Société

Bohouo Kadele Vincent (Président d’IPADEMCI) : « Les personnes handicapées sont confrontées à de persistantes barrières »

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Chaque 3 décembre de l’année, est célébrée, la journée internationale des handicapés (JIPH). Sur le thème : « S’engager à bâtir une société plus inclusive où toutes et tous peuvent développer et mettre à profit leur capacité », les personnes handicapées de Côte d'Ivoire n'ont pas voulu manquer cette célébration. À travers plusieurs festivités, elles ont donné de la voix. Bohouo Kadele Vincent, président d’Inclusion des personnes amputées et déficientes monitrices de Côte d'Ivoire (IPADEMCI), parle de la situation de la personne handicapée.

 

 

Quelles sont les difficultés auxquelles sont confrontées au quotidien, les personnes en situation de handicap ?

Les personnes handicapées sont confrontées à des difficultés : préjugés, faible taux de scolarisation, notamment les personnes sourdes et non voyantes, chômage endémique, extrême pauvreté. Ces difficultés résultent des diverses barrières qui persistent dans la société. Ces barrières sont de divers ordres, entre autres, les barrières institutionnelles, les barrières environnementales et les barrières comportementales.

 

Quels sont les stéréotypes que vous entendez des autres citoyens au sujet des personnes handicapées ?

Les stéréotypes commencent déjà par les appellations qui sont utilisées pour désigner les personnes handicapées dans nos communautés. Par exemple, on désigne une personnes sourde muette par le vocable « bobo » ou un enfant IMC par « enfant toc toc » ou « enfant serpent ». Ce sont des dénominations à proscrire de notre langage. Il faut plutôt dire : personne sourde ; personne muette ; personne ayant une infirmité motrice et cérébrale, personne amputée ; personne aveugle… Comme vous avez pu le constater, il faut toujours utiliser le vocable « personne » qui est valorisant et rappelle à tous que la personne handicapée a des droits au même titre que tous. En effet, les droits sont rattachés à la personne et c’est cette personnalité qui avait longtemps été refusée à la personne handicapée. D’où les stéréotypes et autres mauvais traitements dont ils font l’objet.

 

Comment réagissez-vous à ces stéréotypes ?

Nous vivons cela bien souvent et on finit par s’habituer (rire).

Face aux stéréotypes, notre arme, c’est la sensibilisation. Nous conseillons à nos membres de ne pas tomber dans les palabres ou les injures. Garder son calme et faire comprendre aux auteurs de ces actes de l’importance de respecter les personnes handicapées, quand cela prend des proportions inquiétantes. L’IPADEMCI se tient disponible pour venir sensibiliser les auteurs des provocations.

 

Les personnes handicapées sont-elles l'objet de discrimination sur le marché de l’emploi ? Si oui, comment cela se manifeste-t-il ? Un cas pratique ...

Cette discrimination est réelle et les personnes handicapées la vivent au quotidien. Plusieurs de nos amis qui ont postulé sur des plateformes en ligne se sont vus rejetés, après les entretiens. Pourtant, ils étaient partis favoris. Moi-même, il y a quelques années, j’ai été écarté d’une opportunité, parce que la responsable de l’activité avait considéré que je ne pouvais pas porter le matériel destiné à remplir mes fonctions. Pourtant, il y aurait fallu effectuer de simples aménagements raisonnables pour me permettre d’y parvenir.

Certains amis qui travaillent continuent de subir la discrimination car, ils ne sont pas promus dans leurs services. Ils subissent des propos désobligeants et ne bénéficient pas des aménagements raisonnables pour leur permettre de bien remplir leurs fonctions.

 

L'on entend dire que de nombreuses personnes en situation de handicap n'ont pas le niveau pour le recrutement dérogatoire. Que répondez-vous à ces propos ?

Comme son appellation l’indique, le recrutement dérogatoire est une mesure exceptionnelle. Avant de dire si les bénéficiaires du recrutement dérogatoire ont le niveau ou pas, il faut mieux comprendre le processus de ce recrutement dit dérogatoire.

En effet, ce recrutement se fait par études de dossier. Les candidats ne passent pas de concours et sont affectés directement sans formations préalables. Bien souvent, c’est sur le terrain qu’ils apprennent à faire le travail. Cela peut donc laisser paraitre certaines lacunes dans les débuts de leurs prises de fonction. Mais, je crois au potentiel des personnes handicapées qui apprennent très vite et arrivent à combler ces lacunes.

 

De votre côté, comment votre collaboration avec vos collègues de travail se passe-t-elle ? Comment êtes-vous arrivé à vous imposer dans votre secteur d'activité ?

Tout se passe bien. J’ai des collègues formidables et j’essaie autant que possible de renforcer leurs capacités sur l’inclusion des personnes handicapées, afin de rendre un peu plus inclusif, notre cadre de travail chaque jour. J’ai des collègues assez réceptifs et je m’en réjouis.

 

De façon générale, que pensez-vous de la façon dont les personnes handicapées sont traitées sur leur lieu de travail ?

Il y a encore des barrières qui subsistent encore dans le milieu professionnel. Beaucoup de nos amis sont victimes de moqueries et de mépris, souvent de la part de certains collègues.

 

Au niveau des élèves et étudiants, quelles sont les difficultés récurrentes que les personnes handicapées rencontrent ?

Ayant été étudiant, je peux dire que les difficultés sont énormes. Bien souvent, les salles de classe ne sont pas accessibles. Il y a de plus en plus de personnes sourdes, muettes ou non voyantes qui accèdent à l’enseignement supérieur, mais le système éducatif n’est pas adapté à leurs besoins spécifiques.

 

Aujourd'hui, êtes-vous satisfait de ce que l'État fait pour une meilleure insertion professionnelle des personnes en situation de handicap ?

Le recrutement dérogatoire se tient régulièrement depuis quelques années avec l’attribution 200 places aux personnes handicapées. Aujourd’hui, ce sont plus de 1500 personnes handicapées qui en ont bénéficié et c’est à saluer. Mais l’État doit faire encore plus. Car, il y a des défis qui se présentent même aux fonctionnaires handicapées, notamment pour supporter les charges liées au handicap. L’accessibilité du cadre de travail et bien d’autres aménagements raisonnables. L’État doit aussi officialiser le recrutement des personnes handicapées à la fonction publique. Au niveau du secteur privé, il faut une effectivité de la loi sur le quota de recrutement, à savoir le « Décret n° 2018-456 du 9 mai 2018 relatif à l'emploi des personnes en situation de handicap dans le secteur privé ». Aussi, il faut aider ceux qui sont analphabètes à la réalisation d’AGR par la formation et l’accès à des financements.

 

De votre côté, en tant qu'association, que faites-vous de façon concrète ?

Notre organisation contribue au développement personnel des personnes handicapées et à la promotion des talents des personnes handicapées. À cet effet, nous avons lancé le Projet Handi Motivation, organisé plusieurs ateliers de développement personnel des personnes handicapées pour les inciter à sortir de leurs zones de confort, afin de saisir des opportunités. Nous faisons aussi du coaching dans le cadre de notre projet Peer Support pour aider les personnes handicapées à surmonter les barrières au niveau professionnel et dans la vie quotidienne.

 

 

Réalisée par Roxane Ouattara

 

Photo légendée : Bohouo Kadele Vincent, président d’IPADEMCI

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