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Interview/Bakary Ouattara, chef du village de Kong, à propos des attaques terroristes/ « Nous ne céderons pas à la peur »

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Dimanche matin du 23 mai 2021, le chef du village de Kong reçoit l’équipe de L’Avenir dans sa concession, sise au quartier Somagana de la ville historique. El Hadj Bakary Ouattara évoque la problématique du terrorisme dans le département qui partage une longue frontière avec le Burkina Faso voisin, aux prises quotidiennes avec ceux qui disent combattre au nom de l’islam.

Le lundi 29 mars dernier, les forces de défense et de sécurité installées dans la localité de Kafolo-Bac, ont été attaquées. Cela, moins d’un an après une première attaque qui avait coûté la vie à 14 militaires. Comment la population de Kong vit ces événements qui se déroulent à une soixantaine de kilomètres ?

Nous avons été tous choqués par la première attaque. Elle s’est déroulée tard dans la nuit, selon ce qui nous a été rapporté. Mais, nous n’avons pas été surpris, en réalité. On savait déjà qu’il y avait la menace de djihadistes entre la frontière du Burkina Faso et de la Côte d’Ivoire. Ce sont ces menaces qui avaient conduit nos forces de sécurité à installer un poste de défense au niveau du village de Kafolo. Cette attaque a été très sanglante. Le bilan était lourd, comme vous le relevez.  Mais, depuis la première attaque, toute la population du département de Kong est en alerte. Civils comme militaires, nous sommes en alerte, de jour comme de nuit.

Comment se manifeste cet état d’alerte au niveau des civils dont vous parlez ?

Nous avons tiré les leçons de la première attaque

Nous avons tiré les leçons de la première attaque. Les forces de sécurité ont renforcé leur base au niveau de Kafolo-Bac. En tant que civils, nous n’avons plus cessé de nous réunir dans les villages et de renforcer notre collaboration avec les militaires. Toutes les organisations de jeunesse et de femmes se sont mobilisées pour accentuer la collaboration avec les forces de l’ordre. Avant, on nous parlait d’un phénomène qui se passait loin de nous, mais désormais, nous le vivons.

Quelles sont les décisions concrètes que vous avez prises ou que vous continuez de prendre pendant ces réunions ?

Nous avons demandé à tous les propriétaires terriens du département de Kong de faire attention à ceux qu’ils reçoivent. Il a été demandé de faire un recensement de tous les éleveurs dans tous les villages du département. Cette opération se mène avec le ministère des Ressources halieutiques. Il est donc constitué un registre unique qui contient l’identité, photo à l’appui, de tous les bouviers qui suivent les animaux.  Ce travail est en cours et je peux vous dire que nous avons conduit l’opération à 90%.

À vous entendre, ce recensement ne semble concerner que les bouviers. Est-ce bien cela ?

À la première attaque de Kafolo-Bac, il y a eu un assaillant tué et un autre interpellé. Les deux appartenaient à la même communauté. À la deuxième attaque, nos forces de l’ordre ont riposté vigoureusement. Ceux qui ont été interpelés appartenaient à cette communauté…

Ces indices suffisent-ils à orienter les recensements vers cette communauté ?

Nous ne stigmatisons pas la communauté peuhl

Nous ne stigmatisons pas la communauté peuhl. Dans toutes les communautés, vous trouverez toujours des gens qui ont une mauvaise moralité. Ici, il a été établi que tous ceux qui ont été interpelés ou tués durant ces attaques, sont d’ethnie peulh et viennent du Burkina Faso ou du Mali. Mais, je précise que cela ne veut pas dire que tous les Peuls sont les complices des djihadistes. Généralement, quand les bouviers arrivent ici, ils vont vers les propriétaires terriens à qui ils demandent de la place pour installer leurs bœufs. C’est pourquoi, le préfet a recommandé cette opération de recensement qui se conduit très bien.

Depuis quand cette opération d’identification a été lancée dans le département ?

L’initiative a été lancée avant la première attaque de Kafolo.

Voulez-vous dire que des signes annonciateurs de la première attaque étaient perceptibles ?

Je ne peux pas répondre à cette question en tant que civil. Mais, le préfet du département avait déjà engagé cette opération de recensement de l’ensemble des bouviers et de ceux qui arrivent nouvellement.

Est-ce que cette situation n’a pas impacté la collaboration que vous avez avec les chefs des communautés peules ?

Cela ne devrait pas entacher nos relations. Nous avons tenu trois réunions à la préfecture et tous les chefs de communauté y ont été invités. Nous ne voulons pas stigmatiser une communauté, même pas la communauté peule. D’ailleurs, beaucoup d’entre eux vivent ici depuis belle lurette et ont tous leurs biens sur le territoire de Kong. Nous savons que la plupart de ceux qui conduisent ces opérations terroristes sont de cette communauté. Mais, nous savons aussi que ce n’est pas toute la communauté qui est concernée.

Aujourd’hui, toute personne qui arrive dans n’importe quel village du département de Kong, en véhicule comme à moto, doit être signalée au chef du village.

Il a été demandé à tout le monde de faire très attention aux étrangers qu’ils reçoivent maintenant. Aujourd’hui, toute personne qui arrive dans n’importe quel village du département de Kong, en véhicule comme à moto, doit être signalée au chef du village. Et, il revient à ce dernier de la conduire directement à la gendarmerie la plus proche ou de se rendre au check-point des forces de l’ordre le plus proche. Nous sommes un peuple accueillant. Mais, les attaques terroristes sont en train de changer cette attitude des populations. Quand vous accueillez des gens qui, par la suite, vous attaquent, cela appelle à la prudence.  Dans notre département, on assiste désormais à la méfiance entre les communautés.

La cohésion sociale entre les communautés n’est-elle pas ainsi fragilisée ?

Nous nous méfions de ceux qui arrivent nouvellement ici. Sinon, les populations et les autres communautés qui ont longtemps vécu ensemble, continuent d’entretenir de bonnes relations. Nous demandons à ceux qui reçoivent des parents venus du Burkina Faso ou du Mali de signaler leur présence dans le village. 

Depuis ces attaques, avez-vous le sentiment que les populations ont peur ?

Nous ne cédons pas à la peur. C’est en fait leur objectif, mais nous demandons à nos populations de ne pas céder à la peur. Ce serait faire leur affaire. Autant ils se préparent pour nous endeuiller, autant nous refusons de céder à la peur. Parce que si nous laissons ces gens s’installer dans un seul territoire de la Côte d’Ivoire, ce serait le drame permanent. Nous constatons leurs crimes dans d’autres pays. Nous ne voulons pas que cela arrive chez nous. Nous ne céderons pas à la peur.

Comment expliquez-vous ces incursions djihadistes dans votre département ?

Bolé est le dernier village ivoirien à la frontière avec le Burkina Faso. Ce village est à quelque cinq kilomètres de Kafolo-Bac. Après ce village, le prochain, Alidougou, est situé sur le territoire burkinabè. Ce village est une base des terroristes. Les deux villages ( Alidougou et Bolé) sont séparés d’un 1,5 km. Et, quand ils viennent pour nous attaquer, ils passent par la zone de la frontière où nos forces de sécurité ne peuvent pas accéder. Nous avons été heureux de voir que notre ministre de la Défense s’est rendu au Burkina Faso le 11 mai dernier, pour rencontrer son homologue. Nous appelons vivement à la collaboration entre les deux forces armées.

Tous ceux qui ont été interpelés étaient hébergés dans nos villages. Et leurs tuteurs ont été surpris de les voir dans ces opérations. Pourtant, le préfet du département a insisté sur le fait qu’il fallait se méfier des gens qu’on reçoit.

Aujourd’hui, à cause de ces attaques, il y a un déploiement intensif de soldats dans le département. Est-ce que cela n’effraie pas la population ?

Bien au contraire, cela nous rassure. Au départ, les populations ne comprenaient pas. Mais aujourd’hui, nous sommes ensemble.

Ce que nous demandons à nos populations, c’est de collaborer avec ces forces de sécurité

Ce que nous demandons à nos populations, c’est de collaborer avec ces forces de sécurité. Il s’agit de leur donner les informations pour mieux faire leur travail. Nous savons quand ils sont venus, mais nous ne savons pas quand ils vont repartir. Mieux vaut s’allier à eux pour que les populations vivent en paix comme avant. Sur ce chapitre des djihadistes, il faut savoir que c’est une affaire de tous. Nous savons qu’ils veulent rentrer dans notre pays. Notre malheur, c’est qu’ils sont installés au Burkina Faso dans une localité frontalière avec notre pays.

 

Kong est une ville historique d’ancrage islamique. Comprenez-vous le combat de ces gens qui disent se battre au nom de l’islam ?

Nous ne les comprenons pas. Ils tuent pour tuer. Voici des gens qui font incursion dans les villages, tuent les gens, ne touchent à rien et repartent. S’il s’agit de l’islam, tout le monde connait l’histoire de Kong, notre département devrait être épargné. Parce que personne ne peut apprendre à un Kongois, ce que c’est que l’islam. Pourquoi nous attaque-t-on ? Parce que le mot djihadiste renvoie au combat contre les non-musulmans du temps du prophète. Mais, quel est ce djihadisme des temps modernes qui tue tout sur son chemin, musulmans ou non-musulmans ?

Ténin Bè Ousmane

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