit millions de morts chaque année dans le monde et plus de sept millions d’entre ces morts, sont des consommateurs de tabac, d’anciens consommateurs et environ 1.200.000 non-fumeurs involontairement exposés à la fumée du tabac », avait expliqué le représentant pays de l’OMS en Côte d’Ivoire, Jean Marie Vianney Yaméogo, lors d’une conférence de presse.

L’État de Côte d’Ivoire a adopté en juillet 2019, une loi anti-tabac pour renforcer la lutte contre le tabagisme, plus spécifiquement, la consommation du tabac et les produits dérivés.

Dans sa déclaration du 31 mai 2021 à l’occasion de la journée mondiale sans tabac, le ministre de la Santé, de l’Hygiène publique et de la Couverture maladie universelle, Pierre N’Gou Dimba, a relevé qu’en Côte d’Ivoire, le tabagisme chez les jeunes, prend de l’ampleur depuis quelque temps. « Face à cette situation, le gouvernement est à pied d’œuvre pour apporter les solutions susceptibles d’inverser la tendance, à travers la mise en œuvre de la Convention Cadre de l’OMS pour la lutte antitabac. Ainsi, des actes notables ont été posés parmi lesquels, l’adoption et la promulgation de la loi relative à la lutte antitabac, l’organisation des campagnes de sensibilisation de masse visant prioritairement les jeunes », indique-t-il.

« Il faut ajouter à ces actions préventives, la promotion du sevrage tabagique qui s’est concrétisée par l’élaboration des directives pour la prise en charge des personnes dépendantes au tabac, la mise en service au sein du CHU de Cocody, d’une unité de sevrage tabagique qui est l’actuel centre de référence, le renforcement de capacités en matière de sevrage tabagique, de près de 300 agents de santé issus de toutes les régions sanitaires », a-t-il dit.

Sauver des vies en augmentant le prix du tabac

La taxation du tabac en Côte d’Ivoire est de 43%, en dessous du seuil fixé par la norme communautaire de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) qui indique une imposition des droits d’accise allant de 50% à 150%.

En Côte d’Ivoire, le tabac est régulièrement consommé par 14,6% de la population et est responsable de plus de 5000 décès par an. Lors de la commémoration de la 28e Journée mondiale sans tabac autour du thème « Augmenter les taxes sur le tabac », l’OMS a plaidé pour une augmentation de prix de 10% des produits du tabagisme qui entraînera, selon elle, une diminution de la consommation de 8% dans les pays en développement et l’augmentation du prix des cigarettes de 70% éviterait la mort de 114 millions de personnes dans le monde.

Pour endiguer ce fléau, le gouvernement ivoirien a depuis 2012, entrepris des initiatives qui sont entre autres : la prise de décret d’interdiction de fumer dans les lieux publics et les transports en commun, l’adoption de la Convention cadre pour la lutte antitabac de l’OMS (CCLAT-OMS) qui renferme des dispositions fondamentales visant à réduire l’offre et la demande de tabac.

Outre cela, une campagne de communication a été déployée. 20 panneaux publicitaires sur le décret d’interdiction de fumer dans les lieux publics et dans les transports en commun, aux abords des autoroutes, des boulevards et autres grandes voies publiques dans les dix communes d’Abidjan, et ce, pendant trois mois ont été.

Aussi, des équipes de volontaires sillonneront tout Abidjan pour une campagne de sensibilisation de proximité, quatre panneaux d’interdiction de fumer sont fixés aux entrées de l’Université Félix Houphouët-Boigny.

Elle a beau être une pipe à eau, la chicha demeure nocive et toxique. Dans le but de protéger les élèves qui sont fortement impliqués, il est recommandé de procéder à la fermeture des débits de boisson autour des établissements scolaires. En Côte d’Ivoire, aucune loi n’interdit spécifiquement la consommation de la chicha. La circulation de cet appareil étant à proscrire, les responsables sanitaires entendent monter un solide dossier scientifique qui faciliterait la prise de décision par le politique afin de faire évoluer le processus vers le vote d’une loi interdisant son importation et sa consommation sur le territoire national.

J.D

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