Politique

Interview / Iréné Agossa (ex-candidat à la présidentielle au Benin)

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« Le peuple béninois a été pris dans deux pièges »
Iréné Josias Agossa est un homme politique béninois qui a affronté le président Patrice Talon dans les urnes le 11 avril 2021. De passage en Côte d’Ivoire, cet ancien leader syndicaliste estudiantin qui connait bien la Côte d’Ivoire revient sur la présidentielle dans son pays et fait des révélations Guillaume Soro et Charles Blé Goudé.

Vous étiez le colistier de Corentin Kohoué à l’élection présidentielle du 11 avril 2021 au Bénin. Vous avez obtenu 2,34% face au président Patrice Talon. Quelle leçon tirez-vous de votre participation ?
Je dois avouer que nous avions été très satisfaits d’avoir participé à cette élection, surtout de l’engouement de nos militants et sympathisants qui se sont battus malgré les divergences qu’il y a eu au sein de l’opposition. Il est vrai que l’ensemble du processus a été entaché par quelques irrégularités, mais nous avons estimé qu’il ne fallait pas aller au boycott. Ceci a d’ailleurs contribué à octroyer le score stalinien de 86% à Talon, lequel score ne crédibilise pas l’opposition. Cela remet en cause toute la qualité de cette élection. Un autre fait à déplorer, c’est le taux élevé d’abstention. La grande leçon que je retiens, c’est que l’opposition n’a pas tenu un langage rassurant pour permettre au peuple de s’exprimer. S’il y a eu abstention, c’est parce que les militants de l’opposition ne sont pas sortis pour s’exprimer dans les urnes. Le peuple béninois a été pris au piège de deux rigidités : Il s‘agit de la rigidité du pouvoir et la rigidité de nos anciens camarades de l’opposition qui n’ont pas accompagné le mouvement et qui ont pris la contradiction secondaire pour la contradiction principale. En réalité, le président Talon nous a tendu une perche qu’on devait saisir pour réaliser l’alternance dans les urnes. Nous ne l’avons pas fait. Et ça, nous devons l’assumer en tant que force de l’opposition.
Vous et le président Talon aviez appartenu à la même écurie, celle du président Thomas Boni Yayi avant que vos chemins ne s’écartent. Aujourd’hui vous êtes opposés à Talon, quels sont vos rapports avec votre ancien mentor, le président Boni Yayi ?
Il faut être clair sur un fait. Au départ, le président Talon n’était pas un acteur politique. Les présidents Yayi et Talon étaient de très bons amis, mais pas dans le domaine de la politique. Aujourd’hui, entre mon ancien patron et mentor Boni Yayi, il y a un problème de vision. Il ne faut pas se le cacher. Je suis partisan des élections pour qu’on règle nos problèmes dans les urnes. Cela ne semble pas être son choix. Il y a un réel problème de vision. Le président Boni Yayi et les autres camarades ont fait le choix de ne pas participer aux élections. Il faut qu’ils l’assument devant le peuple béninois.
Après la vague des conférences nationales en 1990, votre pays faisait partie des meilleurs élèves qui étaient sur la voie de la démocratie. 30 années après et sur la base des élections qui viennent de se dérouler, quel regard jetez-vous sur le processus démocratique au Benin ?
Oui, il faut s’interroger sur l’état du processus démocratique au Benin tout comme l’on peut s’interroger sur l’état de la démocratie aux Etats Unis avec Donald Trump et l’état de la démocratie en France avec les gilets jaunes. Aujourd’hui, il est vrai, il faut reconnaître que nous avons quelques problèmes au Benin, surtout avec le pouvoir actuel où nous avons quitté l’état de droit pour l’état de lois. Ceci a été à la base de beaucoup de problèmes. A titre d’exemple, pour les dernières élections, il y a des parties du pays où l’on n’a pas pu acheminer le matériel électoral afin de permettre aux citoyens de jouer leur rôle dans le processus démocratique. Mais cela ne veut pas dire que le processus s’est arrêté. Ce sont des problèmes inhérents à la marche de la démocratie. Il faut trouver des moyens pour pouvoir les résoudre. Et pour nous, les moyens pour résoudre ces problèmes se trouvent dans l’alternance à travers les urnes et non par la violence. Nous espérons qu’après l’élection qui vient de se dérouler, le président Talon va prendre conscience de tout ce qui se passe pour aller dans le sens du dialogue que nous avons souhaité.
La Côte d’Ivoire a aussi organisé des élections difficiles en octobre 2020. Quel regard pouvez-vous jeter sur le déroulement de cette élection ?
La Côte d’Ivoire et le Benin sont deux pays où il y a beaucoup de similitudes dans les processus électoraux. Surtout dans le comportement de l’opposition. Je pense qu’on pouvait éviter tout ce qui s’est produit ici pendant les élections quand on regarde le comportement de l’opposition. Il fallait se regrouper autour d’un leader de l’opposition. L’opportunité était donnée au peuple ivoirien et surtout au peuple de l’opposition de réaliser l’alternance dans les urnes. C’était possible si tout le monde se réunissait autour d’un candidat comme Bédié. Mais quand vous vous trouvez dans une situation où la contradiction secondaire devient la principale et que l’on oublie la contradiction principale, on ne peut que se retrouver dans une telle situation. La Côte d’Ivoire s’est retrouvée encore avec le président Ouattara parce que l’opposition n’a pas su profiter de cette situation. Il faut l’assumer. Il faut éviter de jeter la pierre à l’autre et l’accuser d’être un obstacle au jeu démocratique. C’est notre organisation interne qui va nous permettre de réaliser l’alternance à travers les urnes. Et cela pouvait se réaliser en Côte d’Ivoire avec l’opposition, mais dans un climat plus apaisé et moins tendu.
A côté de la politique, vous avez un parcours de syndicaliste qui vous a amené à côtoyer vos pairs ivoiriens comme Guillaume Soro et Charles Blé Goudé. Comment s’est fait votre rencontre et quel type de collaboration avez-vous eue ?
Pour l’histoire, j’étais à la tête de l’Union nationale des étudiants du Benin et nous avions en son temps organisé notre première excursion sur Yamoussoukro via Abidjan. A l’époque, c’était Guillaume Soro qui était à la tête de la FESCI et c’est lui qui nous avait accueillis. Ceci nous a d’abord permis de connaître ce mouvement. A cette époque, il y avait déjà de fortes tendances sur la gestion de nos états. C’était sous l’ère du président Bédié où la FESCI était pourchassée. Ce qui a d’ailleurs conduit Blé Goudé en exil au Ghana. A cette époque, certains pensaient déjà que ce n’est que par la force qu’on parviendra à intégrer le système de gestion parce qu’avec les structurations des régimes, il n’y avait pas d’espoir d’y arriver. Pour d’autres, il fallait s’engager dans un processus électoral. La Côte d’Ivoire a malheureusement connu la bêtise humaine des coups d’état et rébellion, et guerre dans lesquels nos camarades ivoiriens étaient fortement impliqués. Il est vrai que chacun a eu son parcours, mais je pense que chacun aussi a tiré les leçons de tout ce qui s’est passé.
Parlant de parcours, votre camarade ivoirien Guillaume Soro a fini par diriger une rébellion et Blé Goudé s’est dressé contre lui à la tête des jeunes patriotes. Comment jugez-vous le parcours de ces deux syndicalistes ?
Le regard que j’ai est celui d’un ancien camarade. En observateur averti, je dirai que chacun de ces deux anciens camarades a pris son couloir. J’ai été surpris de voir Guillaume Soro à la tête d’une rébellion. Dans nos débats, ce n’était pas sa vision de gestion. Par contre, je ne suis pas surpris de la posture de Blé Goudé qui, à l’époque, était déjà dans une contradiction qui disait qu’on ne peut pas être avec eux sans que nous ne forcions. Mais les choses se sont passées d’une autre manière. Aujourd’hui, j’ai un regret quand je regarde tout cela parce que j’ai toujours considéré que la violence est une bêtise humaine.

Entretien réalisé par Kra Bernard

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