Dans une tribune publiée sur les réseaux sociaux le dimanche 3 octobre 2021, Guillaume Soro couvre l’ancien président Henri Konan Bédié de superlatifs, tout en noircissant Alassane Ouattara. Au passage, il semble réhabiliter l’idéologie de l’ivoirité, reniant ainsi la raison principale qu’il a invoquée pour justifier la rébellion de 2002.
À la lecture de ses « méditations dominicales », l’observateur averti de la vie politique ivoirienne de ces vingt dernières années, ne peut qu’être tout retourné devant la tentative de réhabilitation de l’ivoirité par l’ex-leader de la rébellion de 2002. Revisitant ce concept qui défraya la chronique au plus fort de la gouvernance Bédié, l’ex-Premier ministre et ex-président de l’Assemblée nationale, a semblé en justifier la justesse tout en s’offusquant presque que ce concept ait été voué aux gémonies et combattu. De toute évidence, il s’agit d’un reniement de son combat contre cette idéologie, combat qui l’avait poussé à prendre les armes le 19 septembre 2002. Il y a donc 19 ans. Un reniement qui prêterait à rire, si la gravité du sujet ne méritait pas que l’on le traite avec tout le sérieux qu’il mérite.
Une tentative de réhabilitation de l’ivoirité
De quoi s’agit-il ? Dans le texte intitulé « méditations dominicales : ma forte pensée pour le président Henri Konan Bédié, doyen politique de mon pays natal », Soro peint en rose, le président du PDCI, tout en noircissant l’actuel chef de l’État, Alassane Ouattara. Dans un passage, il revient sur la notion d’ivoirité perçue comme une idéologie xénophobe, montée en épingle par des universitaires et idéologues de Bédié, pour barrer la route du fauteuil présidentiel à Ouattara. « On reproche encore aujourd’hui au Président Bédié, la fameuse politisation du concept de l’ivoirité. Et longtemps, on lui reprochera son manque de vigilance sur ce concept qui est parti en vrille », commence par dire Soro. Et de renchérir : « Moi personnellement, je reproche au Président Bédié de ne pas écrire de livre sur la question pour grand public, comme il a tenté de me l’expliquer en marge des négociations de Marcoussis en 2003. Il avait pris le temps de m’expliquer le parallèle qu’il faisait avec la négritude ou l’africanité pour évoquer la civilisation négro-africaine multimillénaire ».
• Comment l’ex-rebelle se tire une balle dans les pieds
En établissant un parallèle entre « la négritude » et l’ivoirité ou « l’africanité » et l’ivoirité, l’ex-leader de la rébellion tente, manifestement, de hisser ce concept abject au rang des causes nobles défendues par d’illustres penseurs. C’est d’ailleurs ce qu’il confirme plus loin en ajoutant : « Il est temps qu’il écrive sa pensée d’alors, fort travestie par la propagande comme il l’affirme lui-même. On l’entendra peut-être mieux avec du recul ». Ces derniers propos achèvent de convaincre que l’ex-homme fort du Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire (MPCI) s’est inscrit dans une logique de réhabilitation de l’ivoirité. Ne dit-il pas que la « pensée » de Bédié a été « fort travestie par la propagande » ? Le disant, l’ex-leader des Forces Nouvelles tend à dédouaner le président du PDCI, dont les universitaires et idéologues Jean Noël Loucou, Benoît Sacanoud, Niangoran Bouah, avaient pourtant présenté l’ivoirité comme une ségrégation assumée. « L’individu qui revendique son ivoirité est supposé avoir pour pays la Côte d’Ivoire, être né de parents ivoiriens appartenant à l’une des ethnies autochtones de la Côte d’Ivoire », écrivait Niangoran-Bouah dans le manifeste sur l’ivoirté produit en 1995, par des enseignants de la Cellule Universitaire de Recherche et de Diffusion des Idées du Président Henri Konan Bédié (CURDIPHE).
Les non-dits d’une opération de drague
C’est cette ivoirité, chargée de sous-entendu discriminatoire, voire ségrégationniste, qui avait poussé Soro et ses hommes de l’ex-rébellion à prendre les armes. C’est du moins ce qu’il avait invoqué au plus fort de la crise ivoirienne, pour justifier le recours à la force contre le régime de Laurent Gbagbo, lequel, avait-il soutenu, avait érigé la rhétorique ivoiritaire en mode de gouvernance. Dans son ouvrage paru en 2005 et intitulé « Pourquoi je suis devenu rebelle », il proclamait, urbi et orbi, qu’il avait recouru aux armes pour combattre la discrimination instaurée entre les Ivoiriens par l’idéologie de l’ivoirité. Or, voilà que le même Soro, 19 ans après la rébellion, semble ravaler l’argument qu’il avait invoqué pour porter le glaive dans le sein de la patrie. Le faisant, il renie la cause qu’il défendait hier et partant, se tire une balle dans les pieds.
À l’évidence, ce reniement de Soro trahit une opération de séduction du président du PDCI avec pour but inavoué d’être à nouveau pris sous ses ailes. Visiblement isolé sur la scène politique, Soro tente-là, de flatter Bédié dans l’espoir que celui-ci prendra à nouveau fait et cause pour lui et négociera son cas auprès d’Alassane Ouattara, avec lequel il n’est plus en odeur de sainteté. On est porté à dire qu’il s’y prend mal.
Assane Niada