Société

Reportage/ Cocody : L'envers du décor

reportage-cocody-lenvers-du-decor
PARTAGEZ

Derrière les façades rutilantes des magasins qui bordent les artères « choco » de Cocody, sont cachées des réalités qui rappellent le quotidien des communes populeuses d’Abidjan. Comme le fard masque un visage défiguré. Immersion dans l’envers du décor de Cocody.

La commune de Cocody est généralement perçue comme une cité prestigieuse, aux rues aseptisées et bordées de magasins et édifices à la façade radieuse. Pourtant, sous ses dehors reluisants, se trouvent, en bien des endroits, des décors dignes de certains quartiers de Yopougon, Abobo, Treichville, Koumassi. De la Riviera 2 à Angré 8e Tranche, toujours les mêmes vergetures d’une commune qui tend à les cacher derrière des vitrines chics de magasins bordant les rues.

 

Cette dame qui vit d’ordures

Angré 8e Tranche, mercredi 16 mars 2022. Il est environ 16h. La voie allant de la station « Petro Ivoire » au terminus des bus 81 et 82, se présente sous ses airs aguichants, avec ses magasins, bureaux et pâtisseries au visage bling-bling. De l’autre côté de cette rue clean, un décor comme on en trouverait dans des communes moins huppées d’Abidjan. Sur la première rue, parallèle à la voie principale, une ceinture de tables et étals de vendeuses de nourritures, de cacahuètes, d’articles divers, de « petit café ». Ces petits commerces tapissent le mur d’une résidence d’apparence à l’abandon, en face de laquelle se trouve le terminus des bus 81/82. À l’angle de la rue, sur une table posée sous un arbre, sont exposés des médicaments traditionnels hétéroclites. Comme si on était dans une ruelle de Yopougon ou Treichville.

Toujours dans la même rue, dans le dos d’une station donnant sur la grande voie à l’aspect reluisant, se trouve un site déguerpi et isolé par une clôture en tôles. Tout le long de la clôture, dans le sens de la longueur, des immondices constituées majoritairement de sachets et bouteilles en plastiques. Une dame d’une quarantaine d’années, s’affaire à trier ces détritus pour en récolter des sachets et bouteilles à revendre. Vêtue d’un polo à rayures blanc-noir, un pagne défraichi noué à la hanche, dame Aminata nous confie vivre de ces déchets. Elle est de ceux que l’on range au nombre des invisibles, dont l’apparence peu reluisante et la misère sont recouvertes par la vie des premiers de cordée de Cocody.

En face de la clôture aux immondices, une trentaine de jeunes hommes sont occupés à jouer au damier et au poker, sous une bâche bleue. Debout ou assis, certains entourent les deux joueurs qui s’affrontent sur chacun trois damiers. Ici, les compétiteurs se font de l’argent : 1000 F par chaque séquence de jeu remportée. Tout à côté, sous la même bâche, d’autres jeunes s’adonnent au poker. Et toujours, cette tendance à la mise. Un spectacle qui n’est pas sans rappeler, une scène traditionnelle des cités Sicogi ou Sogefiha de Marcory, Koumassi ou Yopougon. « Comme il n’y a pas travail, on tue le temps en jouant au damier tout en gagnant un peu d’argent », nous fait savoir Franck, l’un de ces damistes.

Sur la ruelle suivante, la deuxième après la grande voie, trône une baraque qui tient lieu de salon de coiffure. Au flanc gauche de ce salon de fortune, est posé un sac rempli de cheveux et chiffons, déchets issus de l’activité du coiffeur. Qui, à cette heure de la journée, dort du sommeil du juste. Sur le prolongement de la même ruelle, un petit maquis aux allures de bistrot. À l’intérieur, on peut voir une dizaine de jeunes filles en uniforme bleu-blanc, autour de bouteilles d’alcool. Comme on en voit dans les rues de quartiers populeux.   

 

Des squatteurs maîtres des terrains non bâtis

 

Autre grande voie, même envers du décor. Cette fois, nous voilà sur le boulevard allant du pont communément appelé « pont Soro » au carrefour, connu sous l’appellation de « carrefour prière ». Nous sommes mercredi 22 mars 2022, peu après 12h. Ici aussi, la voie présente un aspect coquet avec une pâtisserie chic, le siège aux couleurs chatoyantes d’une société immobilière, un lavage connu sous le nom de Ferrari. Si la cité « Soleil 3 », située à gauche de la rue en venant du « pont Soro », semble tout aussi clean que le bouvard adjacent, ce n’est pas le cas du quartier situé du côté droit. Ici, ce qui marque le visiteur au regard inquisiteur, ce sont ces terrains non encore bâtis mais clôturés. Nous en avons dénombré une vingtaine. La caractéristique commune à la plupart d’entre eux, c’est qu’ils sont squattés par de petites gens. Celles-ci en font leur domicile et quelquefois, un restaurant de fortune.

Devant l’un de ces enclos, situé dans les environs du siège de l’Agence Nationale de Gestion des Déchets (ANAGED), notre regard est frappé par une grappe de taxis-compteurs en stationnement. Que peuvent bien faire une soixantaine de taxis en ce lieu ? La réponse nous est donnée par Ousmane, un chauffeur de taxi : « On vient acheter à manger dans la cour-là. On en profite pour causer et prier, avant de reprendre le volant ». À l’intérieur de la cour, plusieurs chauffeurs sont attablés sous une bâche en train de manger du riz. À quelques mètres, des jeunes filles s’affairent à servir du riz à des clients debout, devant deux grosses marmites. Pour 500 F CFA ou 1000 F CFA, chaque chauffeur en a pour son compte.

Les squatteurs qui occupent le terrain y ont bâti deux bicoques en bois : l’une plus grande à droite, quelques pas après le portail d’entrée, sur laquelle est juchée une parabole de télévision cryptée ; la deuxième à gauche, est moins grande et recouverte de plastique noir. À une dizaine de mètres, est posé un conteneur, en face duquel sont dressées des nattes sur lesquelles quelques personnes sont en train de prier. Comble de contraste, l’enclos est mitoyen à une résidence imposante et rutilante, servant d’espace événementiel : le Weddingham Palace.

À une cinquantaine de mètres de là, une autre famille de squatteurs exploite un terrain non bâti, ceinturé par une clôture.  L’enclos est mitoyen au mur étincelant du siège de la Plateforme Nationale de Réduction des Risques de Catastrophes (RCC). Ici aussi, les dames qui squattent l’espace, ont « bâti » des masures tenant lieu de chambres à coucher, toutes en bois de récupération. La grande chambre, située à droite en entrant dans la cour, est suivie d’un préau servant de salle à manger aux clients du restaurant de fortune qu’elles y tiennent. L’autre chambre, plus petite, est recouverte de plastique noir. Au pied de celle-ci, jonchent des vêtements d’enfant. À côté, se tient un box à l’intérieur duquel sont exposées des boissons fortes dans lesquelles sont macérées des racines.

 

Décor de ghetto à la Riviera 2

 

À l’extrême gauche, se trouve la cuisine où l’on aperçoit les marmites d’où est servi le plat de riz ou de foutou, vendu à 500 F CFA. Dans la cour, est disposée une table sur laquelle sont exposées des denrées alimentaires de première nécessité mises en vente. Un décor détonnant qui paraît décalé par rapport au voisinage et rappelle les bas quartiers des banlieues d’Abidjan.  

L’autre face de Cocody, c’est ce côté peu glorieux des quartiers situés de part et d’autre de la grande voie allant de l’échangeur de la Riviera 2 au marché d’Anono, en passant par le célèbre allocodrome. Ce mardi 15 mars 2022, aux alentours de 14h, la voie affiche un visage plutôt gai, avec ses banques, supermarchés et restaurants orientaux à la façade soignée. Et pourtant, derrière cet habillage clinquant, l’on découvre des réalités dignes des communes que certains habitants de Cocody regardent avec condescendance. Du côté gauche de la voie en venant de l’échangeur, l’on est saisi par ce décor de ghetto tout au long de la voie non bitumée, qui part du « carrefour SGBCI ». Box de vendeur de « petit café », étals de vendeuses d’articles divers et de denrées alimentaires, casses de vente de bric à broc entremêlés, atelier de menuiserie, atelier de ferronnier, hangar pour restaurant de fortune, bistrot de vente de « tchapalo » (boisson locale), tout un bazar où toutes ces échoppes cohabitent dans une proximité insalubre.

L’insalubrité, on la voit également sur les voies avec ces eaux usées et puantes qui ruissellent dans les ruelles. Ici, on trouve normal de verser de l’eau de lessive dans les rues. Plusieurs en sont d’ailleurs trempées. Il n’est pas rare non plus de voir des ruelles jonchées de sachets plastiques, de pneus rechapés, de gravats, de matelas usagés.

Sur notre chemin, nous rencontrons Siméon. Chapeau mexicain vissé sur la tête, en t-shirt et pantacourt défraîchis, il tient dans la main, un mégaphone qui hurle invariablement le même refrain en langue bambara : « billets déchirés, billets sales… ». Son activité consiste à échanger des billets abîmés, tâchés ou rendus rédhibitoires, contre des billets neufs. « Si vous me remettez un billet déchiré de 10 000 F CFA, je vous remets un billet de 5000 F CFA. Si c’est un billet de 5000 F CFA, je vous remets 2500 F CFA. Si vous me remettez 1000 F CFA, je vous donne 500 FCFA. Si c’est 500 F CFA, je vous donne 300 F CFA. J’échange les billets déchirés auprès des banques. Elles acceptent ces billets déchirés parce qu’elles ont leur pourcentage dessus. Malgré cela, je m’en sors », explique ce jeune homme, qui fait partie de ces petites gens qui vivotent à Cocody, comme on en voit au quotidien, dans des communes supposées être moins huppées.  

 

Assane Niada

 

Newsletter
Inscrivez-vous à notre lettre d'information

Inscrivez-vous et recevez chaque jour via email, nos actuaités à ne pas manquer !

Veuillez activer le javascript sur cette page pour pouvoir valider le formulaire