D’un piège à un autre. Dans leur ouvrage, intitulé « Le piège africain de Macron », les confrères Antoine Glaser et Pascal Airault, se gaussent presque du président français, Emmanuel Macron, qui est rattrapé par des pratiques inhérentes à la FrançAfrique, alors qu’il s’était juré de rompre avec.
Avec le retour annoncé des Damana Adia dit Pickas, Justin Koné Katinan, le vendredi 30 avril 2021 et de Laurent Gbagbo, plus tard, on est porté à paraphraser le titre de cette œuvre en se demandant si Ouattara et le Rassemblement des Houphouétistes pour la démocratie et la paix (Rhdp) ne sont pas dans le piège, mieux dans les pièges du Front populaire ivoirien (Fpi). Bien sûr, le mot piège ne renvoie ici pas aux mêmes réalités.
Des gestes forts pour la paix
Des caciques de l’ancien régime Gbagbo s’apprêtent à signer leur retour au pays. Il s’agit notamment de Damana Adia alias Pickas, de Koné Katinan et de Koudou Jeannette, la sœur cadette de Laurent Gbagbo. Le vendredi 30 avril, ils devraient fouler l’aéroport Félix Houphouët-Boigny, dix ans après avoir fui leur pays suite à la guerre postélectorale. Ils rentrent définitivement d’exil sans crainte de poursuites judiciaires encore moins d’être jetés en prison pour avoir été condamnés par contumace à quelque peine que ce soit. De fait, par souci de consolider la réconciliation, le président de la République, Alassane Ouattara, avait pris, en août 2018, une loi d’amnistie mettant fin aux poursuites à leur encontre et effaçant des condamnations pénales. Une amnistie valable pour ceux mêmes qui faisaient l’objet d’un mandat d’arrêt.
Koné Katinan, qui avait été condamné par contumace à 20 ans de prison dans l’affaire du casse de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Bceao) est donc assuré de n’être nullement inquiété. Tout comme Damana Pickas, sur la tête de qui pendait, il y a encore quelques années, un mandat d’arrêt, pour avoir cafouillé la proclamation des résultats de la présidentielle de 2010, par la Commission Electorale Indépendante (Cei). Avant eux, c’est le gendre de Gbagbo, Stéphane Kipré, qui avait annoncé, via les réseaux sociaux, son intention de retourner au pays et cela dans la dynamique de l’acquittement de l’ex-chef de l’Etat.
En rompant ainsi les vannes, le parti au pouvoir entend donner des gages d’une réelle volonté de recoller les morceaux d’un tissu social déchiré par la guerre d’il y a dix ans. Fort des lauriers glanés durant cette décennie, il croit pouvoir gérer le retour de ces barons de l’ex-régime Gbagbo, dont certains comme Damana Pickas et Koné Katinan font partie des ultras.
"Le Rhdp pense sans doute aussi pouvoir miser sur certaines considérations qui ont pu le laisser croire que le Fpi demeurera pour longtemps encore groggy, même avec le retour de Gbagbo et ces cadors de l’ancien régime"
Le piège
Au nombre de ces considérations : l’affaissement de ce parti, en raisons des dissensions internes qui le minent depuis le transfèrement de son fondateur, Gbagbo, à La Haye et l’incarcération de son épouse Simone, tous deux écartés de ce fait de la gestion du Fpi. Depuis, le navire « rose » a pris de l’eau de toutes parts. Il a perdu Mamadou Koulibaly, l’une de ses figures de proue de l’époque. Puis s’en est suivi un schisme dont le Fpi peine à se remettre : Affi N’guessan, qui assurait la présidence du parti quand Gbagbo dirigeait le pays, s’est arc-bouté à son siège de président du Fpi, au grand dam de ses camarades, qui se réclament du Fpi fidèle à l’ex-chef de l’Etat. Cette guéguerre entre pro-Affi et Gbagbo Ou Rien (Gor), a pu donner le sentiment au parti au pouvoir que le parti fondé par Gbagbo a perdu de sa superbe, de sa force de frappe.
Un sentiment que sont venus, sans doute, renforcer les résultats peu flatteurs qu’ont récoltés, lors des législatives du 6 mai 2021, les candidats présentés par l’ensemble des partisans de Gbagbo. Autant de paramètres qui, ajoutés aux querelles de ménage de l’ex-couple présidentiel, ont pu faire croire au parti au pouvoir que le Fpi, c’est fini. Avec ou sans l’arrivée des Katinan, Damana Pickas et même de Gbagbo. Erreur ! Et c’est là le piège voire les pièges qui guettent le Rhdp, au sens de danger caché.
En effet, le Rhdp aurait tort de penser que le Fpi est fini ou même chancelant au point de finir au tapis. Le retour de ces pontes du régime, on s’en doute, pourrait venir doper le moral des ouailles de Gbagbo, lesquelles continuent de lui vouer une admiration à la limite de la dévotion. En retrouvant l’essentiel de ses têtes fortes d’il y a dix ans, le Fpi va assurément se reconstituer et pourrait ainsi retrouver sa vigueur d’antan. Et par conséquent constituer à nouveau une force avec laquelle le Rhdp devra compter. Surtout que le seul nom de Gbagbo reste un facteur de mobilisation des énergies, une sorte de mantra qui pourrait mettre en mouvement ses inconditionnels.
Ce Fpi, susceptible de renaître de ses cendres, pourrait être davantage revigoré par le soutien du Parti Démocratique de Côte d’Ivoire (Pdci) d’Henri Konan Bédié. En alliance avec le Pdci depuis quelque temps, ce parti pourrait se positionner comme un épouvantail pour le parti au pouvoir, comme il l’a été contre le Pdci d’Houphouët-Boigny, aux premières heures du multipartisme. D’où l’intérêt pour le Rhdp d’anticiper sur ce probable réveil du « serpent » en prenant les devants. Ici et maintenant.
Assane NIADA