Depuis son retour en Côte d’Ivoire le 17 juin 2021, Laurent Gbagbo met un point d’honneur à obtenir la libération des prisonniers, surtout militaires, de la crise postélectorale de 2010-2011. Pourtant, pour obtenir son acquittement devant la Cour pénale internationale, l’ancien chef de l’État a dû batailler pour démontrer que ses militaires, dans sa folie meurtrière, avaient agi seuls.
Laurent Gbagbo refuserait-il de se débarrasser de son sobriquet ‘’Le Boulanger d’Abidjan’’ ? Ce nom, on s’en souvient, lui avait été donné par feu le général Robert Gueï, à cause de la promptitude de l’opposant historique à tromper tout le monde, à dire et à se dédire, à composer avec ses adversaires lorsque les circonstances le dictent, quitte à tout nier l’instant d’après les accords conclus ! Cette fois-ci, c’est la Cour pénale internationale (CPI) qui l’apprend à ses dépens. Puisque l’ancien chef de l’État ivoirien a réussi à « rouler dans la farine », les juges de cette juridiction internationale qui ont fini par s’accorder sur son acquittement, au terme d’un procès pour crime contre l’humanité qui aura duré de près de 10 ans.
Gbagbo reconnait avoir donné des ordres
Depuis son retour en Côte d’Ivoire, l’ancien pensionnaire de la prison de Scheveningen qui espère se refaire une virginité politique, ne cesse de plaider pour la libération de ses partisans emprisonnés à la suite de cette crise qui a coûté la vie à plus de 3000 personnes, selon l’ONU. Laurent Gbagbo insiste sur la libération des militaires, en tenant un discours qui tranche totalement avec sa ligne de défense à la CPI. Lui qui a juré de n’avoir donné d’ordres à personne de commettre ses crimes, s’étonne, n’éprouve aucune gêne à se dédire à Abidjan ! « Que les militaires se mettent à la disposition du civil politique, ça, c’est depuis l’antiquité et c’est cette règle qui prévaut. Donc, le militaire qui est là, qui répond aux ordres du civil, tu arrêtes le civil, mais ça suffit. Mais tu arrêtes le militaire dont le rôle est d’obéir, ça ne signifie plus rien. Tu libères le civil et le militaire reste là-bas, pourquoi ? », s’est interrogé M. Gbagbo, le 22 novembre 2021, alors qu’il présidait les premiers travaux du secrétariat général de son nouveau parti politique, le Parti des peuples africains-Côte d’Ivoire (PPA-CI). Agacé par ces sorties, le gouvernement ivoirien, par la voix de son porte-parole, avait essayé de ramener l’homme à l’ordre. Mais le 2 décembre 2021, Laurent Gbagbo est revenu à la charge : « Si je suis dehors, pourquoi les militaires restent en prison ?» En liant sa libération à celle des militaires arrêtés pour la plupart, sur le théâtre des opérations, Laurent Gbagbo feint-il d’oublier que c’est en se désolidarisant de ses hommes en arme qu’il a pu obtenir son acquittement en février 2021.
La ligne de défense à la CPI
Faut-il rappeler que le 16 juillet 2019, la Chambre de première instance avait clairement expliqué qu’elle acquittait les accusés, parce que le procureur n'avait pas démontré que « les discours prononcés en public par Laurent Gbagbo ou Charles Blé Goudé étaient constitutifs du fait d'ordonner, solliciter ou encourager la commission des crimes allégués, ni que l'un ou l'autre des accusés a contribué en connaissance de cause ou intentionnellement, à la commission de tels crimes ». La chambre reprochait au procureur de n'avoir pas pu « démontrer qu'il existait un ‘‘plan commun’’ destiné à maintenir Laurent Gbagbo au pouvoir et comprenant la commission de crimes à l'encontre de civils ». Aussi les avocats de Laurent Gbagbo avaient-ils réussi à contester l’existence d’un plan, que Laurent Gbagbo aurait mis en œuvre avec ses proches, pour conserver le pouvoir « à tous prix ». Ceux qui ont suivi ce procès de bout en bout, se souviendront de cette posture de M. Gbagbo et ses avocats à nier toute sa responsabilité dans les crimes commis durant cette crise… C’est parce que le procureur n’a pas pu établir la preuve que c’est ‘‘le civil, le politique’’ Laurent Gbagbo qui donnait bien l’ordre aux militaires que l’ancien chef de l’État a pu se sortir d’affaire à la CPI pour ensuite, regagner son pays. Sinon, personne ne doute de la commission de crimes en Côte d’Ivoire. Et la responsabilité est abandonnée à la tête des exécutants qui ont été pris sur le théâtre des opérations. « Au cours de la folie meurtrière que notre pays a connue pendant la crise postélectorale, beaucoup d’horreurs ont été commises. C’était des crimes de sang assez graves », s’est indigné le porte-parole du gouvernement, Amadou Coulibaly, interrogé sur la question le 1er décembre 2021. Et après cette réaction du porte-parole du gouvernement qui a invité à plus de mesure et à penser aux victimes, l’ancien chef de l’État a réagi, le jeudi 2 décembre, en revendiquant clairement la qualité de donner d’ordre : « Normalement même, une fois qu’on m’arrête, on ne devrait pas arrêter les subordonnés. Puisque c’est moi le donneur d’ordres. C’est moi le chef de la Police(...) Mais si on estime que je ne suis coupable de rien, alors on les laisse partir à la maison ». L’aveu est sans équivoque. Ainsi, l’ancien chef de l’État serait-il en train de revendiquer qu’il est le commanditaire des crimes commis durant cette période. « M. Gbagbo doit savoir qu’en matière pénale, l’aveu est la reine des preuves », avait averti Amadou Coulibaly. Aussi, s’il est vrai que Laurent Gbagbo ne peut plus être jugé par la CPI après son acquittement, ses déclarations, ses aveux d’avoir été ‘‘le civil donneur d’ordres’’, pourraient le conduire vers un nouveau procès…
Ténin Bè Ousmane