A propos de la radicalisation à l’islamisme, quelle est la situation dans le département de Kong ?
Oui, le phénomène de la radicalisation est présent dans la région. On le sait, ce sont les personnes économiquement faibles qui sont démarchées par ces terroristes. On leur propose des moyens pour les sortir de la pauvreté. On leur fait croire que ce qu’ils vont faire est noble. Et que s’il arrive qu’ils trouvent la mort, ils seraient morts dans le ''djihad''.
L’histoire de l’expansion de l’islam nous enseigne que ceux qui sont décédés au cours des guerres saintes, sont considérés comme des martyrs de l’islam. Ils sont morts dans le djihad.
Mais, ceux qui tuent et nous attaquent aujourd’hui, ne sont pas des djihadistes. Ce sont des terroristes. Je préfère qu’on les appelle terroristes. Parce ce que le djihad en islam est le combat noble qu’on fait pour l’islam. En islam, il ne s’agit ni de guerre, ni de combat physique. Par exemple, quand on arrive, par notre éclairage, à convaincre un non-musulman à adopter cette religion, on fait du djihad. Quand on trouve un toit pour permettre à des musulmans de faire la prière en toute sécurité, on dit que vous avez fait du djihad.
Vous me permettez de revenir sur le sens originel du djihad. Lorsque le prophète Mohammed conduisait le djihad, ce n’était pas pour attaquer des villages. A l’orée de chaque village, il envoyait des émissaires. Ces émissaires demandaient aux gens, quand ils ne sont ni musulmans, ni chrétiens, de réciter la shada ou la profession de foi. Et quand vous acceptez, ils passent. Mais quand vous refusez, les combats s’engagent. Mais cela ne se déroulait jamais dans les villages. Ces combats épargnaient les vieillards, les femmes et les enfants et les émissaires ne prenaient jamais les biens des gens. Depuis cette époque, il y avait déjà les principes des droits de l’hommes qui s’observaient.
Et le prophète Mohammed n’a jamais attaqué de chrétiens. Il les considérait comme des monothéistes. Ce sont eux qui l’ont accueilli à Médine.
Si cette interprétation péjorative du djihad continue de prospérer, n’est-ce pas la responsabilité des guides ou érudits religieux ?
Nos érudits ont toujours professé la version noble du djihad qui est le don de soi ou le don de quelque chose pour la protection de l’islam. Les quêtes organisées dans les mosquées sont également du djihad. Maintenant, le djihad a cessé d’être un combat physique, une guerre. On ne doit plus forcer personne à changer ses convictions religieuses. C’est pour cela que je dis que ceux qui se revendiquent du djihad en tuant leurs semblables, doivent être plutôt appelés terroristes. La ville même à laquelle ils se sont attaqués est Tombouctou. Tout le monde connait l’histoire de cette ville historique du Mali avec ses grands érudits qui ont fait le pèlerinage à la Mecque, à pied. Mais quand ces gens vont s’en prendre à cette ville, pour l’attaquer violemment, nous devons comprendre qu’ils cherchent autre chose. Pas l’islamisation.
Est-ce qu’on peut dire que leur combat est politique ?
Je ne le pense pas. Parce que la politique est faite pour quelque chose. Mais que revendiquent-ils ? On ne sait pas. Souvent, ils ne revendiquent même pas leurs attaques.
Mais qu’est-ce qui peut motiver ces agissements ?
C’est d’abord eux-mêmes. Ils veulent asseoir une certaine autorité dans une partie du monde, en misant sur les ressources de ces régions et en prenant également des otages qu’ils marchandent contre des rançons. Et pour vous dire que ce qu’ils font n’a rien à voir avec l’islam, c’est qu’ils vendent la drogue. Une pratique condamnée en islam. Cela ne peut passer que quand on terrorise les populations. C’est pourquoi, nous disons à la population de ne pas céder à la peur.
Quelles solutions proposez-vous pour en finir avec cette affaire dans la région ?
Je ne dirai pas pour en finir, mais pour plutôt réduire. Il faut que la population continue de garder le contact avec les forces de défense. Ici à Kong, il n’y a pas de blocus sur la ville. Pas de couvre-feu non plus. Nous demandons à la population d’informer toujours l’autorité sur tout ce qu’elle peut constater comme inhabituel, sans oublier les craintes qu’elle peut également ressentir.
Quel message pouvez-vous adresser au reste de la Côte d’Ivoire, à propos de ces attaques dans votre région ?
La première attaque terroriste en Côte d’Ivoire s’est déroulée à Grand-Bassam, en mars 2016. Ils ont eu le temps de traverser notre pays pour l’attaquer au niveau de son littoral.
Ce qu’ils exploitent dans notre région, c’est le parc de la Comoé, une forêt commune à aux trois pays, la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Burkina Faso. Ils ont utilisé ce canal pour entrer et attaquer nos militaires. C’est pourquoi, je salue la bravoure de ceux-ci.
Tenin Beh Ousmane