Elle n'est ni ethniciste, ni personnaliste. Elle est aisée et naturelle dans un État multi-ethnique et multi-confessionnel quand la citoyenneté prévaut sur l'ethnicité et sur le communautarisme et quand un changement de gouvernement, du fait de cette prévalence, n'ouvre pas le danger politique absolu consistant en ce que des forces extrémistes s'emparent du pouvoir d'État, divisent intérieurement le peuple, provoquent le chaos politique et désintègrent la nation.
Dans les vieilles démocraties (la France en est une) des fronts républicains (l’Allemagne en offre l'exemple) se constituent à cet effet pour empêcher que l'alternance du pouvoir se fasse au profit des forces politiques extrémistes (l'extrême-droite et l'extrême-gauche). La solidité des institutions et la conscience de citoyenneté du peuple veillent à la tempérance du pouvoir et à sa limitation légale quand survient cette catastrophe politique. Notons pour commencer que l'opposition sénégalaise ne s'est jamais définie comme aile politique d'un mouvement de guerre de libération de peuples autochtones en lutte contre une invasion étrangère et une occupation de l'État par des étrangers.
Est-ce le cas en Côte d'Ivoire ? L'opposition ivoirienne se reconnaît-elle dans le consensus républicain et dans les valeurs démocratiques au rang desquelles figurent le principe d'alternance programmatique et sociétal du pouvoir ?
Avec quel programme économique, social et politique national alternatif, l'opposition ivoirienne et ses deux figures emblématiques que sont Monsieur Laurent Gbagbo et Monsieur Henri Konan Bédié entendent-ils diriger l'État ivoirien ?
La remobilisation des vieilles antiennes identitaires exclusionnistes d'épuration ethnique et confessionnelle, de réappropriation du foncier rural et du pouvoir d'État par de soi-disant autochtones n'appelle pas à une alternance démocratique du pouvoir, mais à sa restitution, au besoin par la guerre civile, aux soi-disant représentants lignagers autochtones des peuples du terroir. Ce n'est pas le cas au Sénégal (j'ai vécu durant 5 ans en ce pays et l'ai constaté de visu) où le débat politique est sociétal et centré sur le problème de la corruption et sur la problématique de la redistribution. Au plus fort de sa contestation contre le Président Macky Sall, Monsieur Ousmane Sonko n'a jamais appelé au renversement du Al Pulaar, du ressortissant d'une minorité ethnique qu'est Monsieur Macky Sall.
En Côte d'Ivoire la soi-disant "désobéissance civile" cachait un projet anti-démocratique d'ethno-nationalisme d'épuration et s'était aussitôt transformée en tribune de haine et d'appel à la chasse à l'étranger et à des Ivoiriens stigmatisés arbitrairement comme étrangers.
La soi-disant "désobéissance civile » contre le soi-disant 3ème mandat du Président Alassane Ouattara en Octobre 2020 fut motivée par un désir "d'alternance oligarchique et ethniciste" du pouvoir au profit de Monsieur Henri Konan Bédié qui reprit ses thématiques identitaires habituelles (une soi-disant invasion de la Côte d'Ivoire par des étrangers et un soi-disant appropriation du pouvoir d'État par ces étrangers) et appela à la guerre civile. L'alternance du pouvoir est facile dans un pays dont toute la classe politique est rassemblée dans le consensus républicain. Toute la classe politique sénégalaise est unie dans le consensus républicain. Elle est périlleuse dans un État multi-ethnique et multi-confessionnel en voie de construction nationale où sévissent encore des forces ethno-nationalistes qui menacent constamment de faire basculer le pays dans le chaos de la guerre civile (Cf le Rwanda) en accédant au pouvoir d'État. La lecture des problématiques électorales dans les États multi-ethniques et multi-confessionnels post-coloniaux doit se faire à partir d'une casuistique politique.
Dr Alexis Dieth, Professeur de philosophie