Sport

Guerre en Ukraine/témoignage: Le récit glaçant de Koné Mohamed, jeune footballeur ivoirien rentré au pays

guerre-en-ukraine-temoignage-le-recit-glacant-de-kone-mohamed-jeune-footballeur-ivoirien-rentre-au-pays
PARTAGEZ

Revenu d’Ukraine après l’éclatement de la guerre entre la Russie et son voisin, le jeune footballeur ivoirien, Koné Mohamed, revient sur le calvaire qu’il a traversé avant son retour au pays. Formé au centre Académie de l’espoir d’Attécoubé à Abidjan, le joueur polyvalent de 18 ans évoluait au poste de milieu défensif dans le club de FC Chorkiv cristal Kherson.

 

 

Footballeur professionnel en Ukraine, vous avez dû quitter ce pays dès l'éclatement de la guerre. Depuis quand et comment êtes-vous rentré en Côte d'Ivoire ?

J’ai quitté Kiev le 28 février 2022. Nous étions à l’aéroport de Kiev le jour où il a été bombardé. Après le pilonnage de l’aéroport, nous avons été contraints d’emprunter un train pour rejoindre la ville de Lviv ou Louvôve à la frontière de la Pologne. Les dirigeants de mon club voulaient que je continue avec eux en Angleterre. Après moult négociations avec l’Ambassadeur de Côte d’Ivoire, le Général Philippe Mangou, ils ont accepté que je rejoigne mes autres frères ivoiriens. On a dormi une nuit dans la fraîcheur en respirant les odeurs nauséabondes à la frontière. C’est de là qu’on a rejoint Varsovie, la capitale polonaise où nous avons passé une nuit à l’hôtel avant de partir en Allemagne. Après 2 semaines en Allemagne, j’ai rejoint mon pays.  

 

Comment avez-vous vécu le voyage dans ce climat de guerre ?

Le jour du bombardement de l’aéroport, le petit frère de la secrétaire de mon club a été tué. Nous étions assis ensemble dans le hall, quand j’ai eu l’envie de remplacer mes ‘’lèkè’’ (chaussure locale ivoirienne faite entièrement à base de caoutchouc) pour une paire de basket. Dans les toilettes, j’entends une forte détonation. La secrétaire du club qui était enceinte à cette époque, avait fait un tour aux toilettes. Dès que nous sommes revenus sur nos pas, le corps de son jeune frère était entièrement carbonisé. C’était l’horreur. Mon passeport et toutes mes affaires ont été consumés. Je vous ai dit plus haut que nous avons finalement emprunté le train pour rejoindre la frontière polonaise. Mais, il faut dire que le train n’a pas pu atteindre la ville de Louvôve, à cause des intenses combats. Nous avons été obligés de terminer le reste du trajet à pied. J’ai vécu la plus grande peur de ma vie. Au point où je me posais la question de savoir si j’allais pouvoir revoir ma famille. Il faut noter également que dans notre périple, la secrétaire du club a finalement mis son enfant au monde en brousse dans la nuit. C’était pénible. Dieu merci, il y a eu un médecin avec nous. Ils ont réussi à lui apporter l’assistance jusqu’en Pologne.

 

On a souvent parlé de discrimination dans le traitement entre les Blancs qui fuyaient la guerre et les Noirs. Avez-vous vécu cela ?

Effectivement. Les frères africains ont eu d’énormes difficultés pour traverser la frontière. Contrairement à eux, vu mon statut de footballeur et grâce aux encadreurs de mon club, j’ai pu m’en sortir. Ils ont présenté les documents afférents à mon statut de footballeur. Mieux, ils ont pu convaincre les gardes de la frontière. J’étais le seul Noir dans notre groupe. Certainement que cela a facilité ma traversée.

 

Comment avez-vous vécu le début de la guerre en Ukraine ?

Nous étions logés au centre sportif du club du Dynamo de Kiev, où j’étais depuis quelques jours, pour mon test. C’était le 28 février 2022, soit 4 jours après l’éclatement de la guerre entre les deux pays. Dans la nuit du 23 au 24 février 2022, je venais de finir ma prière tôt le matin. En plein rakâ’t (une itération des mouvements et supplications prescrits au cours de la prière chez les musulmans ; NDLR), j’ai entendu une forte détonation. Mon voisin footballeur algérien qui avait entendu parler de l’imminence d’une guerre entre les deux pays, a appelé son papa pour rentrer chez lui au pays. Grâce aux dirigeants de mon club, j’ai pu sortir du centre. C’était difficile. Vu que c’était le dernier jour où je devrais finaliser mon test de recrutement au club du Dynamo Kiev.

 

Une certaine opinion pense que les images que rapportent les télévisions européennes de cette guerre s'inscrivent dans une logique de propagande. Vous qui avez vécu le début de la guerre, qu'est-ce que vous en pensez ?

J’ai été un des premiers témoins du début de la guerre. Sincèrement, je ne saurais dire si toutes les images qu’on présentait, étaient vraies ou fausses. Mais, j’avoue que certaines vidéos que je voyais sur France 24 étaient vraies. La guerre est réelle entre l’Ukraine et la Russie.

 

Comment d'autres Ivoiriens que vous connaissez ont vécu ce début de guerre ?

C’est en Pologne que chacun a pu raconter son calvaire. Un aîné dont je vais taire le nom, m’a informé que son épouse ukrainienne et lui, ont vu la mort en direct. Rentré tôt de son service, ils étaient à la maison quand un obus a rasé leur maison. Sortis des décombres, ils ont fui la ville pour la frontière. Chacun de nous a vécu la terreur comme vous ne pouvez pas l’imaginer.

 

Vous étiez sur le point d'évoluer dans l'équipe de Dynamo de Kiev qui est un club bien connu en Europe. Pourquoi et comment êtes-vous arrivé dans ce club ?

Comme je l’ai dit, j’étais dans ce club pour un test de recrutement. Au regard de mes performances et sur recommandations des dirigeants de mon club, le FC Chorky, j’étais sur le point de finaliser le test.  Mais, il faut dire que c’était mon deuxième voyage en Ukraine pour finaliser cette fois-ci, le recrutement pour le Dynamo. Au premier séjour, j’y étais pour le test pour le compte de FC Chorky.

 

Finalement, vous n'avez pas pu commencer à jouer pour ce club. Quels sentiments vous animent après ce départ raté du fait de la guerre ?

C’est vrai que j’allais signer un contrat si le test se passait bien. Mais, je remercie Dieu de m’avoir gardé sain et sauf. C’est le plus important pour moi. Je garde le secret espoir d’intégrer très rapidement, un club. Mes dirigeants ne me lâchent pas d’une semelle.

 

Combien de footballeurs ivoiriens étiez-vous en Ukraine ?

Je n’ai pas les statistiques du nombre de footballeurs ivoiriens en Ukraine. Mais, je peux dire qu’ils sont repartis dans toutes les catégories des championnats de ce pays. Si j’ai bonne mémoire, on me disait que la colonie ivoirienne était autour d’une vingtaine de footballeurs. Mais ça reste à vérifier.

 

Est-ce que vous avez été tous rapatriés ?

Oui je pense. Tous les Ivoiriens ont pu sortir de l’Ukraine. L’Ambassadeur, le Général Phillipe Mangou, était au four et au moulin pour nous sortir du piège ukrainien. Je lui tire mon chapeau. Grâce à sa présence sur le terrain, nous étions fiers d’être ivoiriens. L’État de Côte d’Ivoire était disponible et à nos petits soins. On recevait chaque jour de l’argent de poche pour nos petits besoins. En Allemagne, l’Ambassade a demandé s’il y avait des volontaires pour le retour au pays. J’ai pris la décision de rentrer au pays. Grâce au soutien financier de l’Ambassade et de ma famille, en particulier, je suis rentré de moi-même au pays.

 

Comment vivez-vous depuis votre retour au pays ?

 Je m’entraîne régulièrement avec mon club formateur et certains clubs du championnat ivoirien. Je garde la forme en attendant la finalisation de certains dossiers.

 

Quels sont les regards de ceux qui plaçaient beaucoup d'espoir en votre aventure de footballeur en Europe sur vous aujourd’hui ?

Ma famille, mes formateurs et mon entourage sont dans le même état d’esprit que moi. C’est-à-dire qu’ils remercient Dieu de m’avoir gardé sain et sauf. Une anecdote. Ma maman a mis un enfant au monde le jour du bombardement de l’aéroport. Je n’ai pas voulu les affoler. Donc, je ne lui ai rien dit de l’atrocité qui se déroulait en Ukraine. Bien vrai que j’avais des craintes, mais j’ai gardé la tête froide pour ne pas effrayer ma famille. Je suis heureux de les retrouver.

 

Envisagez-vous de répartir jouer dans un autre championnat européen ou allez-vous rester jouer au pays ?

Oui. Mes dirigeants sont en contact avec moi. Il y a de bonnes nouvelles en vue. Mais je reste concentré sur mon état de forme physique. Je travaille énormément pour pouvoir répondre aux prochains défis sportifs qui ne sont pas loin.

 

Vous qui avez vécu un peu en Ukraine, comment expliquez-vous l'agression qu'elle subit de la part de la Russie ? Pensez-vous que ce pays a les moyens de faire face à l'armée russe ?

Je ne suis pas trop dans la politique. Mais je voudrais voir ces deux pays frères se réconcilier. Quand j’entends que la situation n’est pas près de se calmer, j’ai mal pour la population. Que la guerre finisse pour que le vaillant peuple ukrainien réapprenne à vivre dans la tranquillité et la paix.

 

Réalisée par Olivier YEO

 

Newsletter
Inscrivez-vous à notre lettre d'information

Inscrivez-vous et recevez chaque jour via email, nos actuaités à ne pas manquer !

Veuillez activer le javascript sur cette page pour pouvoir valider le formulaire