Politique

8 mois après son retour au pays : Pourquoi Gbagbo retourne devant les évangéliques

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Le président du Parti des peuples africains-Côte d’Ivoire (PPA-CI) était ce dimanche, devant les fidèles de l’Eglise Protestante Baptiste Œuvres et Mission Internationale (EPBOMI) de Yopougon. Laurent Gbagbo, devenu catholique depuis le 20 juin 2021, est allé demander pardon à ses anciens coreligionnaires évangéliques.

 

Acte de contrition ? Marketing politique ?  Laurent Gbagbo était dimanche chez les évangéliques, plus précisément à l’Eglise Protestante Baptiste Œuvres et Mission Internationale (EPBOMI) de Yopougon. Cette rencontre serait rangée dans le lot des visites ordinaires, si l’ancien chef de l’État n’y avait pas tenu le discours qu’il a prononcé. Sur la base d’une compassion qu’il voulait exprimer aux fidèles de cette église, l’ancien président a habilement passé un message qui, du reste, est très toxique à la cohésion sociale et à la cohabitation pacifique sur cette terre de multiculturalité sociale et religieuse. Dans son discours, l’ancien président a utilisé un champ lexical qui est la suite logique du discours qu’il a tenu devant les populations de l’Ouest dans son village à Mama. La Côte d’Ivoire, on le sait, a frôlé le pire en 2010 par le fait du même Laurent Gbagbo qui a refusé de se plier au verdict des urnes. Voilà que seulement 8 mois après son retour en Côte d’Ivoire, l’ancien pensionnaire de la prison de Scheveningen a commencé à jouer sur son terrain de prédilection : diviser pour régner. « Ma première parole, c’est de dire Yako à l’Eglise évangélique. Yako ! Yako. Parce que quand j’ai été arrêté en avril 2011, certaines personnes, pas trop cultivées, ont estimé qu’il fallait attaquer et décimer les évangéliques, car pour elles, j’étais leur fruit et eux, étaient ma base. Donc, il fallait les attaquer. Il y a des pasteurs qui ont été tués, des églises vandalisées, même celle-ci. Il y a des églises sur lesquelles on a tiré des balles réelles (...) Au nom de ceux qui ont fait ça, je voudrais dire pardon à toute l’Eglise évangélique et lui demander de faire comme Jésus, de pardonner, non pas seulement en parole, mais dans les faits », a plaidé Laurent Gbagbo. Personne n’aurait trouvé à redire dans ce discours du président du PPA-CI, s’il ne contenait pas les germes d’un appel sibyllin à la haine religieuse. En disant qu’après lui, « des personnes pas trop cultivées ont estimé qu’il fallait attaquer et décimer l’Eglise évangélique », Laurent Gbagbo veut directement accuser le pouvoir actuel d’avoir voulu instaurer, sinon d’avoir instauré une guerre des religions en Côte d’Ivoire. Pourquoi utiliser les termes « attaquer » et « décimer l’église évangélique » dans une église et devant des fidèles ? Personne n’aurait trouvé également à redire si Laurent Gbagbo avait donné le nom d’une seule église qui a été fermée et dont les fidèles ont été décimés. En tenant un tel discours, l’ancien président ne fait qu’introduire à nouveau, la politique dans la maison de Dieu. Or, le fanatisme religieux, on le sait, peut déboucher sur des conséquences incalculables pour la paix dans un pays. Plus grave, l’ancien chef d’État qui a enfilé le costume d’homme politique, a demandé pardon pour des pasteurs qui ont été tués. Pour avoir eu à occuper la fonction la plus prestigieuse qui appelle à une certaine exemplarité au niveau de la conduite et dans les propos, Gbagbo aurait dû tourner au moins, la langue avant de faire cette sortie. Ce n’est un secret pour personne. Du temps de son pouvoir et pendant la crise post-électorale, la communauté musulmane a payé le plus lourd tribut aux affres de sa politique politicienne. Dans ce pays, des imams ont été tués, des rockets ont été tirés sur des mosquées, des mosquées ont été brûlées. Ce sont des faits graves pour lesquels Laurent Gbagbo n’aurait pas eu une compassion sélective. Quelle réaction le président du PPA-CI attend-il des musulmans en tenant ce genre de propos ? En un mot comme en mille, la Côte d’Ivoire revient de très loin. Des faits extrêmement graves ont été commis de part et d’autre dans ce pays. Ce pays qui veut conjurer ses vieux démons, ne peut pas se payer le luxe de retomber dans les travers du passé.

 

Marketing politique mal ficelé

 

Au-delà de ses propos dangereux et séditieux, Laurent Gbagbo qui demande pardon à l’Eglise évangélique, 8 mois après son retour au pays, veut corriger un impair qu’il a commis dès son retour au pays. Histoire de tenter de se racheter auprès des fidèles protestants et évangéliques en général, à qui il aura donné le sentiment de l’avoir soutenu pour rien. En effet, le 20 juin 2021, trois jours après son retour au pays, l’acquitté de la Cour pénale internationale (CPI) avait tourné le dos aux églises évangéliques. Avant de rendre publique, sa demande de divorce matrimonial d’avec son épouse Simone, elle-même fervente évangélique. Ce jour du 20 juin 2021, Laurent Gbagbo qui était redevenu (il a été baptisé dans le rite catholique pendant son enfance et, a même étudié au Petit séminaire de Gagnoa) catholique, avait même esquissé quelques pas de danse au son de la chorale de la cathédrale Saint-Paul d’Abidjan-Plateau…

À l’époque, bien d’observateurs avaient analysé cette (re)conversion au catholicisme comme une rupture de M. Gbagbo d’avec les églises évangéliques. « Je pense qu'il (Laurent Gbagbo) a conscience que le fait d'avoir suivi Simone Gbagbo dans le pentecôtisme évangélique, l'a conduit à une forme d'impasse politique et à des choses totalement aberrantes », analysait l’anthropologue, directeur d'études à l'EHESS, Jean Pierre Dozon. « En 2010, rappelait l’anthropologue, il a été battu à l'élection présidentielle face à Alassane Ouattara. Il a été soumis à l'influence spirituelle et politique de sa femme et d'un groupe de pasteurs évangéliques dont le pasteur Moïse Koré. Ces gens-là étaient partisans d'une ligne dure et jusqu’au-boutiste ».

Ce dimanche 13 février, Laurent Gbagbo n’est pas redevenu évangélique. Mais il a fait mentir tous ces analystes qui pensaient que l’ancien pensionnaire de la prison de Scheveningen avait changé de communauté religieuse par contrition. Le président du PPA-CI a montré dans son discours qu’il demeure « sous l’influence spirituelle » de cette église. D’ailleurs, l’ancien chef de l’État tente même d’expliquer, par des passages bibliques, l’impasse politique dans laquelle il avait entraîné son pays en 2011, faisant tuer plus de 3000 personnes, selon l’ONU. « C’est parce que je suis là aujourd’hui qu’on comprend. Donc, ceux qui ont été méchants avec les évangéliques, l’ont été en vain. » Dimanche, le catholique Laurent Gbagbo a tenté de remobiliser l’Eglise évangélique, mais de la plus mauvaise des manières…  

 

Ténin Bè Ousmane

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