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 Dossier / Remorquage de véhicules à Abidjan: Au cœur de la mafia qui gruge les automobilistes

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Le remorquage de véhicule a toujours été à l’origine des discordes entre les automobilistes et les agents dépanneurs. (Ph : VK)
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Le remorquage de véhicules en panne à Abidjan est souvent l’objet de chaudes engueulades entre conducteurs et dépanneurs. Ces disputes surviennent généralement quand les sociétés de remorquage soumettent les automobilistes aux sanctions jugées excessives et injustifiées.  Enquête dans ce milieu aux pratiques pas toujours conformes aux normes.

Les remorquages de véhicules à Abidjan ne se fait pas toujours dans les règles de l’art. Toute chose qui suscite le mécontentement des automobilistes, qu’on voit souvent s’empoigner aux abords des routes avec ces remorqueurs de véhicules en panne.  C’est ce qui s’est passé le 30 juin 2023 avec un journaliste dont le véhicule a pris feu au niveau de l’école de police à Cocody, alors qu’il se rendait à son lieu de travail. « Quand je suis arrivé au niveau du rond-point de l’école de police, une dame m’interpelle pour me dire que mon véhicule est en feu. Aussitôt, des passants, témoins de la scène, ainsi qu’un agent des forces de l’ordre, viennent à mon secours. J’ai été sorti du véhicule dont les portières étaient verrouillées sans que je n’aie eu le temps de sortir mon extincteur. À peine, l’incident s’est-il produit qu’un véhicule de remorquage se présente. Pendant que je fais la proposition de convoyer le véhicule chez mon mécanicien à Cocody, à l’ancien camp, les agents remorqueurs sont plutôt préoccupés d’embarquer ma voiture pour la transporter à leur base à la Riviera Faya. Et c’est ce qui fut fait malgré mon opposition et ma proposition. Le lendemain, une fois chez eux, on me demande de payer une facture de 97 000 FCFA. Après négociation, j’ai finalement payé 50 000 FCFA », témoigne le journaliste.

Des abus humiliants et intolérables….

Agent immobilier, Koné Daouda, a été lui aussi victime des mêmes pratiques. « Je suis indigné et même révolté par le comportement des agents remorqueurs d’une entreprise de la place. Je suis tombé en panne sèche sur le boulevard Valérie Giscard d'Estaing (VGE), à quelques 200 mètres du feu, en partant vers le troisième pont, le samedi 1er avril 2023, autour de 14h30. Mon collègue avec qui j'étais dans le véhicule, m’a aidé à retirer la voiture de la chaussée. Le temps de prendre du carburant, une remorqueuse est venue couper devant le véhicule, a fait descendre son câble et s’est mise à tirer le véhicule.

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J'ai dit que je venais à peine de tomber en panne sèche. Ils m'ont fait croire qu'ils sont là à notre service. Je leur ai dit que je n'avais pas d'argent à leur donner. Un monsieur sur une moto, qui a suivi la scène, s'est opposé à leur manœuvre. Il s'en est suivi une bagarre entre le monsieur et les deux agents de l’entreprise de remorquage. Ils ont remorqué ma voiture de force et l'ont envoyée à leur base à Port-Bouët. J'ai été obligé de payer 45.000 pour la récupérer. Je compte porter plainte contre eux pour avoir vécu cette humiliation et cette brutalité. Ils l'ont fait sans mon consentement et je ne crois pas qu’il soit interdit de pousser son véhicule s’il tombe en panne sur la route », fulmine-t-il.

Pour sa part, K.B garde encore en mémoire les abus de ces sociétés de dépannage et de remorquage, suite à une panne sur l’autoroute du Nord. En partance pour Yamoussoukro, son véhicule s’est subitement éteint. C’est alors que deux mécaniciens qui étaient de passage, se sont précipités vers lui pour lui prêter main forte. Contre toute attente, une remorqueuse est venue les rejoindre. Les mécaniciens avaient réussi à dégager le véhicule de la route, mais l’entreprise de dépannage n’a pas voulu entendre raison et l’a finalement remorqué.

Ces incidents avec les sociétés de remorquage peuvent parfois aller au-delà des éclats de voix. Comptable dans une banque de la place, Gnahoré François, la quarantaine, l’a appris à ses dépens.  « Ce sont des voleurs, ces prétendues sociétés de dépannage. Je pense que ces gens-là n’oublieront jamais ce qui s’est passé entre nous, parce que je ne me suis pas laissé faire. Des gens qui vous approchent sans un minimum de respect. Je leur ai appris qu’on me respecte. Ils ont bousillé mon frein à main et m’ont fait payer 105.000 F CFA », relate le comptable. L’affaire est actuellement devant le Tribunal de Première instance de Yopougon. Ces agissements de certaines sociétés de dépannage et de remorquage ne sont pas autorisés sur les ponts à péage, notamment le pont Henri Konan Bédié (pont HKB).

Deux poids deux mesures dans le District d’Abidjan

Sur ces grandes voies express, des dispositions particulières ont été prises pour assister les usagers en vue de permettre la fluidité du transport. Les caméras placées le long des voies, donnent la possibilité au service assistance technique d’intervenir avec promptitude.

« J’ai eu des soucis une fois avec mon véhicule sur le pont HKB. En moins de 10 mn, le service assistance est venu à mon niveau. Ils m’ont accordé un court délai pour joindre mes mécaniciens, sinon une remorqueuse viendrait pour retirer le véhicule de la circulation. Finalement, ils ont joint eux-mêmes, un partenaire dépanneur-remorqueur qui m’a pris 15 000 FCFA », raconte J.P.K, 35 ans. Ce témoignage est partagé par Simon Yao, commercial dans une maison d’assurance, qui se dit satisfait de la qualité du service d’assistance sur le 3e pont. « Un matin, mon véhicule est tombé panne sur le pont HKB. Des minutes plus tard, un assistant  s’est approché poliment de moi pour en savoir plus sur les raisons de mon stationnement. Il m’a accordé 15 minutes, le temps de joindre mes mécaniciens. Mais comme ceux-ci n’arrivaient pas et que le temps avait expiré, mon véhicule a été remorqué et envoyé à leur base, située entre l’église catholique Notre Dame de la Tendresse et l’Ambassade des États-Unis à la Riviera Golf, à Cocody », explique-t-il.

Imbroglio et cacophonie au sein des entreprises de dépannage

Tous ces préjudices sont source de conflits entre automobilistes et remorqueurs, les premiers estimant être l’objet d’abus de la part des seconds, notamment ceux travaillant pour le compte du secteur public. Traoré Adama, responsable d’une entreprise privée de remorquage, est allé plus loin pour dénoncer leur arrogance vis-à-vis des clients, des comportements qui ont fini par dépeindre sur l’ensemble de la corporation. « Quand nous apercevons un véhicule en panne, nous approchons le conducteur pour lui demander s’il a un problème. S’il répond oui, nous lui proposons nos services, s’il accepte, on le dépanne. Ce qui n’est pas le cas pour les entreprises autorisées par le District d’Abidjan, qui enlèvent de force les véhicules. Nous faisons le remorquage à des prix abordables variant entre 20 000 F et 40 000 F, d’un quartier à un autre. Quand les remorqueurs autorisés par le District aperçoivent une voiture garée, ils ne posent pas de questions à l’automobiliste. Ce qui les préoccupe, c’est d’enlever la voiture. Ce n’est pas normal. Il arrive souvent que nous croisions le fer, parce qu’il y a des injustices que nous saurions cautionner. On ne comprend pas leur acharnement à prendre de force, les véhicules au lieu de porter assistance aux clients. À cause d’eux, nous sommes très souvent livrés à la vindicte populaire. Ils abusent de leur pouvoir, parce qu’ils croient avoir le soutien de l’État », dénonce-t-il. Et de suggérer aux autorités du District d’Abidjan, l’exemple du service proposé aux conducteurs sur le pont HKB :

« La difficulté est que nous ne sommes pas reconnus par l’État de Côte d’Ivoire, mais nous avons tous les documents afférents qui nous donnent le droit de remorquer un véhicule. Sinon, la loi veut qu’on apporte assistance d’abord, avant de remorquer la voiture quand il s’agit de l’extrême urgence ».

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  1. Koné, un autre responsable de société de dépannage et de remorquage, s’est également plaint du comportement des entreprises qui exercent dans son domaine d’activité pour le compte du District d’Abidjan, en foulant au pied toutes les règles d’intervention. « Nous n’intervenons seulement lorsque le client nous sollicite. Quand nous prenons son véhicule, nous l’envoyons dans son garage. Les prix de transport sont de l’ordre de 40 000 F à 45 000 FCFA. Ce qui n’est pas le cas chez les autres qui, sans le consentement du client, prennent de force sa voiture. Ils se pointent sans demander l’avis du client, sont toujours menaçants et pressés d’envoyer les véhicules en fourrière », critique-t-il cette attitude de ses collègues.
  2. Koffi Yao Moïse, président de la Fédération des sociétés de dépannage et de remorquage de véhicules de Côte d’Ivoire, récuse toutes ces accusations et demande la cessation de toutes les activités des entreprises illégales de dépannage et de remorquage. « Notre premier responsable est le District autonome d’Abidjan qui gère les plaintes des remorqueurs sur le terrain. Donc, nous ne pouvons pas créer de désordre. C’est plutôt ceux qui n’ont pas le droit d’exercer qui créent ces désagréments. Il y a des voies sur lesquelles ils ne doivent pas circuler », soutient-il.
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Poursuivant, il indique que lorsque les structures agréées par l’État sont confrontées à un cas pratique de panne de véhicule sur le terrain, elles font des propositions au propriétaire.

« On vous envoie dans votre garage et on vous indique le coût de la prestation qui vous revient. Si vous n’avez pas ce montant, nous sommes dans l’obligation de remorquer le véhicule pour l’envoyer en fourrière. Si c’est une panne de pneu, on aide le conducteur à quitter la voie pour éviter les embouteillages. Ensuite, on remplace son pneu moyennant un simple tarif forfaitaire pour les travaux sur place. On ne fait pas de palabre, parce que les responsables de la police nous ont dit que s’il y a des cas où des gens veulent s’imposer, nous devons leur faire appel pour mettre de l’ordre », clarifie-t-il la situation.

 

Venance Kokora

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