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Dossier/ Lutte contre le tabagisme : Quand les industriels et les distributeurs rusent avec la loi anti-tabac

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La mise en garde sanitaire ne figure pas sur les faces recto verso des paquets de cigarette comme l’exige la loi anti-tabac. (Photo : BB)
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En Côte d’Ivoire, l’État est engagé dans la lutte contre le tabagisme. Un décret portant interdiction de fumer en public a été signé en 2012 et une loi relative à la lutte anti-tabac a été votée par les députés, puis promulguée par le président de la République Alassane Ouattara, en juillet 2019. Cependant, des actes abusifs commis par les industriels et les distributeurs échappent au contrôle du régulateur.

Si plusieurs actions de contrôles inopinées et campagnes de sensibilisation sont effectuées par les agents du ministère en charge de la santé, la loi anti-tabac n’arrive pas à être suivie à 100%. La loi N° 2019-676 du 23 juillet 2019, relative à la lutte anti-tabac en Côte d’Ivoire, comporte 6 titres et 7 chapitres. Les articles 10 et 11 du chapitre 2 relatifs à la production et à la commercialisation du tabac et des produits du tabac, ne sont malheureusement pas respectés par certains distributeurs du tabac. L’article 10 qui interdit la vente du tabac et produits du tabac par Internet et tout autre moyen virtuel, est foulé aux pieds par des commerçants. Dans le but de faire de meilleures ventes en minimisant les coûts (charges fixes), certains commerçants utilisent le réseau social Facebook. En témoigne, la publication d’un détaillant du nom de profil Alinobusiness dans l’onglet « Market place ». Celui-ci vend des cigarettes électroniques de model V60 à 15. 000 FCFA. Il n’est cependant pas le seul à enfreindre la loi. Le cas d’AG-Multi services est encore grave. En plus de vendre les mêmes modèles de cigarettes électroniques au même prix, il fait une offre promotionnelle au client comme un complément d’achat, d’un produit liquide pour l’utilisation de la cigarette électronique. Toute chose qui est interdite par l’article 15 de la loi citée ci-dessus qui stipule que « l’offre, la remise, la distribution à titre promotionnel et ou à titre gracieux du tabac ou des produits du tabac sont interdites ». L’article 18 n’est pas également respecté par ces vendeurs. Il interdit l’utilisation de l’image du tabac ou de produits du tabac à titre promotionnel, autre que dans la lutte contre leur consommation. Ce qui n’est pas le cas chez les deux commerçants qui vendent leurs produits sans être inquiétés par le ministère de la Santé ou par la Haute autorité pour la communication audiovisuelle (HACA), organe chargé de réguler les contenus d’information sur Internet.

 

Non-respect des mises en garde sanitaires par les industriels

 

Au début de l’entrée en vigueur de la loi anti-tabac en 2019, une figurine était observée sur les paquets de cigarette. Celle avec la tête et les pieds d’ossement humain pour montrer que le tabac tue. Elle ne figure plus sur les conditionnements. L’article 11 du chapitre 2 de la loi N° 2019-676 du 23 juillet 2019, stipule que « les mises en garde sanitaires doivent couvrir au minimum, 70 % des faces principales en recto verso. Les modalités de mise en application des mises en garde sanitaires, de conditionnement et d’étiquetage, ainsi que les conditions de commercialisation du tabac et des produits du tabac sont fixées par voie réglementaire ». En 2023, aucune mise en garde n’est observée sur les faces recto verso des paquets de cigarette. La mise en garde sanitaire est mentionnée seulement en 5 mots, « abus dangereux pour la santé ». Cette inscription est marquée sur l’un des deux bords du paquet de cigarette. Ecrite sous cette forme, elle ne peut couvrir 70% de l’espace recommandé. Les industriels se contentent de marquer le pictogramme de leur charte graphique et de leur nom commercial sur les faces recto verso.

 

Périmètre de vente non respecté

 

La cigarette est vendue à moins de 200 mètres des grandes écoles privées (Photo : dr)

Les commerçants font fi de la loi anti-tabac en vendant en ligne, les produits du tabac. Mais pas que.

A Cocody Cité des arts, dans les environs de l’Ecole de gendarmerie d’Abidjan (EGA), se trouve une boutique de quartier sur la voie menant à l’INSAAC. Ce point de vente est mitoyen à une grande école privée. Les commerçants de cette boutique vendent au vu et au su de tous, la cigarette de toutes marques sans être inquiétés. Un autre point de vente installé par un industriel fait face à cette même boutique. Une distance de moins de 200 mètres les sépare. Ce qui n’est pas autorisé par la législation. En effet, l’article 7 du chapitre 2 de la loi N° 2019-676 du 23 juillet 2019, relatif à la production et à la commercialisation du tabac et des produits du tabac interdit cette pratique. « Il est interdit de vendre ou d’offrir du tabac ou des produits du tabac dans les établissements préscolaires, scolaires, les centres de formation professionnelle, les établissements d’enseignement supérieur, ainsi que dans les établissements de santé, les infrastructures sportives, culturelles, les administrations et aux abords immédiats des établissements visés par la présente loi, dans un rayon de deux cents (200) mètres », mentionne le texte. Ce cas est légion. A Cocody Cité SIR sur l’axe Cité SIR-Djorogobité, se trouve une boutique de quartier situé à proximité (moins de 100 m) d’une école préscolaire. Dans cette enceinte, des cigarettes de toutes marques y sont vendues. Au regard de ces constats, il urge que le gouvernement, soucieux de la bonne santé des populations par la promulgation de la loi anti-tabac, veille au respect strict de celle-ci, au risque qu’elle ne tombe dans la désuétude.

 

Be

 

Sanctions judiciaires

Les deux vendeurs mis en cause dans le cadre de cet article, tombent évidemment sous le coup de sanctions pénales. Ils sont visés par l’article 26 du chapitre 2 de la loi N° 2019-676 du 23 juillet 2019, lié aux dispositions administratives et pénales. Toute organisation de lutte contre le tabagisme peut se permettre de les poursuivre en justice. Dans ce cas, ils sont passibles d’un emprisonnement d’un à trois ans et d’une amende de 5 000 000 à 50 000 000 francs CFA. Quant aux industriels qui ne respectent pas la disposition de la mise en garde sanitaire sur les paquets de cigarette, ils sont punis d’un emprisonnement de six mois à deux ans et d’une amende de 5 000 000 à 50 000 000 de francs CFA.  S’agissant des points de vente qui tombent sous sanction de ladite loi, ils sont passibles de fermeture provisoire ou définitive pour une durée de six mois à un an.

BB

 

Conditions d'installation des points de vente


Certains points de vente de cigarette se trouvent à moins de 200 mètres des grandes écoles privées (photo : dr)

Samuel Koffi est gérant d'un point de vente de cigarette à Cocody. Il a été installé par l'industrie SITAB S.A. « Ce sont les industriels qui nous installent. Si le point de vente est situé sur un domaine privé, nous demandons d'abord l'accord du propriétaire du terrain.  Mais si c'est sur le domaine public, nous faisons la demande à la mairie avant de nous installer. Ensuite, les agents de la mairie viennent faire une inspection pour voir si le site n'est pas à proximité d'une école ou d'un centre de santé », a-t-il confié. Dans le protocole d'accord signé entre la SITAB S.A et les détaillants, il est mentionné que le point de vente ne doit pas être situé à cent mètres d'une école ou d'un centre de santé. Cet accord interdit de facto, la vente et l'achat de cigarettes aux personnes de moins de vingt et un an. La loi anti-tabac exige l'installation des points de vente à au moins deux cent mètres des écoles. Nous avons adressé un courrier à la SITAB S.A à la date du vendredi 11 août 2023, dans le but d'avoir leur avis quant aux critères de mise en garde sanitaire sur les paquets de cigarette et de l'installation des lieux de vente. Le courrier est resté sans suite jusqu'à la publication de l'article.

BB

Regard sur le contrôle fiscal du Programme national de lutte anti-tabac

 

Le PNLTA assure le contrôle fiscal des industriels du tabac en Côte d’Ivoire. (Photo : DR)

Dr Koffi Nestor est médecin spécialiste en Santé publique, chargé de communication, éducation, informations au Programme national de lutte anti-tabac (PNLTA). Il affirme que des efforts sont faits dans la lutte anti-tabac au niveau du gouvernement. Mais les industriels usent d'astuces pour mener leurs activités.

« La lutte anti-tabac est une lutte à 50% réglementaire en Côte d’Ivoire. Il y a plusieurs ministères qui y sont impliqués et un travail est fait dans l'ombre.  Les mesures les plus efficaces qui ont existé sur nos cieux, ce sont l'existence de l'augmentation des taxes sur les produits du tabac et les avertissements sanitaires. Nous sommes à 49%, l'État montre son engagement. Très bientôt, vous verrez que nous serons à 50%. La loi interdit la vente au détail, mais pour appliquer cela, il faut des arrêtés d'application. Le processus de rédaction est en cours. Les États et l'organisation mondiale de la santé ont compris qu'il faut un vrai arsenal pour mener la lutte anti-tabac dans toute son entièreté », a-t-il indiqué. 

BB

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