Le premier a été celui lancé par l’ancien président Laurent Gbagbo, le 14 juillet 2024, lors de son meeting de Bonoua. Son désormais ex-épouse, Simone Ehivet Gbagbo, avait elle aussi, lancé un autre appel le 9 août dernier au siège du PDCI-RDA où elle se donne pour mission de rassembler l’opposition et certaines organisations de la société civile, avec en ligne de mire, l’élection présidentielle de 2025. Le dernier et le troisième appel, du moins pour l’instant, est celui lancé par Charles Blé Goudé, lors de sa tournée à Bondoukou. De ces trois appels, ceux qui semblent cristalliser toutes les attentions, sont ceux lancés par l’ancien président Laurent Gbagbo et le bras séculier de sa jeunesse, lorsqu’il était au pouvoir entre 2000 et 2010. Si Simone a dit un oui diplomatique à l’appel de son ancien mari, Charles Blé Goudé lui, n’a pas pris de gants pour décliner cette invitation. Mieux, l’ancien leader de la galaxie patriotique qui a brocardé l’appel de son mentor d’hier, a invité les Ivoiriens à s’inscrire dans l’appel qu’il a lui-même lancé à Bondoukou. Ce qui fait qu’aujourd’hui, le microcosme politique se trouve face à deux appels lancés, deux pièces d’une même médaille : deux égéries de l’ancien parti au pouvoir.
Au-delà de supputer sur lequel de l’appel lancé par le père ou le fils rencontrera l’adhésion de certains Ivoiriens, il importe de s’arrêter sur le sens et la portée de chacun d’eux. À l’analyse des faits, l’on pourrait dire que l’appel de Bondoukou prend le contre-pied de l’appel de Bonoua. En d’autres termes, Charles Blé Goudé, à travers le message qu’il a lancé à Bondoukou, veut faire passer un message clair à l’opinion : Entre lui et son ancien mentor Laurent Gbagbo, la rupture politique est totalement consommée et actée. Mieux, Blé Goudé, à travers son appel, estime qu’il ne peut même pas envisager un jeu d’alliance avec son ancien mentor. Et sur la question, le président du COJEP a été suffisamment clair, le jeudi 15 août 2024, à la faveur de « l’Ecole du parti », organisée par la direction de l’encadrement et de la formation de son parti. « Moi, je ne peux pas me mettre avec quelqu’un qui dit : Venez on va enlever celui-là. Moi, je ne fonctionne pas comme cela. Enlever quelqu’un n’est pas un programme de gouvernement », avait indiqué Charles Blé Goudé. Indépendamment de cette position assumée du président du COJEP, l’appel de Bonoua vise manifestement autre chose.
Dans l’appel de Bonoua, Laurent Gbagbo a demandé aux partis politiques de se regrouper afin de mutualiser leurs forces pour déboulonner le régime Ouattara. « Il faut que ce gouvernement ne soit plus là en 2025. D’ici, je lance un appel au rassemblement, un appel à toutes les forces politiques, à tous ceux qui, comme nous, pensent que ce gouvernement ne doit plus être là ». Voici en substance, la quintessence de l’appel lancé par Laurent Gbagbo. A contrario, Blé Goudé estime que « se mettre ensemble pour enlever quelqu’un, n’est pas un programme de gouvernement ». En un mot comme en mille, l’on peut dire que Blé Goudé et Laurent Gbagbo, depuis leur sortie de prison, ne regardent plus dans la même direction. Et pour prouver qu’il n’a plus les mêmes approches politiques et les mêmes pratiques que son ancien mentor, Blé Goudé a invité les Ivoiriens à adhérer à l’appel de Bondoukou. « Le COJEP invite instamment, l'ensemble des populations ivoiriennes en général, la jeunesse et les femmes, en particulier, à s'approprier l'appel lancé par le Président Charles Blé Goudé, depuis Bondoukou, à prendre toutes les dispositions idoines en vue d'obtenir leurs documents administratifs leur permettant de s'inscrire massivement sur la liste électorale ». À la lumière de cet appel, nous avons donc d’un côté, un message qui invite les autres partis politiques à se joindre à un autre pour faire tomber un régime et un autre qui privilégie l’approche de terrain, en s’inscrivant activement dans le processus du jeu démocratique. Voici ainsi résumée la démarcation entre l’appel de Bonoua et celui de Bondoukou. Nous avons donc un appel à relent insurrectionnel et subversif et un autre qui semble privilégier un processus plus vertueux et respectueux du jeu démocratique. À chacun donc de se faire une opinion des enjeux de chaque appel et d’apprécier l’esprit qui anime le porteur de chacun de ces appels.
Bernard KRA