Par le professeur Lacina Yeo (*)
Selon Peter Drucker : « le leader construit une organisation apprenante pour affronter le changement. Il se distingue par le sens du service et du partenariat, et crée dans un monde en ébullition permanente, une culture de valeurs ». Le leader doit incarner des qualités, avoir des capacités et des compétences qui le rendent capable de conduire de façon efficiente les peuples ou les organisations vers le succès. Il doit être doté d'une vision du futur ; il doit partager sa passion avec les autres. Il doit apparaître comme une marque déposée, une figure représentative à la laquelle on s’identifie. Le leader politique doit être innovateur, motivateur, un bâtisseur d’équipes, comprendre les besoins et les motivations des personnes qui se reconnaissent en lui et être capable d’anticiper en apprenant des erreurs des autres.
Un bon leader doit être stratège et habile politiquement
Un bon leader doit être stratège et habile politiquement. L’acteur politique efficace se distingue par sa capacité à faire usage des habiletés politiques en vue d’influencer favorablement, et de façon éthique, la collectivité. Il ne faut surtout pas associer « stratégies politiques » à des « intrigues » ou des manœuvres politiques « malveillantes ». Les jeux politiques sont une réalité incontournable dans la gestion des sociétés humaines. Être habile politiquement, c’est savoir comment créer des alliances et accroître son pouvoir afin de réaliser les projets qui sont les plus bénéfiques pour une communauté, une société, une institution, une organisation ou un collectif d’individus. Dans le cadre d’une étude sur les habiletés politiques, publiée dans le Journal of Leadership and Organizational Studies en 2012, il a été démontré que les personnes ayant de fortes habiletés politiques sont les meilleurs leaders. En effet, ces personnes savent influencer positivement les autres, se soucient d‘entretenir de meilleures relations tant avec leurs pairs qu’avec leurs supérieurs, sont plus performantes au travail, ont une meilleure compréhension des autres dont ils savent résoudre les problèmes et conflits, s’adaptent plus facilement aux situations nouvelles de façon à en tirer le meilleur parti possible, savent profiter des forces des autres et faire profiter aux autres de leurs propres forces .
Dans la mondialisation, le succès et les avancées des pays sont d’abord le succès de son leadership à relever correctement avec compétence les défis. Les échecs et les retards sont, de la même façon, interprétés comme des carences ou des faiblesses de leadership. La place de l’Afrique dans l’économie mondiale montre combien le leadership africain, en compétition scientifique, économique, technologique, financière, entrepreneuriale, juridique, sociale et politique avec le leadership mondial, a été défaillant. L’histoire récente de l’humanité montre comment les leaders africains ont été incapables d’enrichir l’Afrique comparée aux autres continents du monde. Beaucoup de leaders politiques africains ont été incapables d’« adopter des politiques de liberté qui permettent l’exploitation intelligente des ressources [naturelles], la création et la stimulation de valeurs et des normes intangibles propres aux sociétés ouvertes » (Koulibaly 2008 : 17).
Certains cadres des régions cherchent leur prestige et non le prestige de la région
Le manque caractérisé de vision, une des caractéristiques majeures d’un leadership efficace, est ce qui caractérise souvent les élites dirigeantes en Afrique. Le développement n’étant pas la motivation profonde de l’engagement politique de ces derniers, les bonnes volontés, capables de relever le défi du développement de leur région respective, sont ignorées ou même combattues : « Quand il y en a un qui a les moyens de construire une région, on l’empêche de le faire parce que s’il finit son nom sera loué dans la région (…) Certains cadres des régions cherchent leur prestige et non le prestige de la région. Ils empêchent les autres de le faire parce qu’ils estiment que s’ils les laissent travailler convenablement, ils leur voleront ‘la vedette’ » (Bléka 2013 : 71).
Le leadership africain doit immédiatement prendre les dispositions pour que cette posture honteuse pour les élites africaines change au plus tôt. Parce que l’Afrique a accusé un long retard par rapport aux autres continents, le développement doit y être au cœur de toute action politique. La qualité des leaders africains constitue donc un enjeu majeur. Selon Ban Ki-moon, actuel Sécrétaire Général de l’ONU : « Nous avons besoin de leadership politique local et mondial informé par la science ». En effet, «ailleurs, pour ceux qui veulent le développement, les chercheurs sont les super stars. L’entrée dans un endroit public du patron de Toyota au Japon provoque autant d’enthousiasme que tout autre tandis que le ministre passe plus inaperçu. D’ailleurs, les ministres de ces pays ne se font pas voir partout. » (Bleka 2013 : 117). Dans un monde en compétition permanente, où le capital naturel est limité, le facteur de différenciation est le capital humain ou capital intangible. Le capital intangible est immatériel. Il se compose d’une part du capital humain et de l’autre de la qualité des institutions, systèmes durables de règles sociales établies pour gouverner les interactions sociales. Le capital intangible se compose en partie du fruit de la formation, de l’éducation et du savoir-faire acquis par les populations de la nation. En outre, il faut y ajouter le capital social, c’est-à-dire la confiance qui règne entre les différentes composantes de la nation et leur capacité à travailler ensemble de façon coordonnée, avec un minimum d’effets pervers et de nuisances individuelles et collectives, dans le but de s’enrichir. Le capital intangible prend également en compte les données de la gouvernance.
Le facteur de succès de tout pays prospère, réside dans la qualité des hommes et en particulier de ceux qui le dirigent et leur capacité à adopter des politiques de liberté qui permettent l’exploitation intelligentes des ressources, la création et la stimulation de valeurs et des normes intangibles propres aux sociétés ouvertes.
Ce capital peut même aller jusqu’à pallier efficacement le manque total de richesses naturelles. C’est ce qui explique que des pays regorgeant des richesses naturelles et de matières premières comme la Côte d’Ivoire, le Cameroun, le Nigeria ou la République Démocratique du Congo soient aujourd’hui classés parmi les pays les plus pauvres et les moins avancés du monde, alors que le Japon ou la Suisse ne disposant d’aucune ressource pétrolière, minière ou agricole particulière, se retrouvent à un niveau de prospérité incomparable. (Koulibaly 2008 : 11).
Le leadership africain doit être capable d’instaurer et de maintenir une grande fluidité économique qui marquerait la capacité des pays africains à s’adapter aux changements de circonstances et d’environnement
Le leadership africain doit être capable d’instaurer et de maintenir une grande fluidité économique qui marquerait la capacité des pays africains à s’adapter aux changements de circonstances et d’environnement. Il doit montrer au reste du monde toute son habilité à absorber les adaptations productives dynamiques et faire preuve d’intelligence et d’ouverture aux nouvelles idées qui se diffusent (Cf. Le rayonnement international de la Côte d’Ivoire. Le leadership d’Alassane Ouattara, NEB 2015). Pourquoi la Côte d’Ivoire ne s’inspirerait-elle pas davantage des modèles étrangers les plus efficaces et éprouvés ou des expériences réussies ? Pourquoi ne pas prendre l’exemple sur « le Rwanda et le Botswana qui ont mis de l’ordre avec des actions très vigoureuses et appréciables » (Bleka 2013 : 221) ? L’exemple tunisien dont rend compte Venance Konan dans les lignes qui suivent, ne mérite-t-il pas d’être reproduit en Côte d’Ivoire ? : « J’ai visité la Tunisie à plusieurs reprises, lorsque Ben Ali était encore au pouvoir. Et l’une des choses qui m’avaient le plus frappé était la propreté des villes et les espaces verts. Chaque ville avait son boulevard de l’Environnement. Et l’on m’avait raconté que le maire de la ville d’Hammamet fut limogé un jour par le président Ben Ali, parce qu’il avait trouvé la ville sale. » (Fraternité Matin, 13. 06. 2016 : 3).
*Professeur de littérature et de civilisation allemandes à l’Université Félix Houphouët-Boigny. Chercheur associé à l’Université de Vechta (Allemagne) et à l’Université Witwatersrand de Johannesbourg (Afrique du Sud). Fondateur du Centre d’Etudes et de Recherches Panafricaines et Globales (CERPAG) et de l’ONG INIDAF (Initiatives pour le Développement en Afrique). Membre correspondant du programme UNESCO « Mémoire du monde » en Côte d’Ivoire.