Économie

Interview / Promotion de l’industrie agro-alimentaires en Côte d’IvoirePatrice Yapi N’cho, Consultant agroéconomiste :« Il faudrait renforcer la capacité des sociétés coopératives »

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Patrice Yapi N’cho a fait savoir que le dynamisme dans l’organisation agricole de la Côte d’Ivoire est reconnu sur le plan international. (Photo : VK)
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Expert en développement de l’environnement des investissements et promoteur du site www.lacotedivoireagricole.ci qui enregistre plus de 473 000 visites, Patrice Yapi N’cho, avec plus de 25 ans d’expériences professionnelles, jette un regard sur l’évolution de l’industrie agricole ivoirienne. Dans cet entretien accordé à L’Avenir, il propose des recettes afin d’aider les PME à demeurer plus compétitives.

Comment entrevoyez-vous  l'Agribusiness en Côte d'Ivoire ?

Aujourd’hui, la Côte d’Ivoire compte plusieurs PME, des groupements de femmes et de jeunes intervenant dans la production, la transformation et la commercialisation des produits agricoles et vivriers, notamment le cacao, le cajou, le café, les épices, les produits animaux… (…) Le constat général pourrait être, pour la majorité des promoteurs, à proposer des produits ou des services de qualité afin de gagner des parts de marché sur le plan local, sous-régional, voire mondial. Aussi, autre préoccupation régulièrement évoquée par les entrepreneurs lors des réunions et entrevues, a été le manque d’espace dédié à la transformation des produits. Il faudrait signaler que les coûts pratiqués dans les zones industrielles sont souvent hors de portée des PME et autres groupements. La plupart des promoteurs utilisent généralement à la fois la maison comme lieu d’habitation et unité industrielle. Quelques suggestions de solutions. Il faut mettre en place un mécanisme d’accompagnement des entrepreneurs à travers des incubateurs agréés, pouvant intervenir sur la base de la répartition des districts autonomes mis en place pour un meilleur développement du pays. Proposer un mécanisme d’exonération fiscale adapté à l’évolution de la vie des PME ivoiriennes sur la base de certains pays africains. Aménager et affecter aux PME, à des coûts accessibles, des espaces dédiés à la transformation des produits agricoles, des vivriers, des produits animaux et des ressources halieutiques dans les différentes localités. L’État a mis en place des mécanismes pour le soutien des PME. le 5 octobre 2022, il y a eu le lancement du Programme Economique pour l’Innovation et la Transformation des Entreprises (PEPITE). L’objectif global est d’enrôler et d’accompagner 1 500 entreprises sur dix ans, soit en moyenne 150 entreprises par an. Le lundi 19 décembre 2022, il y a eu également, à l’auditorium de la Primature à Abidjan-Plateau, le lancement du Guichet Unique de Développement des Entreprises de Côte d’Ivoire (GUDE-PME), destiné au financement et à l’accompagnement des entreprises, principalement des PME.

 

Selon vous, comment peut-il contribuer au développement du secteur agricole ivoirien ?

Nous devrions savoir que le secteur de l’agroalimentaire emploie 60% de la population active africaine. Il est le premier employeur sur le continent. Il constitue aujourd’hui le secteur vers lequel tout le monde se rue pour se faire de l’argent. De plus, investir dans ce secteur ne nécessite parfois pas d’immenses moyens. En termes d’opportunités, il est admis que 65% des terres arables non cultivées du monde se trouvent également en Afrique. En outre, en marge du 6e Sommet ordinaire Union Africaine - Union Européenne, le vendredi 18 février 2022 à Bruxelles en Belgique, le Chef de l’État, SEM Alassane Ouattara, a souligné, au cours d’une table ronde, l’importance de l’agriculture ivoirienne « avec un secteur qui représente 22% du PIB, les 2/3 des emplois directs et indirects et 60% des recettes d’exportation ». Relativement au développement de l’agribusiness en Côte d’Ivoire, cela passe nécessairement par la prise en charge des opportunités qu’offre aux investisseurs locaux et internationaux, ce secteur d’activité. Ce qui a conduit à l’élaboration du Programme National d’Investissement Agricole II (PNIA II) sur la période 2018-2025 par le ministère d’État, ministère de l’Agriculture et du Développement Rural. Il a été évalué à 11 905 milliards de F CFA. La mise en œuvre dudit programme innove avec neuf (9) agropoles en fonction des zones agro-écologiques du pays dont deux (2) sont actuellement opérationnelles. Il s’agit du projet de Pôle Agro-industriel dans la région du Bélier (2PAI-Bélier) et celui du Pôle Agro-Industriel dans le Nord de la Côte d’Ivoire (2PAI-NORD).

 

Que pensez-vous des programmes mis en place par le gouvernement pour  relever le défi de l'autosuffisance alimentaire ?

Les programmes suivants pourraient être mentionnés. Le Programme d’urgence du secteur de l’agriculture (PURGA-COVID-19) doté de 1700 milliards de FCFA, a participé à la distribution des intrants (semences et engrais) et matériels agricoles aux producteurs dans les différentes régions du pays. PURGA 2 permettra, à terme, de produire 100 000 tonnes de produits maraîchers, 155 000 tonnes de manioc, 40 000 tonnes de maïs, 4 750 tonnes de banane plantain en cultures pluviales et 5 250 tonnes en cultures irriguées. La Politique Nationale de Développement de l’Elevage de la Pêche et de l’Aquaculture (PONADEPA 2022-2026), avec un montant de 1000 milliards de F CFA pour sa mise en œuvre. Le Programme Stratégique de Transformation de l’Aquaculture en Côte d’Ivoire (PSTACI). Il permettra de produire environ 500 000 tonnes de poisson à l’horizon 2030, avec une chaîne de valeurs estimée à 825 milliards de FCFA. La Stratégie Nationale de Développement de Cultures Vivrières autres que le riz (SNDCV) et la Stratégie Nationale Révisée de Développement de la filière Riz en Côte d’Ivoire (SNDR) 2012-2020. Les programmes ci-dessus apportent une réelle contribution en semences et en équipements aux exploitants agricoles suite à l’avènement de la COVID-19. Compte tenu des critères mis en place, cela n’a pas facilité l’accès à la majorité des producteurs aux intrants agricoles, notamment l’exigence en superficies à réaliser. En termes de propositions, il faudrait renforcer la capacité des sociétés coopératives à plus d’implication dans la mise en œuvre du PURGA 2. Cette option devrait permettre d’atteindre un nombre élevé d’exploitants agricoles et aussi de faciliter l’approvisionnement en intrants et la commercialisation de la production à travers la disponibilité des magasins des sociétés coopératives.

 

Il est de plus en plus question de promotion de la consommation des produits agricoles locaux. Comment les promoteurs locaux doivent-ils s'y prendre ?

En Côte d’Ivoire, le taux d’urbanisation connaît une réelle progression. De 52 % actuellement, ce taux sera à 60 % en 2025. Selon le résultat du Recensement Général de la Population et de l’Habitat (RGPH) de 2021, 17 villes en Côte d'Ivoire sont peuplées de plus de 100 000 habitants. L’accroissement de cette population citadine entraînera certainement la multiplication des magasins des grands réseaux de distribution notamment Prosuma, Carrefour, Auchan à Abidjan et à l’intérieur du pays. Les besoins desdits magasins et autres sont particulièrement guidés par des cahiers de charge à respecter par les PME de production et de transformation des produits agricoles. L’avantage comparatif des produits agricoles locaux est que cette production est généralement bio. L’utilisation par les exploitants agricoles, des engrais et autres fertilisants reste très faible. Ce qui manque habituellement, est le branding ou l’emballage de la production devant attirer le consommateur. Le constat est que les emballages sont généralement importés d’Europe et d’Asie. Aussi, les opérations d’hygiène et d’itinéraire technique ne sont pas à tout moment respectées. À cela, il faudrait ajouter un circuit de commercialisation peu performant. Cela occasionne des fois, une prédominence des pertes post-récolte. Tout ceci renchérit le coût de revient de l’article et agit sur la compétitivité des produits mis sur le marché. Pour leur mise à niveau, les PME participent à des formations organisées par l’ANADER pour le respect de l’itinéraire technique, l’OCPV pour la commercialisation, la Confédration Générale des Entreprises de Côte d’Ivoire (CGECI), la Chambre de Commerce et d’Industrie (CCI) et d’autres incubateurs pour la structuration des entreprises…Malgré la situation ci-dessus décrite, avec le renforcement des capacités promoteurs, on note aujourd’hui, une disponibilté en quantité et en qualité des produits transformés sur les marchés municipaux, dans le réseau des ventes en ligne, les boutiques de quartier, ainsi que les grandes surfaces des grandes villes ivoiriennes. À titre de recommandation, il faudrait favoriser la multiplication des foires à Abidjan et dans les villes à l’intérieur du pays, encourager la création des magasins des produits du terroir sur toute l’étendue du territoire national.

 

Les produits agricoles locaux sont commercialisés dans les grandes surfaces à Abidjan, que recommandez-vous aux agriculteurs ?

L’installation des sociétés de grande distribution, Carrefour et Auchan a été motivée par le developpement de partenariats avec les producteurs et les industriels locaux afin de valoriser les produits « Made in Côte d’Ivoire ». Aux deux groupes ci-dessus, il faudrait ajouter le Groupe PROSUMA et CDCI Grande Distribution disposant des magasins dans la plupart des grandes villes du pays. Pour leur approvisionnement, lesdites sociétés ont mis en place des cahiers de charge à respecter, notamment sur la régularité et la qualité des quantités des produits à fournir par les prestataires. (…) Pour un partenariat durable, nous recommandons un accompagnement des prestataires par les surpermarchés afin de disposer des produits répondant aux exigences des consommateurs urbains.

 

Il est de plus en plus question d'agripreneurs. À quoi consiste ce procédé agricole ?

L’Ecole Supérieure d’Agronomie (ESA) de L’Institut National Polytechnique Félix Houphouet-Boigny de Yamoussoukro (INPHB) possède un incubateur pour la formation des agripreneurs. Il s’agit d’accompagner les Ingénieurs Agricoles, les Ingénieurs des Techniques Agricoles et les Techniques Supérieurs en Agronomie issus de l’ESA à devenir des entrepreneurs dans le secteur agricole. Aussi toute personne d’une autre formation académique est apte à intégrer ce centre de formation pour en sortir agripreneur. L’objectif est d’avoir de véritables entrepreneurs à créer davantage de richesses et des emplois dans le secteur agricole en Côte d’Ivoire. Aujourd’hui, le pays possède plusieurs incubateurs à Abidjan et l’intérieur du pays pour la formation des agripreneurs. On pourrait citer l’Institut National de Formation Professionnelle Agricole (INFPA) à Abidjan et à l’intérieur du pays, l’Institut de Formation Agricole d’Azaguié dans le département d’Agboville, l’Institut Privé d’Agriculture Tropicale (IPRAT) à Miandzin dans le département d’Adzopé. On pourrait également citer l’IECD, une association à but non lucratif, installée depuis 20 ans en Côte d’Ivoire. Cette ONG apporte des solutions pertientes aux jeunes en milieu rural avec le programme des Ecoles Familiales Agricoles. En plus des structures étatiques, à savoir l’ANADER, l’OCPV, le FIRCA, les structures décentralisées de l’Administration, les mécanismes ci-dessus évoqués, participent à la professionnalisation des acteurs du secteur agricole. Tout cela demande une coordination des actions pour avoir un chiffre critique d’agripreneurs en Côte d’Ivoire. Cette planification pourrait être conduite dans le cadre du  programme ENABLE Youth financé par la Banque Africaine de Developpement (BAD) et piloté par le Ministère d’État, Ministère de l’Agriculture et du Développement Rural, et celui en charge de l’Emploi des jeunes.

 

Comment devraient s'y prendre les agriculteurs pour le développement de l'agriculture ivoirienne ?

Les structures telles que l’ANADER, l’OCPV, le FIRCA, le CNRA, les écoles de formation agricole, sont chargées de l’accompagnement et du renforcement des capacités des exploitants agricoles et leurs organisations professionnelles. Pour plus d’efficacité et de professionnalisme dans leur intervention, les États ont adopté la création des sociétés coopératives selon les principes de l’OHADA. Grâce à ce mécanisme, nous connaissons une croissance des sociétés coopératives à l’exportation, du fait d’une meilleure structuration. Elles sont majoritairement dans les filières, notamment la filière café-cacao et celle du cajou. Elles s’impliquent également dans la transformation des produits agricoles, notamment la production du chocolat et des amandes de cajou. Ce dynamisme est reconnu sur le plan international. Au Salon International de l’Agriculture (SIA) de Paris 2023, la Coopérative SCINPA d’Agboville a reçu le lundi 27 février 2023, le trophée des agricultures du monde pour son cacao et son chocolat. Au SIA 2022, une coopérative de Yamoussoukro avait reçu la même disctinction pour la qualité de son cacao et son chocolat. À cet effet, pour une promotion du secteur agricole, nous recommandons la reprise de « la Coupe Nationale du Progrès » avec un schéma impliquant les Districts Autonomes de la Côte d’Ivoire. Ce qui amenera chaque District à organiser annuellement un Festival Agricole où des prix seront decernés aux meilleurs exploitants agricoles, ainsi qu’à leurs organisations respectives et ceci, par spéculation. Aussi en vue de profiter des technologies nouvelles et du savoir-faire du monde agricole, les producteurs devront-ils être invités régulièrement à participer aux grands évènements agricoles sur le plan national, régional et international.

Réalisée par Venance Kokora

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