Société

Interview: Angèle Luh: "Le changement climatique n'est pas seulement une question environnementale"

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La COP 15 a fermé ses portes. Les chances pour la mise en œuvre des décisions prises à cette COP 15, les difficultés dans la lutte contre les changements climatiques, la crise ukrainienne. Voici autant de questions qui ont fait l’objet d’une analyse dans cette interview accordée à l’Avenir par Angèle Luh. Elle est la directrice Afrique de l’Ouest pour le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE).

 

La Côte d’Ivoire a organisé la COP15. Quels enseignements pour un pays africain qui réussit un tel rendez-vous de portée planétaire ?

C’est la première fois qu’une Cop de la Convention de lutte contre la désertification et la sécheresse se tient en Afrique. D’autre part, le fait que la Côte d’Ivoire l’a accueillie, c’est très important. De par la portée de l’évènement, c’est une conférence mondiale qui touchait à un problème essentiel pour les pays qui comptent sur l’agriculture comme base de leur développement, ce qui est le cas pour la Côte d’Ivoire. C’est également important pour la Côte d’Ivoire, au-delà des retombées économiques. Mais bien plus important, cela a permis à la Côte d’Ivoire de porter à l’attention du monde, les questions de développement, notamment le secteur agricole et le secteur de la restauration du sol. Il fallait porter cela à l’attention du monde et d’en faire une priorité. Il y a eu également l’Initiative d’Abidjan qui a été lancée par le Président Alassane Ouattara. Cette initiative a déjà bénéficié d’un appui important.

 

De nombreuses Cop sur les problèmes climatiques se tiennent à travers le monde, mais les populations continuent de ressentir à une échelle croissante, les effets liés au changement climatique ? Comment l’expliquez-vous ?

Ce que je voudrais d’abord, vous faire savoir, c’est qu’il est important que ces conférences se tiennent, parce que c’est à l’occasion de ces rencontres que les décisions se forgent, les négociations se tiennent. Si je m’en tiens à la logique de votre question, quand on regarde un continent comme l’Afrique, on pourrait dire, vu que l’Afrique participe très faiblement aux émissions de gaz à effet de serre, qu’elle n’a pas besoin de participer à ces conférences. Mais non, parce que malheureusement, l’Afrique perd un plus lourd tribut au changement climatique. Ces questions n’ont pas de frontières et affectent nos communautés qui, déjà, se battent avec la désertification et la pauvreté qui s’accentuent.

 

Que faut-il faire alors ?  

Il important de relever que lors des négociations, on ne doit pas rester au niveau des États, mais on doit toujours avoir présent à l’esprit, ce pour quoi on a négocié pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Je pense que lorsque le groupe des négociateurs africains s’engagent aux côtés des ministres pour porter la position de l’Afrique, ils doivent prendre en compte ces aspects. Autre chose, c’est comment faire en sorte qu’au niveau de nos États, ces questions deviennent des priorités. Vous aviez parlé d’une question comme le changement climatique. Si nous continuons à regarder le changement climatique comme une question simplement environnementale, c’est qu’on n’avancera pas.

 

Pourquoi ?

Toute simplement, parce qu’on va constater que les effets des changements climatiques sont de plus en plus importants. On va essayer de jouer sur l’atténuation, en se disant comment nous allons analyser et voir dans quelle mesure réduire les émissions, etc. Tant qu’on n’a pas décidé que c’est une question essentielle dans toutes les politiques de développement, que ce soient l’agriculture, l’élevage, la santé, et qu’on ne prendra pas de décisions pour les mettre effectivement en œuvre, on n’avancera pas. L’une des conséquences, c’est que les grandes conférences seront toujours blâmées, alors que l’une des choses importantes que les gouvernements doivent faire, c’est de s’approprier les conclusions de ces conférences et de les traduire en actions au niveau de leurs pays, en fonction des différentes cibles.

 

La désertification gagne de plus en plus l’Afrique de l’Ouest. Pour le cas de la Côte d’Ivoire, que fait votre institution pour appuyer le gouvernement en vue de la freiner ?

Il faut d’abord, souligner que le PNUE soutient tous les objectifs de la Convention de lutte contre la désertification. Et la plupart de ces conventions sont négociées sous l’égide du PNUE. Cela dit, nous regardons avec beaucoup d’intérêt, les discussions qui se font en Côte d’Ivoire. Nous avons une division qui s’occupe des écosystèmes. Vous avez certes, parlé de la désertification qui gagne la Côte d’Ivoire, mais il y a aussi les zones marines et côtières. Notre division est chargée des écosystèmes, et notamment, de ces questions susmentionnées qui sont financées à travers des projets.

 

Quelle est la nature de ces projets financés ?

Au niveau de la Côte d’Ivoire, nous avons des projets sur la gestion durable des terres, des projets sur la gestion intégrée des parcs nationaux, des projets sur la création des aires marines protégées, etc. Ces projets, avec l’aide du fonds pour l’environnement mondial ou des partenaires bilatéraux avec lesquels nous travaillons en partenariat, trouvent des financements.  

 

L’accès au financement des projets est jugé trop contraignant. Ce qui constitue un frein à l’éligibilité de nombreux projets. Que répondez-vous ?

C’est effectivement difficile pour tout le monde. C’est pour cela que nous travaillons à aider les gouvernements à développer des projets, selon des critères pour les aider à la mobilisation des ressources. La question financière est essentielle, parce qu’effectivement, lorsque les négociateurs se retrouvent et qu’ils présentent leurs priorités, il faut pouvoir les financer. Nous avons les ambitions, mais souvent, les finances ne suivent pas.

 

Ne craignez-vous pas que la mise en œuvre des résolutions de cette COP 15 soit contrariée par la crise entre la Russie et l’Ukraine ?

C’est une question que tout le monde se pose. C’est clair que quand on voit comment la question des réfugiés est traitée, on peut craindre que cela soit la même chose aussi. Ce, d’autant plus que c’est une crise qui s’accentue dans nos pays, notamment en termes d’alimentation.

 

Justement, beaucoup craignent l’insécurité alimentaire avec cette crise ukrainienne

Mais ce n’est pas seulement en Côte d’Ivoire, c’est un problème qui est global. Lorsqu’on regarde les indices et les chiffres, on parle de plus d’inflation. Cette situation nous concerne tous et risque de s’aggraver s’il n’y a pas de solutions.

 

Ernest Famin

 

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