Société

Interview/ Enlèvement des personnes : Coulibaly Pelibien Ghislain (Sociologue)

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« On peut se retrouver dans un système de trafic humain »

 

On assiste de plus en plus à une recrudescence des enlèvements des personnes, surtout de sexe féminin. Le sociologue Coulibaly Pelibien Ghislain, expert en genre dans cette interview, donne les raisons de ce phénomène et propose des pistes de solutions.

 

 

Il y a beaucoup de cas d’enlèvements, surtout de femmes et de petites filles ces temps-ci. Ces faits ont-ils une explication ?

C’est un phénomène qui n’est pas nouveau. Mais à l’analyse, il est à mettre en lien avec les crises successives qu’a connues la Côte d’Ivoire.  Je veux parler des ruptures que nous avons tous connues depuis 2002 qui se sont muées en partition de fait du pays. Il y a aussi la crise postélectorale de 2010-2011. Ce cycle de rupture sociale inscrit la Côte d’Ivoire dans une culture de violence.  Donc, nous avons dans le champ politique, la culture de la violence qui s’installe de plus en plus, avec des antagonismes assez manifestes. Également, au niveau de l’école, il y a les élèves qui, de plus en plus, imposent leur diktat avec les congés anticipés, à l’orée des congés de Noël. Au niveau de l’Université, l’on assiste aux manifestations de la FESCI, même si ces dernières années, elle semble quelque peu calme.

 

 

Cela suffit-il à expliquer cette situation ?

Tous ces indicateurs montrent manifestement que la culture de la violence s’est installée en Côte d’Ivoire. Je prends un dernier exemple, en Côte d’Ivoire, ces cinq dernières années, en termes de violences basées sur le genre, on a plus de 5000 cas. La majorité des cas sont les cas de viol sur les enfants. Malheureusement, notre société va mal, notre pays est en pleine crise de valeur, une crise de modèle.

 

Quand vous parlez de crise de valeur, à quoi faites-vous allusion ?

Quand je parle de crise de valeur, de nos jours, disons qu’il n’y a plus de respect de l’aîné dans nos quartiers. Le phénomène des congés anticipés prouve la déliquescence de l’autorité de l’État sur le champ de l’école, et par ricochet, de l’éducation. Nous avons une perte de valeur lorsque pendant les examens à grand tirage, la tricherie est manifeste. La preuve, ces dernières années, ce sont des cartels de tricheurs qui sont démantelés. Ces exemples justifient la crise des modèles. Lorsqu’on a une crise armée qui se transforme en rébellion avec des acteurs qui émergent et bouleversent tout l’ordre social, alors qu’on était dans une culture dans laquelle on disait qu’il fallait étudier à l’école pour réussir, on est de plain-pied dans une crise de valeur.

 

Voulez-vous dire en clair qu’il n’y a pas de modèle ?

Même quand il y a des modèles, ils ne sont pas présentés comme des exemples dans nos médias publics. Et c’est cette crise de modèle qui impacte notre société.

 

 

Ces enlèvements ne traduisent-ils pas le développement du trafic d’organes humains ?

 

Toutes les hypothèses se valent. J’ai entendu dire que lorsque nous sommes dans la phase électorale, on assiste à beaucoup d’enlèvements. Donc, les enlèvements peuvent être contextualisés.

 

Comment ?

Lorsque nous sommes en période électorale, on assiste à des enlèvements. On pourrait dire que cela est en lien avec le champ politique lorsqu’il est en ébullition. Mais, lorsque nous sommes dans les périodes d’accalmie, manifestement, on peut se retrouver dans un système de trafic humain. Ce sont des hypothèses à ne pas écarter. Mais, n’oublions pas qu’il y a la drogue qui pullule. Tous nos établissements sont assaillis par la drogue. Il y a aussi des rituels. On peut enlever un enfant juste pour faire des rituels. N’oublions pas aussi que nous avons un grand trafic de personnes humaines qui quittent les autres pays pour la Côte d’Ivoire et inversement.  On peut avoir des personnes enlevées et emmenées vers d’autres pays de la sous-région.  C’est vrai qu’on n’a pas mené d’études en tant que telles, mais c’est le constat que nous faisons.

C’est le lieu pour moi de lancer un plaidoyer auprès de nos autorités afin que des mesures vigoureuses soient prises pour une tolérance zéro contre les cas d’enlèvements en Côte d’Ivoire, surtout que les enfants et les femmes sont les cibles.

 

 

 

 

Que faut-il faire concrètement pour aboutir à cette tolérance zéro ? On a encore en mémoire le cas du petit Bouba, disparu et retrouvé mort...

 

Il faut que la riposte commence par nos cellules familiales. C’est le lieu d’interpeller tous les parents pour qu’on puisse redoubler de vigilance et faire en sorte que les enfants soient sensibilisés sur ce fléau qui gangrène notre société. Et au-delà des cellules familiales, il faut développer la communication de proximité avec les enfants. Il faut que le gouvernement prenne ses responsabilités en sanctionnant les responsables des enlèvements.

 

De quels types de sanctions s’agit-il ?

 

Les auteurs qui seront pris, doivent être sanctionnés sévèrement. La Côte d’Ivoire a un arsenal juridique qui adresse toutes ces problématiques d’enlèvements. Il faut que le gouvernement en fasse un point important en conseil des ministres.  Que le Premier ministre en fasse une priorité. Beaucoup de choses sont en train d’être faites pour que la Côte d’Ivoire soit un pays sérieux et développé, mais il faut un minimum de sécurité. Il faut redoubler de vigilance.

 

Quelles solutions proposez-vous concrètement pour éradiquer ce phénomène ?

 

Il faut une mutualisation des efforts entre les ministères techniques, surtout le ministère de la Femme, de la Famille et de l’Enfant qui adresse les problématiques liées à la femme, mais surtout à la famille ; d’autant plus que la famille est la première étape du processus de sensibilisation, mais surtout de dénonciation.  Il faut que les populations soient solidaires de tout le système sécuritaire qui est mis en place. Il faut un rapprochement entre les civils et les forces de l’ordre, de sorte que les populations puissent être impliquées dans les cas de dénonciation.

 

 

L’une des inquiétudes souvent exprimées par les populations, c’est que ces criminels sont dans des réseaux très puissants et pourraient bénéficier de complicité solide dans l’appareil judiciaire ou exécutif. Qu’en pensez-vous ?

 

Je pense que la Côte d’Ivoire est un pays sérieux et les différentes enquêtes doivent être conduites à leur terme. Nos autorités judiciaires doivent accélérer le processus afin qu’on ait des résultats. Pour l’heure, il n’y a pas d’études faites pour jeter l’anathème sur X ou Y.

 

 

Réalisée par Ernest Famin

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