Société

Prolifération des discours de la haine sur la toile : Les recettes d’Abraham Kouassi

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Les discours de haine prennent de plus en plus d’ampleur, tant sur les réseaux sociaux qu’entre les populations hors des réseaux sociaux en Côte d’Ivoire. Abraham Kouassi (Coordonnateur de l’équipe de rédaction du guide contre les discours de haine de la Deutsche Welle Akademie) explique comment agir efficacement contre ce fléau en Côte d’Ivoire.

 

Qu’est-ce qu’un discours de haine ?

Il faut savoir qu’il n’existe pas de définition type du discours de haine. Cependant, on peut présenter le discours de haine comme toute parole qui vise une personne ou un groupe de personnes sur la base de critères tels que la race, la religion, l’ethnie ou le sexe. J’ai l’habitude de dire que le discours de haine attaque les personnes pour ce qu’elles sont. Ce type de discours est donc particulièrement offensant pour une personne ou un groupe. La particularité du discours de haine est le risque important de violence qu’il fait planer sur une ou plusieurs communautés. En tant que journaliste, nous pouvons être confrontés à ce type de discours pendant les périodes électorales. C’est pour cela qu’il faut être vigilant, surtout quand il s’agit de propos tenus par des personnalités de premier rang.

Mais, il ne faut pas confondre le discours de haine à des réalités sociales telles que la parenté à plaisanterie qui est bien connue en Côte d’Ivoire sous le vocable d’alliance ethnique. Il ne faut pas aussi assimiler les attaques personnelles au discours de haine, au risque de traquer tout et n’importe quoi. Tous ces aspects sont bien expliqués dans le guide contre les discours de haine qui a été publié lors de ce mois de mars 2022.

 

Quel est le contenu de ce guide et est-il disponible pour tous les journalistes ?

L’idée de produire un guide contre les discours de haine a été validée par la Deutsche Welle Akademie, suite aux recommandations des moniteurs lors du monitoring mené par la PNCI et l’UNJCI. L’objectif était de ne pas se limiter à la seule dénonciation des fautes, mais de contribuer à leur éradication dans nos articles de presse. Il s’agit d’un document rédigé par une équipe de journalistes ivoiriens que j’ai eu la chance de diriger. Le guide est disponible en version numérique, téléchargeable gratuitement sur le site des publications de la Deutsche Welle Akademie qui est le centre de la Deutsche Welle pour le développement international des médias, la formation journalistique et le transfert de connaissances. En outre, 1500 exemplaires seront imprimés et distribués dans les rédactions et écoles de journalisme. Le contenu se veut digeste pour permettre aux journalistes et professionnels de l’information de comprendre rapidement la thématique avec des exemples issus de nos médias et des contributions de professionnels chevronnés. C’est le lieu pour moi de remercier toutes les personnalités du monde des médias qui ont accepté de contribuer à la rédaction de ce manuel. En prélude à la publication du guide, nous avons formé une trentaine de journalistes basés à Abidjan, Yamoussoukro, Bouaké et Korhogo sur la question des discours de haine. Nous invitons les journalistes et étudiants en journalisme à s’approprier ce manuel.

 

Le discours de haine est-il fortement présent en Côte d’Ivoire ?

Répondre directement à cette question est un peu difficile car, il n’est pas possible de parler pour l’ensemble de la Côte d’Ivoire. Cependant, dans les médias et sur les médias sociaux, ce mal est bien réel. J’ai eu l’opportunité de toucher à la question, déjà en 2019 en travaillant en tant que consultant pour la Deutsche Welle Akademie lors du monitoring mené par l’OLPED, puis la PNCI et l’UNJCI.  J’ai ensuite travaillé en tant que moniteur des discours de haine et de désinformation sur les réseaux sociaux pour le compte de la Mission internationale d’observation électorale EISA-Centre Carter, lors de la présidentielle de 2020 et des législatives de 2021. De ces expériences, le constat qui ressort à mon niveau, est que les discours de haine dans les médias, sont parfois rapportés du fait d’une méconnaissance de la question par les journalistes. L’objectif n’est pas de nuire à la société. Les journalistes qui relaient ces propos, ne pèsent pas toujours leur dangerosité sur le tissu social. C’est pour essayer de pallier ce manque que la Deutsche Welle Akademie a accompagné des journalistes ivoiriens dans la conception d’un guide contre les discours de haine dans les médias.

 

On parle beaucoup des journalistes, mais les cyberactivistes et autres influenceurs ne sont-ils pas aussi des potentiels vecteurs des discours de haine ?

Malheureusement oui, et ce guide peut être consulté par tous les usagers d’Internet, notamment les activistes. Les réseaux sociaux sont un terreau fertile pour le discours de haine.

Pourquoi selon vous ?

Vous savez, Internet offre ce que la place publique ne peut donner, à savoir un espace pour se défouler, sans avoir à affronter un regard critique. Les réseaux sociaux sont un véritable exutoire pour beaucoup qui y déversent haine et frustration avec l’idée selon laquelle, ils sont cachés derrière un ordinateur ou un téléphone. Lors de la présidentielle et des législatives, la plupart des discours de haine recueillis, provenaient de Facebook. Facebook en Côte d’Ivoire, c’est plus de 5 millions d’utilisateurs et cette plateforme représente un important moyen de propagande. Ce qui ne peut pas être dit pendant un meeting public, sur un plateau télé ou dans un journal, est déversé sur Facebook, en utilisant des avatars et autres activistes appelés influenceurs. Cette impression de liberté fait des réseaux sociaux, un espace privilégié du discours de haine. Cependant, il faut noter que cette situation n’est pas l’apanage de la Côte d’Ivoire. Il faut également préciser que des lois pour réguler Internet existent. Il faut donc que les auteurs de ces discours comprennent qu’il y a des risques de condamnation et certaines ont déjà été prononcées.

 

Les personnalités politiques en Côte d’Ivoire sont parfois taxées d’être des auteurs de discours de haine. Est-ce une réalité ?

En Côte d’Ivoire, le discours de haine apparaît très souvent dans un contexte électoral. Des personnalités politiques s’y adonnent parfois, avec beaucoup de subtilités. Nous avons dans le guide, averti les journalistes sur ce fait en laissant quelques recommandations et exemples. La position sur l’échiquier régional ou national d’une personnalité est importante quand on veut traquer les discours de haine car, les propos tenus par un président, un ministre, un général, un chef traditionnel, un guide religieux ou un élu local, n’ont pas la même résonnance que ceux de tout le monde. Pour cela, les journalistes doivent se montrer très attentifs aux propos tenus par nos dirigeants et ne pas hésiter à les dénoncer.

 

Quelles peuvent être les conséquences du discours de haine ?

Le discours de haine peut déboucher sur des violences parfois très graves. L’histoire dans le monde l’a déjà démontré. En Côte d’Ivoire, on se souvient des violences survenues contre des membres de la communauté nigérienne après un appel lancé sur Facebook par une cyber-activiste. Dans nos régions, la plupart des conflits qui éclatent lors des élections sont presque toujours la conséquence d’une propagande haineuse, faite par des leaders politiques qui ensuite, jouent les pompiers. Les journalistes ne doivent plus être complices de cette situation. Par le passé, des journaux se sont laissés embarqués par le politique, en contribuant à attiser la haine. Il faut que les journalistes prennent conscience de leur rôle et ne soient pas des vecteurs de haine et de violence.

 

Quelles solutions proposez-vous pour contrer les discours de haine ?

Il faut continuer sans relâche à sensibiliser. L’éducation aux médias et à l’information doit s’intensifier et la Deutsche Welle Akademie a déjà mené des projets dans ce sens en Côte d’Ivoire. En outre, il faut que les journalistes se forment davantage sur la question et dénoncent les auteurs de ces discours. Il ne faut plus rien laisser passer, même les discours les plus subtils. Les utilisateurs des réseaux sociaux les plus suivis, doivent également faire preuve de plus de responsabilité car, même si Facebook fait déjà des efforts en termes de restriction contre ce type de propos, leur responsabilité reste entière. Qu’ils œuvrent à influencer positivement la société. Le cadre juridique déjà existant, doit être renforcé. Dans ce sens, la récente ordonnance du gouvernement qui prend désormais en compte, les influenceurs et activistes est une démarche à saluer. J’invite une fois de plus, les journalistes et professionnels de la communication à s’approprier ce guide qui est avant tout, leur outil.

 

Interview réalisée par  Roxane Ouattara

 

 

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