Politique

Contribution/Histoire de la politique africaine de la Republique Federale d’Allemagne (RFA)

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Selon les historiens, les premiers contacts entre l’Allemagne et le continent africain remontent aux années 1680. A cette époque, le Prince Électeur Frédéric-Guillaume de Brandebourg aussi appelé « Frédéric Le Grand », fonda un comptoir commercial dénommé « Großfriedrichsburg », du nom de son initiateur, dans la localité de Poquesso, sur la côte du territoire de l’actuel Ghana. Après cet épisode, les ambitions coloniales allemandes ne renaîtront qu’avec la fondation du 2ème Reich (1871-1918). Après s’être opposé de façon catégorique à la conquête coloniale en Afrique, le chancelier impérial Otto von Bismarck finira par  infléchir sa position sous le poids de la pression des sociétés et associations coloniales.

PAR LE PR LACINA YEO (*)

Ainsi, du 15 novembre 1884 au 26 février 1885, Bismarck accueille la Conférence de Berlin qui aura scellé la balkanisation de l‘Afrique. La défaite de l’Allemagne à l'issue de la première Guerre Mondiale (1914-1918) marquera la fin de l’empire colonial allemand. Après la capitulation de l‘Allemagne et la rétrocession de ses colonies aux vainqueurs, il est évident que  l’Afrique n’était plus  une priorité pour la politique étrangère allemande.

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A la fin de la Seconde guerre mondiale, l’Allemagne est divisée en deux Etats distincts: La République Fédérale d’Allemagne (RFA), créée officiellement le 23 mai 1949, d’obédience capitaliste et la République Démocratique allemande (RDA), créée le 07 octobre 1949 émanant du système communiste. Pour ces deux pays il s'agissait, dans le contexte d'une forte idéologisation de la vie internationale, de se créer en Afrique des zones de préférence politique, culturelle et économique.

 Compte tenu de la courte histoire commune et parfois douloureuse, le passé colonial épisodique de l’Allemagne en Afrique, la RFA et le continent « noir » semblent peu se connaître. Les objectifs de l'engagement allemand sur le continent africain n'ont pas toujours été clairement définis. Différents Ministères se disputent la définition d'une stratégie de politique africaine. L’Afrique subsaharienne a longtemps fait l’objet d’une politique allemande minimale. Aujourd’hui, l’Allemagne aurait pris un grand retard en Afrique par rapport à ses homologues européens (notamment la France et la Grande-Bretagne) ainsi qu’aux nouvelles puissances émergentes comme la Chine, l’Inde ou le Brésil. La présente contribution se propose d’entreprendre une logique explicative des évolutions et des permanences constatées dans les relations germano-africaines en l’occurrence de la politique africaine de la RFA à partir d'une analyse qualitative et quantitative d’éléments politiques, économiques et culturels.

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Les relations entre la RFA et l’Afrique se sont développées progressivement. Entre 1945 et 1975, la rivalité avec la RDA constitue l’alpha et l’oméga de la politique africaine de la RFA qui déploya tous les efforts pour s’implanter en Afrique.  Dans un climat de guerre froide, la RFA souhaitait lutter contre l’expansion de l’idéologie communiste amorcée par la République Démocratique d’Allemagne sur le continent africain. Dans un premier temps, la RFA noua des relations officielles avec les Etats africains « libres » (Afrique du Sud, Ethiopie, Liberia), ensuite avec les Etats des empires britannique et portugais (Kenya, Mozambique, Nigeria, etc.) et  enfin avec l’Afrique francophone à partir de 1955/1956.

N’étant pas concernée par le problème de la décolonisation, l’opinion publique en République fédérale d’Allemagne était favorable à une politique d’autodétermination et d’indépendance des Etats africains. Ainsi, à partir de l’année 1960, qualifiée d’«Afrika-Jahr » (l’« année de l’Afrique »), la République fédérale d’Allemagne établit des relations diplomatiques et commerciales avec la plupart des pays africains, nouvellement indépendants. Le premier voyage officiel d’un chancelier allemand en Afrique fut celui de Helmut Schmidt (1918-2015)  au Nigeria et en Zambie en 1978. Les visites officielles en Afrique ont été principalement réservées au Président fédéral ne disposant que de pouvoirs protocolaires (MOLT 1995:15 ).

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En 1960, la RFA mit en place l’Auswärtige Kulturpolitik, la politique culturelle étrangère, qui devient le troisième pilier de la politique étrangère allemande, derrière les domaines économique et diplomatique. L’objectif de cette politique culturelle qui comprend aussi bien le développement des arts à l’étranger, que la promotion de la langue, le dialogue interculturel ou encore le rôle de la religion à l’étranger, est de développer une image positive de l’Allemagne, image ternie par les deux Grandes Guerres. En 1961, les premiers instituts culturels Goethe ouvrent leurs portes à Accra et Yaoundé. La coalition SPD/FDP arrivée au pouvoir en 1968 confirmera l’importance des relations culturelles les glissant au cœur de sa politique africaine. (https://www.open-diplomacy.eu/blog/afrique-allemagne-sahel-abdallah, 02. 10. 22).

En octobre 1990, l’Allemagne recouvre son unité. La nouvelle réalité intérieure liée au contexte du nouvel ordre international de l'après-guerre froide, donne lieu à un réajustement de la politique africaine allemande. Pour l'Allemagne unie, l'intégration européenne apparaît au premier rang des priorités de politique extérieure.

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Au début des années 2000, conscient que les crises, liées au contexte de la guerre froide, peuvent aussi avoir des conséquences - directes et indirectes – sur l’Europe, voisine de l’Afrique, la République fédérale d’Allemagne affiche de plus en plus une certaine volonté de faire de l’Afrique un partenaire privilégié, d’où l’élaboration par le gouvernement fédéral d’une politique africaine plus active. En 2005 l’ancien président fédéral allemand, Horst Köhler, lançait une initiative baptisée «Partenariat avec l’Afrique» qui favorisa une coopération accrue entre la RFA, deuxième exportateur mondial, et l’Afrique, notamment dans les domaines du commerce, de l’énergie, de la culture et de la santé.

L’Allemagne veut désormais exploiter les potentialités de coopération avec l’Afrique dans un esprit d’un partenariat multiforme, fondé sur des principes et les valeurs de bonne gouvernance, de l'Etat de droit, de la démocratie et des droits de l’Homme.  Plusieurs éléments corroborent le changement de paradigme et de perspective dans la façon de présenter et de se représenter l’Afrique dans les textes officiels du gouvernement allemand. (POUYE, in: https://www.nzassa-revue.net/admin/img/paper/5.%20%20POUYE%20Aliou.pdf, 02. 10. 22.).

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La coopération allemande est très ancrée dans le multilatéralisme.  L’Allemagne finance de manière considérable les actions des acteurs multilatéraux comme l’Union Européenne, la Banque Mondiale et les Nations Unies. La présence de l’armée allemande au Mali où elle opère dans le cadre des Nations unies et de l’Union européenne, s’inscrit dans cette tradition de politique étrangère allemande, basée sur le multilatéralisme. L’Ex Chancelière Angela Merkel aura réussi à doter son pays d’un engagement militaire et antiterroriste marqué.

Le 14 novembre 1961, la RFA créa un ministère spécial dédié à  la coopération économique (Bundesministerium für wirtschaftliche Zusammenarbeit  (BMZ) dont le premier occupant est le ministre Walter Scheel. En 1993 ce ministère reçut l’additif „et le développement“. Les institutions fédérales, chargées de soutenir le gouvernement allemand dans la coopération internationale pour le développement durable dans les domaines économiques, techniques et financiers sont:

GIZ (Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit) [Agence allemande de coopération internationale pour le développement]. Fondée en 2011, elle fait suite à la GTZ (Gesellschaft für Technische Zusammenarbeit) [agence de coopération technique fondée en 1974].

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KfW (Kreditanstalt für Wiederaufbau) [Établissement de crédit pour la reconstruction], organisation créée en 1948.

Ces institutions ont contribué en grande partie à la mise en œuvre des différents projets de développement en Afrique.

En 16 années passées à la tête de l’Allemagne, l’Ex Chancelière Angela Merkel aura réussi à doter son pays d’une politique africaine associant plus d’investissements et une nette augmentation de l’aide publique au développement. Conscient du potentiel africain, Berlin ne veut plus laisser le terrain africain à ses concurrents. Les nombreuses visites de Merkel dans divers pays du continent (Mali, Niger, Kenya, Sénégal, Ghana, Nigeria) en témoignent bien. Le sens de ces visites est certes de parler de la lutte contre le terrorisme, d’immigration clandestine et d’aide au développement classique, mais elles ont également un fort accent économique. Au Sénégal par exemple, onze dirigeants d’entreprises spécialisées dans divers domaines d’activités (alimentation, consultance, énergie, machinerie, mines, etc.) faisaient partie de la délégation de la Chancelière. https://magazinedelafrique.com/african-business/lallemagne-de-retour-en-afrique/, 02. 10. 22).

En 2017, l’initiative « Compact avec l’Afrique » fut lancée sous la présidence allemande du G20, en vue de stimuler l’investissement en Afrique et ainsi approfondir le partenariat avec l'Afrique afin de créer de la prospérité. La vision impulsée par Merkel était de rendre les pays africains plus attractifs pour les investisseurs allemands, afin de favoriser leur émergence et ainsi réduire les flux migratoires.  (https://mondafrique.com/les-succes-dangela-merkel-en-afrique/, 02. 10. 2022).

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Après avoir été longtemps en retrait, pour des raisons historiques, sur les grands problèmes qui concernent le continent, la République fédérale d’Allemagne a, dans un premier temps, développé des relations politiques, économiques, mais surtout culturelles avec les Etats du continent africain. Depuis le tournant du millénaire, la République Fédérale d´Allemagne s´est employée à trouver une meilleure stratégie pour sa coopération avec l’Afrique. Si dans les différentes lignes directrices de la politique du gouvernement fédéral, l´Afrique est présentée, d’une part, comme un continent en plein essor, l’Allemagne reconnaît toutefois qu’il lui faut corriger cette image persistante d’une Afrique «nécessiteuse», synonyme de terre d’opprobre avec son cortège de guerres, de pauvreté, d’épidémies, de corruption et de catastrophes naturelles pour asseoir un partenariat d’égal à égal avec le continent. Malgré ses hésitations, l’Allemagne a tracé des lignes directrices de sa politique africaine. L’Afrique est de plus en plus perçue comme « un marché d’avenir », considérée comme un continent riche en opportunités eu égard à son potentiel politique, économique, démographique et culturel : « L’Afrique est notre voisin le plus proche », ainsi parla l’Ex Chancelière Angela Merkel dans un discours à la clôture du sommet du G20, tenu à Hambourg du 07 au 08 juillet 2017. Une métaphore qui traduit bien le changement de paradigme concernant la politique africaine de l’Allemagne, désormais désireuse d’avoir à l’instar des autres puissances et pays émergents son rôle à jouer dans un continent désormais objet de toutes les convoitises.Il n’est donc plus exact d’affirmer que l’intérêt allemand pour le continent africain est inexistant.

*Professeur de Littérature et de Civilisation allemandes

Chef du département d’allemand à l’Université Félix Houphouët-Boigny

Directeur-Fondateur du Centre d’Etudes et de Recherches Panafricaines et Globales (CERPAG)

Président-Fondateur de l’ONG INIDAF (Initiatives pour le Développement en Afrique)

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