
« Salut ô terre d’espérance ! »
Peuple de Côte d’Ivoire,
En cette année jubilaire de l’espérance décrétée par le Pape François, Nous, Archevêques et Évêques de Côte d’Ivoire, soucieux de prolonger les réflexions entamées lors des précédentes assemblées plénières, et tenant compte des enjeux que représente l’élection présidentielle d’octobre 2025 pour notre pays, en cette période de jeûne et de pénitence pour les musulmans et les chrétiens, vous adressons ce message pour une élection présidentielle juste, transparente, inclusive et apaisée.
Bref rappel historique et état des lieux
Il y a trente-cinq (35) ans, des événements politiques ont secoué la Côte d’Ivoire avec le retour au multipartisme. La forte demande d’alternance politique de l’époque a causé un changement profond de mentalité avec des choix politiques, institutionnels et sociaux qui ont donné aux Ivoiriennes et Ivoiriens une nouvelle pratique des libertés et d’éducation politique au service de la nation.
Le chemin parcouru, de façon globale, n’a pas consisté en un triomphe individuel mais en celui de la nation entière : trente-cinq (35) années de pratiques politiques ponctuées de dialogue pour la sauvegarde du bien commun et la recherche d’un État de droit. Malheureusement, ces dernières décennies ont été centrées sur une politique taillée sur mesure et au profit d’intérêts partisans.
Le coup d’État de 1999 et la rébellion armée de 2002 ont plongé le pays dans une situation socio-politique dramatique avec son lot de morts et de désolation. L’idolâtrie politique, avec les élections de 2010 et 2020, a mis en veilleuse les valeurs humaines qui sont la boussole invariable où la culture politique à visage humain tire sa raison d’être. En effet, la situation politique actuelle, dans une société en perpétuelle mutation, continue d’angoisser les Ivoiriennes et Ivoiriens qui, en fin de compte, considèrent la politique comme l’arène de tous les dangers.
Nous rappelions, à l’issue de la 126ème Assemblée plénière tenue à Bondoukou du 20 au 26 janvier 2025, que la politique est une noble vocation pour la gestion du bien commun. À ce titre, elle doit être au service de l’homme et de la société comme une exigence intrinsèque. Malheureusement, le constat en ces dernières décennies de vie politique laisse entrevoir la prise en otage des populations ivoiriennes par des politiciens de tout bord qui ont transformé l’école, l’administration, les médias et les syndicats en appareils idéologiques.
La situation socio-politique ne rassure guère. La culture de la violence, le phénomène des « microbes », la drogue dans les écoles, l’interdiction de manifestation politique, l’achat des consciences, le scandale foncier, le maintien d’opposants politiques en prison ou en exil, les discours à relents identitaires, indécents, discourtois et la vie chère ne font que renforcer le sentiment de méfiance et la tension sociale faite de peur et de stress.
L’élection présidentielle à venir inquiète toute une population dont la mémoire reste blessée par les précédentes élections, surtout celles de 2010 et 2020. Cette élection nouvelle ne doit pas se transformer en crise dislocation des familles, de délinquance, de mensonge, d’humiliation, de déshumanisation. Il est récurrent qu’en période électorale, sous l’instigation des politiciens, les habitants de notre beau pays, qui pourtant aiment la vie, cultivent la mort et deviennent fratricides au point d’oublier qu’ils n’ont qu’une maison commune : la Côte d’Ivoire.
Certes, la situation n’est pas reluisante. Cependant, nous devons garder l’espérance. C’est pourquoi, Nous, vos Archevêques et Évêques, après avoir prié et réfléchi, lançons un appel pressant à tous :
Appels Aux gouvernants
La Côte d’Ivoire est à un tournant décisif de son histoire. Aussi appelons-nous au renforcement des bases éthiques ; et à la légitimation démocratique par une décision d’intégration politique de tous les candidats pour une élection présidentielle juste, transparente, inclusive et apaisée. Cela est d’autant plus urgent que la réconciliation nationale constitue un véritable défi car malgré les efforts notables du gouvernement, certains chantiers entamés dans cette perspective sont demeurés comme des symphonies inachevées.
À la CEI (Commission Électorale Indépendante)
La démocratie présuppose la capacité de conjuguer de bons choix et des procédures efficientes. Les Institutions démocratiques lient les structures et les procédures de participation avec des structures de gouvernance. Sur ce précis, le débat sur la composition et le fonctionnement de la Commission Électorale Indépendante (CEI), ne donne pas l’assurance de son indépendance. Aussi appelons-nous la CEI à construire la confiance en respectant les normes les plus objectives de transparence et d’impartialité. Nous l’exhortons également à honorer son engagement en faveur de l’équité et à travailler à la réduction de toute faille potentielle dans le système qui pourrait miner la confiance du public dans les futures élections. Elle est la garante du processus électoral. Qu’elle s’engage donc dans un dialogue constant avec toutes les parties prenantes, en particulier les partis politiques, afin de répondre à toutes les préoccupations,
Résultats
Aux partis politiques
Dans les groupements politiques où vous militez et travaillez, que l’amour de la Nation vous anime et fasse découvrir l’autre comme un frère ou une soeur, en vous efforçant d’être des artisans de communion et de paix dans la vérité comme nous y invite l’Apôtre Paul : « Ayez les mêmes dispositions, le même amour, les mêmes sentiments ; recherchez l’unité. Ne soyez jamais intrigants ni vaniteux, mais ayez assez d’humilité pour estimer les autres supérieurs à vous-mêmes. Que chacun de vous ne soit pas préoccupé de ses propres intérêts ; pensez aussi à ceux des autres. »3 Le défi demeure et reste à relever à travers une volonté d’aller de l’avant, sans ruser.
Aux guides religieux
Nous, vos frères les Archevêques et Évêques, vous encourageons à préserver la paix en faisant preuve de dignité devant le marchandage financier électoraliste. Ensemble, travaillons à plus de décence et de vérité; et que la recherche du gain facile, la convoitise, la recherche du mieux-être à tout prix, ne mettent pas à mal notre intégrité. Notre Dieu qui est UN et qui aime tous les hommes d’un même amour, nous a choisis comme des guetteurs. Redoublons d’ardeur dans la prière. Que par sa miséricorde, notre pays connaisse enfin la joie d’une élection présidentielle juste, transparente, inclusive et apaisée.
Aux professionnels des Médias nationaux et internationaux
« Les médias peuvent constituer une aide puissante pour faire grandir la communion de la famille, (…) quand ils deviennent des instruments de promotion de la participation de tous à la recherche commune de ce qui est juste. (…) Pour atteindre de tels objectifs, il faut qu’ils aient pour visée principale la promotion de la dignité et des peuples, qu’ils soient expressément animés par la charité et mis au service de la vérité, du bien et d’une fraternité ».
Lors d’une élection présidentielle, les médias jouent un rôle crucial car ils influencent la perception du public, facilitent l’accès à l’information et contribuent à un débat démocratique éclairé. Pour l’élection présidentielle à venir, nous recommandons avec insistance aux médias et aux réseaux sociaux de jouer un rôle de gardien de la démocratie, en fournissant une information vérifiée, en encourageant un dialogue civilisé, en respectant l’éthique professionnelle. Nous exhortons les professionnels des médias, notamment les organes de régulation comme la HACA (Haute Autorité de la Communication et de l’Audiovisuel) et l’ANP (Autorité Nationale de la Presse) à veiller à la parité dans le traitement des informations de tous les partis politiques. N’attisez pas la haine !
Aux jeunes
Chers jeunes, nul n’ignore l’importance de votre place et votre rôle capital dans la société. Conscients de cela, les leaders politiques de notre société usent de tous les moyens pour s’attirer vos faveurs. Ainsi, et spécialement en période électorale, vous êtes la cible privilégiée de ces prédateurs politiques qui profitent des difficultés auxquelles vous êtes confrontés. Chers jeunes, Nous vos Pères, à la suite du Pape Benoît XVI, attirons votre attention : « (…) ceux qui vous font ces propositions veulent détruire votre futur ! (…) ne vous laissez pas décourager et ne renoncez pas à vos idéaux (…) Cultivez en vous l’aspiration vers la fraternité, la justice et la paix. »5 Nous vous supplions de prendre conscience de votre avenir et d’agir en toute responsabilité.
Aux F.D.S (Forces de défense et de sécurité)
Nous exhortons les forces de défense et de sécurité à faire preuve de professionnalisme, de neutralité et de respect des droits humains pour sécuriser et garantir des élections pacifiques et transparentes. La préparation et la coordination avec les autres parties prenantes (commissions électorales locales, autorités judiciaires, etc.) sont essentielles pour minimiser les risques et assurer le bon déroulement de l’élection présidentielle.
« Fiers Ivoiriens, le pays nous appelle ! »
Le chemin que Dieu le Père nous trace en cette année 2025 est pour tous un chemin de paix, d’espérance et de joie. Dans cette perspective, Nous, vos Archevêques et Évêques, face aux espoirs et angoisses, vous invitons à scruter les signes des temps. Ne mettons plus notre pays et ses habitants en danger. Nous ne voulons plus de conflit post- électoral ! Plus de guerre ! Plus de morts ! Notre pays est à une phase charnière : une autre ère s’annonce pour des lendemains meilleurs. Jeunes, femmes et hommes de notre beau pays, demeurez des artisans de paix.
Saint Irénée, un Père de l’Église disait déjà au 2ème siècle après Jésus-Christ : « La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant ».6 Que cette gloire de Dieu, en cette année électorale, soit reconnue dans la vie de chaque habitant de ce pays et que le défi de l’élection présidentielle soit relevé dans la sérénité, la paix et l’amour. N’oublions pas que notre devoir, c’est « d’être un modèle de l’espérance promise à l’humanité ».
« Fiers Ivoiriens, le pays nous appelle… » !