Société

Reportage: L’hôpital psychiatrique de Bingerville à l’agonie

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Il faut sauver l’hôpital psychiatrique de Bingerville. (Photo : DR)
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Le lundi 10 octobre 2022, l’Organisation des Nations Unies célébrait la Journée internationale de la santé mentale. À l’occasion, comment ne pas avoir une pensée pour les pensionnaires de l’hôpital psychiatrique de Bingerville, dont l’état de santé semble avoir déteint sur ce centre de santé mentale. Lequel n’est plus aujourd’hui que l’ombre de lui-même.

Créé le 28 février 1962, l’hôpital psychiatrique de Bingerville est situé à proximité de l’hôpital mère-enfant au bord de la lagune ébrié. Il a aujourd’hui, une capacité de 150 lits et enregistre par an, 5000 consultations et 1000 hospitalisations, à l’actif de 120 agents dont 10 médecins psychiatres. C’est le 18 février 1962 qu’il a accueilli son premier pensionnaire, qui n’était autre qu’un prisonnier. Selon nos informations, l’hôpital psychiatrique de Bingerville était un asile pour les malades mentaux. Il ne recevait que les prisonniers atteints de démence.

Un hôpital-maison

L’hôpital psychiatrique de Bingerville n’est pas comme les autres hôpitaux sur toute l’étendue du territoire ivoirien. Les patients ne sont pas assis sur des bancs comme dans les Centres Hospitaliers et Universitaires (CHU). À l’allure d’une maison d’accueil, dans l’enceinte de l’hôpital psychiatrique, on peut découvrir du gazon mal tondu, des fleurs séchées ainsi que des cocotiers et manguiers sous lesquels des personnes peuvent se reposer. Lorsque vous vous rapprochez de ce lieu, vous comprenez que ce sont des hommes qui ont une santé mentale plus ou moins détériorée. Il ne faut surtout pas vous laisser tromper par des propos comme : « Bonjour monsieur/madame, que pouvons-nous faire pour vous ? », « Venez par ici monsieur », et/ou « Où allez-vous monsieur ? » ou souvent « Bonjour », dans une langue vernaculaire. Une ambiance maison qui ne laisse pas paraître que nous nous trouvons dans l’enceinte d’un hôpital. Pourtant si.

Selon un médecin qui y a fait 6 mois de stage, c’est un établissement dans l’agonie. « J’y ai fait 6 mois de stage de médecine. Il n’est pas destiné qu’aux ‘’fous’’. Les désintoxications de tous genres sont aussi des services qu’il offre. Cependant, tout le monde s’en fout ! Franchement, il y a de quoi devenir fou, moi-même médecin, je n’ai aucune envie d’y retourner, tellement l’établissement est délaissé », explique-t-il.

Une pharmacie vide

Dans tous les hôpitaux en Côte d’Ivoire, il existe une pharmacie pour les premières nécessités des patients. Celle de l’hôpital psychiatrique de Bingerville a besoin de médicaments. Derrière un gigantesque portail métallique, les étagères de la pharmacie de l’hôpital sont presque vides. L’air conditionné ne fonctionne pas correctement. L’employé en charge de la pharmacie n’est pas rassurant. Comme pour dire qu’il est habitué à l’atmosphère qui prévaut dans ce mètre carré, il nous fait savoir qu’étant en psychiatrie, la pharmacie devrait avoir plus de 85%de neuroleptiques. « Malheureusement, vous constatez que nous en manquons et c’est inadmissible. Nos besoins sont satisfaits à moins de 20% », déplore-t-il. Pourtant, il nous indique que les médicaments sont gratuits. Le hic dans tout cela, c’est qu’il en manque, depuis plusieurs mois.

Un service social à l’agonie

L’hôpital social dispose d’un service social. Logiquement, son rôle consiste à détecter les cas sociaux lors des consultations des médecins pour les prendre en charge durant leur séjour, et plus tard, assurer leur suivi à domicile en vue de leur réinsertion. Cependant, le maigre budget de l’hôpital ne permet pas de travailler convenablement. Les malades arrivent très souvent par les mairies, les policiers et les gendarmes. Pour le personnel de l’hôpital, les parents des malades ne sont pas coopératifs. « Ils abandonnent les malades en nous les confiant. Et, nous n’avons plus de leurs nouvelles », explique un employé de l’hôpital.

Des actions qui donnent à espérer

De nombreuses organisations de la société civile viennent en aide aux pensionnaires de l’hôpital psychiatrique de Bingerville. C’est le cas de l’ONG ‘’I care for us ‘’ qui a pour objectif de faciliter l’accès aux soins de santé des personnes démunies ou dans le besoin urgent. Elle a fait un don en 2014 d’une valeur de 2 000 000 F CFA, composé de denrées de première nécessité (sacs de riz, bidons d’huile, cartons de savon, des pâtes dentifrices et des vêtements.)

Pour emboîter le pas à l’ONG ‘’I care for us ‘’, la Bluemind Fondation, conduite par sa présidente Marie-Alix de Putter, s’est rendue à l’hôpital psychiatrique de Bingerville en mai 2022 pour faire un don de produits d’assistance humanitaire destiné, selon la Fondation, à améliorer la qualité de vie des personnes souffrant de trouble de la santé mentale. « La santé mentale, c’est la santé. Cela est vrai partout, que l’on soit à Lomé, Douala ou Bingerville. Et pourtant, 85% des personnes atteintes de troubles mentaux ne reçoivent aucun traitement en Afrique où la plupart des pays allouent moins de 1% de leur budget de santé à la santé mentale. Notre engagement, c’est continuer nos efforts quotidiens pour mobiliser les moyens humains, matériels et financiers afin que la santé mentale bénéficie enfin de l’attention et l’investissement qu’elle mérite. Alors que le monde célèbre le Mental Health Action Day, il est important de prouver par l’action que la santé mentale nous concerne toutes et tous, et d’inviter donc à la solidarité de toutes et tous, à tous les niveaux, pour un accès aux soins dans le respect des droits et de la dignité des malades ».

À la 5e édition du dîner de gala de l’Amicale des anciens de l’association des élèves et étudiants musulmans de Côte d’Ivoire (3A), une vente aux enchères a été organisée pour soulager l’hôpital psychiatrique de Bingerville. Autour du thème « Maladie mentale : ça n’arrive pas qu’aux autres ! », la cérémonie visait à célébrer la vie humaine.

Les actions du gouvernement insuffisantes

Outre les actions des organisations de la société civile, le 15 octobre 2012, le gouvernement ivoirien, sur initiative de la ministre de la Santé et de la lutte contre le SIDA d’alors, a décidé de réhabiliter l’hôpital psychiatrique de Bingerville. Selon le porte-parole du gouvernement d’alors, Sidi Tiémoko Touré, le gouvernement a mobilisé 65, 5 milliards de F CFA pour le renforcement des hôpitaux de première référence du Grand Abidjan. Ce projet devrait prendre en compte de nombreux hôpitaux généraux, ainsi que l’hôpital psychiatrique de Bingerville.

Roxane Ouattara

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