Société

Interview/Yoboué Kouakou (Porte-parole du collectif ‘’Sauvons notre éducation nationale’’): « Nous sommes mal payés »

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D’où est venue cette initiative ?

En Côte d’Ivoire, ce sont plus de 80.000 personnes, depuis le préscolaire jusqu’au secondaire, qui travaillent dans le privé de l’éducation nationale. Il y a des instituteurs, des professeurs, des éducateurs, des directeurs d’école. Quand on se rend compte que depuis plus de 30 ans, rien ne va et que personne n’en parle, il faut que les concernés prennent les choses en main.

 

Quelle est l’origine des problèmes des enseignants des écoles privées ?

Depuis les années 1960, la Côte d’Ivoire est indépendante. Il faut accroître l’alphabétisation afin d’avoir des cadres pour impulser le développement. Il faut le signaler au passage, l’éducation est le socle d’un développement durable. Pour atteindre cet objectif, l’État va s’impliquer à tous les niveaux en partant de la formation des formateurs, jusqu’à l’amélioration de leurs conditions de vie et de travail. Ces actions gouvernementales vont se symboliser par une école des formateurs avec au moins, deux ans de formation ; des écoles respectant des normes, des effectifs raisonnables dans les salles de classe et un traitement salarial raisonnable pour les acteurs. À un moment donné, l’État décide de se retirer et de confier ce secteur à des hommes d’affaires.

 

Quelles sont les raisons de ce changement brusque ?

À partir des années 1980, notre pays fait face à la crise économique. Il va donc falloir réduire les dépenses de l’État et malheureusement, l’éducation fait partie des secteurs à restructurer. L’État décide de se transformer en parents d’élèves en concédant l’éducation nationale à des partenaires privés. L’école est progressivement transformée en structure privée et selon les statistiques du ministère de l’éducation nationale et de l’alphabétisation, ce sont aujourd’hui, plus de 70 % des écoles en Côte d’Ivoire qui sont détenues par des privés.

 

Comment cela se traduit-il sur le terrain ?

Sur le terrain, le constat est triste. La pédagogie a laissé la place au business. Les hommes d’affaires se voient dans leur monde d’affaires. Ils ne paient pas le salaire conventionnel. Ils font des recrutements arbitraires de personnes peu qualifiées à la pédagogie pour payer moins et faire le maximum de profit. Ils utilisent la carte de l’intimidation et du chantage pour régner en seigneur. Même les structures étatiques, censées réguler ce secteur, se prêtent au jeu des fondateurs. Des autorisations d’enseigner, de diriger, de création d’écoles sont délivrées sur des bases inconnues. En tout cas, on se retrouve dans un désordre qui perdure comme si des mains obscures entretenaient cela. Des écoles sans normes qui reçoivent des affectés de l’État et la subvention qui va avec.

 

Que faites-vous en tant qu’enseignants pour remédier à cette situation ?

En tant qu’enseignants, nous avions dans un premier temps, fait confiance au système et aux syndicats, mais à un moment donné, on s’est rendu compte qu’il fallait prendre les choses en main pour la bonne santé de notre éducation nationale. Les gens verraient seulement des enseignants du privé qui réclament des meilleures conditions de vie et de travail, mais il faut voir au-delà, car c’est tout le système éducatif qui souffre et donc, l’avenir de la nation ivoirienne. Nous avons commencé par l’union et là, nous avons réuni pour le moment, 1500 travailleurs du privé des quatre coins du pays et chaque jour, la famille s’agrandit. La bonne nouvelle, c’est que ces braves travailleurs ont manifesté leur mécontentement par rapport à leur manque de considération. Notre objectif, c’est de nous faire entendre par nos autorités.

 

À combien peut-on estimer la paie d’un enseignant du privé ?

Selon la convention de 1994, l’enseignant du premier cycle doit percevoir 93 000 FCFA par mois et celui du second cycle 103 000 FCFA. À ces salaires, on devrait ajouter la prime de transport. Ce salaire a connu plusieurs augmentations et la dernière date de 2015. Mais tenez-vous bien, notre dernière enquête effectuée en mai 2022, a révélé des salaires de 50 ou 60.000 FCFA pour le primaire et des salaires de 70, 80 ou 90.000 FCFA pour le secondaire pour des volumes horaires allant de 25 à 30 heures par semaine. Les enseignants broient du noir, ces pseudo-salaires ne sont pas continuels. Certaines écoles paient 8 mois sur 12 et des mois comme février et décembre qui comptent beaucoup de congés, sont des mois de calvaire, car le salaire est divisé. Jusqu’aujourd’hui, des enseignants n’ont pas été payés pour les mois d’avril et de mai.  Ces braves citoyens diplômés des universités donnent la connaissance dans des conditions inimaginables, aucune prime de transport ni de logement, aucune couverture santé. Ils ne sont même pas déclarés à la CNPS.

 

Il y a des autorisations d’enseigner que l’État demande aux enseignants du privé, qu’en est-il réellement ?

Une autorisation d’enseigner est un document qui atteste que le diplômé est apte à enseigner. Elle est délivrée par la Direction de l’encadrement des établissements privés (DEEP), une structure dirigée par les acteurs du public et qui est censée réguler le fonctionnement des écoles privées afin de garantir des meilleures conditions. Laissez-moi vous dire madame, c’est un document sans valeur. La DEEP, pour justifier le montant pris avec les postulants, fait des rassemblements sur 10 jours à la suite desquels on leur délivre ce document. Les professeurs des établissements publics sont formés à l’ENS pendant au moins deux ans par des professeurs d’université. Et d’ailleurs, les fondateurs ne tiennent même pas compte de cette autorisation dans le traitement des enseignants.

 

Que propose le collectif pour changer la situation de l’enseignant du privé ?

Dans un premier temps, la DEEP doit être gérée par les acteurs du privé, car qui mieux que le travailleur du privé connaît les problèmes du privé ? Nous connaissons très bien le milieu et on pourra faire un toilettage profond. Ensuite, le salaire doit être revu le plus rapidement possible et la subvention doit servir à payer directement les travailleurs via le trésor par exemple. Enfin, toutes ces écoles qui ne sont pas dans les normes, devront être retirées de la plateforme des affectations en 6e. Évitons d’envoyer nos enfants à l’abattoir et venir dire après qu’ils n’ont pas le niveau. Nous sommes les travailleurs du privé de l’éducation nationale, nous lançons un appel à Mme la ministre de l’éducation nationale et de l’alphabétisation Mariatou Koné. Sans aucun doute, les actions qu’elles posent prouvent qu’elle recherche l’excellence pour notre éducation nationale et nous sommes disposés à l’accompagner.

 

Réalisée par Roxane Ouattara

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