En plus de la grève des taxis-compteurs, c’est l’information principale qui a dominé l’actualité de la semaine qui vient de s’écouler en Côte d’Ivoire : 3000 docteurs, sortis de nos universités, ont battu le pavé pour exiger leur intégration à la Fonction publique. Une des revendications, sinon la principale requête de ces diplômés était leur prise en compte dans le corpus des enseignants du supérieur. Et pour cela, nos docteurs ont été violentés, certains ont été interpellés puis relâchés. Au final, la toge a été banalisée et désacralisée. Sans tomber dans le débat de l’opportunité et/ou de l’autorisation de cette marche, il est temps de se poser les vraies questions sur la gestion des étudiants qui sortent des universités avec le doctorat : L’Etat a-t-il l’obligation de recruter systématiquement tous ceux qui sortent des universités avec le doctorat ? Est-ce que l’enseignement et la recherche sont les seuls débouchés du doctorat ? Être docteur et ne pas avoir du boulot est-il de la responsabilité de l’Etat ? Est-ce un rabaissement pour un docteur de se lancer dans l’auto emploi ou l’entrepreneuriat ? Voici autant de questions qui peuvent permettre de comprendre la situation et de cerner l’opportunité de cette marche. Il faut le dire tout net : sur la revendication principale des docteurs-marcheurs, il est bon de retenir que l’Etat ne peut pas employer tous les docteurs qui sortent des universités. Cependant, l’Etat a l’obligation de créer les conditions pour permettre aux titulaires des doctorats de mettre leur savoir et leur savoir-faire au service de la science et du développement de leur pays. Dans notre système de diplomation, le doctorat est certes un parchemin prestigieux, mais à l’image de ces docteurs qui ont battu le pavé au Plateau, chaque année, ce sont des dizaines de milliers de techniciens supérieurs, d’ingénieurs et de titulaires du Master qui sortent des universités et grandes écoles. Chacun à son niveau pouvait raisonnablement revendiquer son reversement à la Fonction publique sur la base de son diplôme. Mais c’est quasiment impossible pour un Etat d’absorber ou d’employer tous les diplômés qui sortent chaque année des circuits de formation. Cette crise des diplômés met au goût du jour les tares de notre système d’enseignement et la mentalité des populations. Jusque-là, beaucoup d’étudiants qui sortent des universités pensent que leurs diplômes doivent les mener à la Fonction publique.
Le doctorat, ce n’est pas uniquement pour enseigner dans les universités. Cela revient à dire qu’un docteur peut être recruté dans le privé ou s’installer à son propre compte. A ce propos, le Pr Abou Karamoko, ancien président de l’université Félix Houphouët Boigny avait mis les pieds dans les plats au cours d’une tribune de l’Union nationale des journalistes de Côte d’Ivoire. « Quelqu'un qui rentre à l'école doctorale sait déjà où il va partir. Les gens ont peur pour rien, lorsque tu rentres à l'école doctorale, par ton sujet, les sociétés peuvent décider de financer tes études. La Côte d'Ivoire est le seul pays, j'allais dire au monde, mais au moins dans l'espace CAMES où il y a un collectif de docteurs non recrutés. Mais ce n’est pas la honte ça ! Un doctorat ne se distribue pas comme des cacahuètes. C'est réglementé, c'est sérieux et c'est sélectif. On ne fait pas un doctorat pour tenir une cabine téléphonique », s'est désolé cet universitaire émérite. C’était en juillet 2020. Aujourd’hui, un collectif de docteurs non recrutés a décidé de se faire entendre. Cela n’est pas mauvais en soi. C’est vrai, il y a des problèmes objectifs pour lesquels ces docteurs ont raison sur toute la ligne. Il s’agit, entre autres, du paiement de frais d’inscription par candidature dans chaque université. Ce qui fait qu’un docteur qui veut multiplier ses chances et qui postule pour un poste d’enseignant dans quatre universités se retrouvera à payer autant de frais. Plus grave, le même candidat doit fournir autant de certificats de non bégaiement. Pire, le jour des entretiens, le même candidat qui postule dans quatre universités peut être programmé pour ces quatre entretiens aux mêmes heures alors qu’il n’a pas le don d’ubiquité. Voici autant d’aberrations pour lesquelles les docteurs méritent tout notre soutien. Mais il faut savoir poser les problèmes. Exiger une intégration ou un recrutement systématique à la Fonction publique est un parjure pour quelqu’un qui a le doctorat.
Kra Bernard