Économie

Interview/Issa Touré (Président de la FUSCOP riz) : « C’est regrettable qu’on continue d’importer plus de la moitié notre consommation en riz »

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Président de la Fédération des unions de sociétés coopératives des producteurs de riz de Côte d’Ivoire (FUSCOP riz Ci), Issa Touré est également le président du Conseil d’administration de l'Organisation interprofessionnelle agricole de la filière riz (OIA-Riz). Il s’est ouvert ce jeudi 14 avril 2022 à L’Avenir.

 

 

 

Président, quel est l'état de la filière riz en Côte d'Ivoire ?

La question relative à l’état de la filière riz en Côte d’Ivoire mérite d’être posée, mais elle a automatiquement sa réponse, car l’état de la filière riz n’est pas satisfaisante.

 

La Côte d'Ivoire importe la plus grande partie du riz qu'elle consomme. Comment expliquez-vous cette situation ?

C’est vraiment regrettable que la Côte d’Ivoire importe plus de la moitié de sa consommation. Cela est dû en partie à la politique d’orientation rizicole que la Côte d’Ivoire s’est dotée, ces dernières années. Cette politique, malheureusement, ne favorise pas la production en outrance.

 

Pourquoi, selon vous, la Côte d'Ivoire n'est pas encore parvenue à l'autosuffisance en riz, malgré tous les programmes mis en œuvre à cet effet depuis Houphouët-Boigny ?

Dire que la Côte d’Ivoire n’est pas parvenue à l’autosuffisance en riz est inexact.

Dans les années 1970, la Côte d’Ivoire était autosuffisante en riz. Elle avait même la sécurité alimentaire, mieux, elle était exportatrice de riz. La question est pourquoi la Côte d’Ivoire n’est plus autosuffisante en Riz ? Je crois que cela est dû comme je le disais plus haut, à la mauvaise politique d’orientation rizicole. Je vous donne un simple exemple. En mai 2019, nous (producteurs) avions été invités à un atelier sur le financement de la production du riz en Côte d’Ivoire. Les responsables du projet étaient arrivés au nombre de 36 personnes, tous dans des voitures très confortables. Nous avons pris le temps de chercher à savoir combien une voiture a pu coûter. La réponse est qu’une seule voiture coûtait 24.000 000 F CFA au plus. Imaginez 36 véhicules à ce prix ? Cela fait combien de tracteurs agricoles ? Combien de bulldozers qui pourraient éventuellement creuser des retenues d’eau pour la culture du riz ? Cela n’est qu’un exemple. Juste pour dire que certes, beaucoup de projets ont été financés, mais les financements sont mal orientés.

 

« Il y a une mauvaise politique d’orientation rizicole »

 

Que faire pour inverser la tendance ?

Cela est vraiment simple. D’abord, la production du riz n’est pas une affaire de bureaucratie, car lorsque des agents de l’État, avec les financements de l’État ou des bailleurs de fonds, vont dans les bas-fonds pour faire des simulacres de production, cela n’est pas leur vocation et je ne crois pas qu’ils pourront rendre des comptes exacts à l’État. Ensuite, la fédération nationale des producteurs, des OPA et des producteurs individuels sont structurés mais ne sont véritablement pas associés aux politiques rizicoles. Or, c’est à eux que revient le rôle de nourrir la Côte d’Ivoire. Également, il faut revoir la politique de mécanisation de la riziculture, car la politique est mauvaise. L’État doit permettre aux producteurs d’acquérir du matériel agricole en subventionnant les acquisitions. Savez-vous qu’en Corée du Sud, chaque société coopérative a ses moyens de production subventionnés par l’État à 90%. La Corée est aujourd’hui en surproduction de riz.  Non loin de nous, l’État malien subventionne la politique d’acquisition du matériel agricole et cela se ressent sur la production agricole. Actuellement, nous sommes au stade des mises en place, nous n’avons pas de tracteurs pour le travail. Nous approchons les PMEA (Petites et moyennes Entreprises Agricoles) bénéficiant des agréments de l’État de Côte d’Ivoire, mais elles disaient qu’elles ne disposaient pas encore de moyens venant de l’État.

Comment comprendre que des hommes d’affaires censés venir investir leurs capitaux pour faire du chiffre, viennent attendre que l’État leur donne les moyens pour investir. C’est vraiment un paradoxe et si tel est le cas, tout le monde peut être prestataire agricole.

Aussi, il faut noter que le riz n’a pas besoin de pluie mais, il a plutôt besoin d’eau. Certains pays comme le Burkina Faso, ont expérimenté des petits ouvrages qui permettent de produire du riz et le maraîcher toute l’année. La Côte d’Ivoire a les moyens d’en faire et à moindre coût.

Enfin, il faut que le prix d’achat du paddy soit compétitif pour encourager la production.

 

« Ce que nous attendons de l’État »

 

Qu’est-ce qui fait que les Ivoiriens ne se lancent pas en masse dans la production du riz ?

Les Ivoiriens ne viennent pas à la culture du riz à cause de la pénibilité (masque de mécanisation) et les coûts de production sont attrayants.

 

Pourquoi le riz produit localement est-il plus cher que celui qui est importé ?

Le prix du riz de Côte d’Ivoire est élevé parce que les facteurs de production sont élevés.

 

Y-a-t-il des monopoles dans le secteur du riz, ce qui pourrait expliquer la situation dans laquelle se trouve la filière riz ?

Oui, on peut parler de monopole dans le domaine du riz, mais surtout dans l’importation. Ce qui ne favorise pas l’investissement dans la production locale.

 

Il nous revient que, quelquefois, la qualité du riz indiquée sur le sac n'est pas celle qui est à l'intérieur. Confirmez-vous ce genre de situation ? Comment l'expliquez-vous ?

Cela est souvent dû aux commerçants véreux qui reconditionnent le sac pour se faire du chiffre. Mais sachez aussi que des importateurs reconditionnent des sacs de riz importé avec du riz de Côte d’Ivoire pour vendre plus cher.

 

Que faire pour voir émerger des champions nationaux dans la filière riz ?

Pour faire émerger des champions nationaux dans le domaine du riz, il faut avoir une véritable politique d’investissement dans le domaine du riz.

 

Y-a-t-il de nouvelles techniques culturales qui permettent d'améliorer significativement la production et la qualité du riz ?

Bien sûr, il y a de nouvelles techniques de production de riz, tant sur le plan de la recherche, que de la pratique et du professionnalisme des acteurs.

 

Il y a quelques années, le gouvernement ivoirien avait lancé une stratégie nationale de développement de la riziculture qui visait l'autosuffisance en riz d'ici 2030. Où en sommes-nous avec la stratégie nationale de développement de la riziculture (SNDR) ?

L’objectif avec la SNDR, c’est d’atteindre l’autosuffisance alimentaire, mais à l’état des choses, personnellement, je pense qu’il faut reconsidérer les choses pour aller plutôt vers la souveraineté alimentaire, car l’autosuffisance alimentaire reste utopique.

 

« L’autosuffisance alimentaire reste utopique »

 

La qualité du riz local reste parfois à désirer. C’est la raison pour laquelle certains se tournent vers le riz importé. Cela est dû à quoi ?

Je pense que la qualité du riz de Côte d’Ivoire s’est nettement améliorée, tant sur le plan de la présentation et aussi le goût en passant par l’usinage.

 

Quel est le ratio entre la consommation du riz importé et le riz local ?

Le riz de Côte d’Ivoire ne couvre qu’environ 40% des besoins nationaux. Donc, la Côte d’Ivoire reste fortement dépendante de l’importation. La Côte d’Ivoire doit plutôt viser sa souveraineté alimentaire qui est possible en réorientant notre politique rizicole vers les vrais acteurs avec de bons programmes structurants.

 

Interview réalisée par Venance Kokora

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