International

Siama Bamba (Président de l’UTCTE SKBO) : « Voici la seule bonne solution contre le terrorisme »

siama-bamba-president-de-lutcte-skbo-voici-la-seule-bonne-solution-contre-le-terrorisme
PARTAGEZ

Que se passe-t-il à la frontières Côte d’Ivoire-Mali-Burkina Faso en proie aux groupes djihadistes ? Dans cette interview accordée à L’Avenir, le Président de l’Union Transfrontalière des Collectivités Territoriales de l’Espace Sikasso-Korhogo-Bobo-Dioulasso (UTCTE SKBo), Siama Bamba, par ailleurs Président du Conseil régional de la Bagoué, évoque les défis sécuritaires qui assaillent l’espace SKBo, peuplé de 8 millions d’habitants.

 

Vous êtes à la tête de l’Union Transfrontalière des Collectivités Territoriales de l’Espace Sikasso-Korhogo-Bobo-Dioulasso (UTCTE SKBo). Quel est le rôle de cette organisation ?

L’Espace Sikasso-Korhogo-Bobo-Dioulasso ou SKBo est un espace créé par l’UEMOA depuis 2005. Il prenait en compte, comme son nom l’indique, la grande région de Sikasso au Mali, la région de Bobodioulasso au Burkina Faso et la région des Savanes en Côte d’Ivoire, qui avait, à l’époque, pour capitale Korhogo. C’est un espace de 165 000 Km2 qui abrite aujourd’hui quelque 8 500 000 habitants. La particularité de cette zone est qu’elle est peuplée par un même peuple séparé par des frontières héritées de la colonisation. En  2016, nous avons décidé de créer une faîtière réunissant les collectivités territoriales de cette vaste région transfrontalière.

Aujourd’hui encore, il y a des villages au Mali où tout décès est d’abord annoncé dans un village en Côte d’Ivoire avant de retourner pour en informer tout le village. A Dêbêtê, village ivoirien de la Bagoué, les propriétaires terriens sont au Mali. Si vous voulez une parcelle pour un champ, vous devez aller en faire la demande dans le village voisin, situé en territoire malien. Ce sont les réalités de nos frontières.

 

Selon l’armée ivoirienne, un hélicoptère, « en mission de reconnaissance sur la ligne frontalière nord » s’est écrasé dans la soirée de ce 10 septembre 2021 dans le département de Téhini, en territoire ivoirien. Les cinq occupants auraient tous péri. Faut-il y voir la main de djihadistes ?

Un drame est effectivement survenu dans la nuit de jeudi à vendredi. Des enquêtes sont en cours et nous ne pouvons à priori nous substituer à elles. Pour l’heure, nous sommes très affectés par cet accident et adressons nos sincères condoléances aux familles explorées.  

 

Où en sommes-nous aujourd’hui avec le terrorisme qui semble être le défi le plus urgent dans cette région ?

Il faut noter que depuis la création de l’espace en 2005, les trois pays ont été toujours éprouvés par des problèmes internes, source d’instabilité politique. Entre-temps, la Coopération Suisse s’est intéressée à l’espace et a voulu investir dans la coopération transfrontalière locale. Elle a initié  un programme qui devrait aider à financer des projets transfrontaliers ou des projets à impact transfrontalier. Il s’agissait de projets qui mettent les deux pays en relation ou de projets qui, mis en œuvre dans un pays, pourraient avoir des retombées directes sur un autre pays de l’espace. Cette faitière a le mérite de rassembler les élus des collectivités territoriales de cet espace pour en faire un interlocuteur pour les pouvoirs publics des trois pays pour aider les populations de cette région à s’épanouir. Pour ce qui concerne la lutte contre le terrorisme, nous échangeons les informations pour protéger nos populations.

 

Il y a quelques semaines, une vidéo a circulé sur la toile, montrant de présumés djihadistes dans une zone supposée être dans le département de Tengrela. Confirmez-vous que cette vidéo a été bien tournée dans ce département de la Bagoué, dont vous êtes le Président du Conseil régional ?

Nous avons tous vu cette vidéo https://www.youtube.com/watch?v=qwdMeEJ1y28. Mais après vérification, on s’est rendu compte que la scène ne s’était pas déroulée à Tengrela, comme on a voulu le faire croire. C’était une vieille vidéo, certes authentique, mais datant de plus d’un mois. Et c’est dans la région de Sikasso au Mali que la scène a été enregistrée. C’est vrai que cette région fait frontière avec la région ivoirienne de la Bagoué, mais ce n’était pas en Côte d’Ivoire.

 

Cela ne vous a-t-il pas inquiété surtout que la région de Sikasso est frontalière à la Bagoué ?

Oui. Il faut dire qu’il y a 217 kilomètres de ligne frontalière entre la région de la Bagoué et celle de Sikasso. Du coup, tout ce qui touche à Sikasso nous touche également. Nous avions tout à fait eu raison de trembler.

 

Comment avez-vous procédé pour vérifier l’authenticité de cette vidéo ?

Je suis le Président de UTCTE SKBo. En plus nous avons des contacts avec les services de surveillances des territoires des trois pays. Pour ce qui concerne notre pays, nous sommes en étroite collaboration avec la Commission Nationale des Frontières. Quand nous avons contacté toutes ces structures, nous avons très vite eu le retour. On nous a donné toutes les informations sur cette vidéo tournée effectivement dans la région de Sikasso.

 

Face à ces incursions djihadistes dans cet espace, devrions-nous désespérer de la sécurité à nos frontières ?

Quand on évoque la question du terrorisme, je ne souhaite pas qu’on en fasse une affaire de frontière Nord de notre pays. Aucune région n’est à l’abri de ce fléau. La preuve, c’est qu’il y a eu des attaques aussi bien à Abidjan, à Bamako, qu’à Ouagadougou… Il y a une dizaine d’années, nous voyions le terrorisme loin de nous. On en parlait au niveau du Sahel. Mais la frappe de Juin 2015 à Misseni au Mali, à quelques 35 kilomètres de nos frontières, nous a interpellés. Ils avaient pu traverser la pointe Nord du territoire ivoirien pour attaquer ce village du Sud du Mali.

 

Voulez-vous dire qu’ils ont pu traverser nos frontières pour retourner attaquer ce village malien…

Oui, quand vous regardez la carte, il y a une pointe de la Côte d’Ivoire qui est enveloppée par le territoire du Mali à plus de 35 kilomètres. Sur cette partie, il y a au moins 14 pistes de contournement. Mais je pense que la menace terroriste est réelle sur toute l’étendue du territoire. Ce n’est pas seulement une affaire de frontière. L’autre preuve est qu’ils ont pu traverser toute la Côte d’Ivoire pour attaquer sur le littoral à Grand Bassam en mars 2016. Et au-delà de nos pays, on voit les capitales européennes régulièrement attaquées par ces gens. C’est un fléau mondial. Personne n’est à l’abri.

 

Vous évoquiez les pistes de contournement. Pourquoi les forces de l’ordre n’arrivent-elles pas à contrôler ces passages de contournement ?

Je vous parle de 14 pistes de contournement. Vous comprenez les difficultés des forces de l’ordre devant ces points de passage non officiels. Le terrorisme est conduit par des hommes qui ont leur planification. Les djihadistes ne sont pas du tout bêtes. C’est d’ailleurs le cas pour toutes les organisations criminelles. Elles ont des hommes qui travaillent à tromper la vigilance des gens honnêtes pour opérer. En outre, nos forces de défense et de sécurité ont-elles les ressources humaines et matérielles de réaction sur les bandes frontalières ?

 

L’autre grand défi dans cette zone, c’est le contrôle des frontières dans le cadre de la lutte contre la propagation du coronavirus. Comment vivez-vous ces décisions qui viennent contredire votre volonté de souder les peuples séparés par les frontières ?

Je ne vois pas de contradiction ici. Pour protéger les populations contre cette pandémie mondiale, toutes les mesures sont les bienvenues. On se souvient que le Grand Abidjan avait été coupé des autres villes du pays, il y a quelques mois. Mais c’était pour combattre la propagation du virus. Quand on sait que c’est l’homme qui transporte ce virus très contagieux, personne ne doit s’offusquer du contrôle aux frontières.

 

Mais le constat, c’est qu’avec les nombreuses pistes de contournement, les populations n’ont jamais respecté cette mesure, selon plusieurs témoignages…

Les populations de cet espace vivent ensemble. Les frontières n’ont jamais été hermétiquement fermées.  Mais on demande aux populations de motiver le déplacement et de se prêter à un contrôle sanitaire. Quand vous avez régulièrement rempli ces conditions attestées par des documents officiels, vous pouvez aller où vous souhaitez. Ce sont des mesures pour protéger les populations. Ce n’est pas pour les séparer. Ces mesures ne sont pas toujours respectées, à cause des nombreuses pistes de contournement. C’est dommage !

Mais sur le terrain, nous sensibilisons les populations. Et nous espérons que les Etats multiplient les portes d’entrée officielles aux frontières. Vous savez que les populations aux frontières ne savent pas les  limites de leurs pays, en dehors des points officiels où on trouve des postes de contrôle. 

 

Que fait concrètement l’UTCTE SKBo pour lutter contre ces points de contournement ?

Nous avons pu obtenir l’étude et même le financement de certaines voies qui seront construites. Il est prévu la construction de ponts sur certains fleuves qui séparent les pays. Tous ces projets vont conduire à la création de nouveaux postes frontaliers. Nous allons ouvrir plusieurs voies officielles qui relient les villes de part et d’autre des frontières. Nous espérons que d’ici deux ou trois ans, ces projets seront réalisés. Il faut que les populations situées dans cette zone soient traitées de la même façon et aient les mêmes chances. Ce serait un pas important vers l’intégration effective des peuples.

 

Avec les défis sécuritaires, notamment le terrorisme, pensez-vous que la libre circulation des biens et des personnes peut un jour être une réalité dans l’espace Uemoa ?

La technologie rend toutes ces questions à portée de main aujourd’hui. Il suffit d’identifier tout le monde. Et je crois savoir qu’un programme existe dans ce sens. Nous devons faire comme en Europe. Dès que vous prenez un ticket de transport à n’importe quelle gare d’une ville de l’espace, vous êtes identifiés. Ainsi, tous les mouvements des personnes seront contrôlés. Nous ne demandons pas la suppression des frontières. Mais ces frontières ne devraient plus être une entrave à la circulation dans notre espace.

 

A propos du terrorisme. Quelles solutions entrevoyez-vous pour combattre efficacement ce fléau ?

Il faut aider les jeunes et les femmes. Surtout au niveau des bandes frontalières. Au-delà de toutes ces causes liées au radicalisme religieux évoquées ici et là, je crois que la seule bonne solution pour combattre le terrorisme c’est le combat contre la pauvreté chez les jeunes. Il faut que nous rassurions tous ces jeunes africains en leur donnant des perspectives de réussite. Beaucoup de jeunes sont facilement recrutés parce qu’ils ne trouvent pas de travail ou de perspective. Aujourd’hui, les djihadistes recrutent partout. Vous y trouvez même des Français ! Il faut, parallèlement à la sensibilisation, trouver du travail à nos jeunes et femmes. Ce serait un début de solution.

 

Est-ce qu’en tant que Président de région, vous pensez déjà à des solutions dans ce sens ?

Absolument. Nous avons déroulé plusieurs projets dans ce sens. Ce n’est certes pas suffisant, mais nous nous y sommes engagés. L’un de ces projets est le permis de conduire  pour des centaines de jeunes, sans compter le Fonds de garantie qui a permis de financer à ce jour 830 projets, dont des projets collectifs pour plus de 300 millions de nos francs en cette année 2021.  C’est important pour nous parce que la jeunesse du grand Nord, dans sa grande majorité, n’a pas bénéficié d’une bonne formation à cause des 10 années de crise de 2002 à 2010.  Mais nous leur demandons surtout de se faire confiance et d’accepter de prendre des risques en créant leurs propres entreprises. Toute personne peut être directeur de société. Il suffit de le vouloir. Et ce sera une solution efficace et durable de lutte contre le terrorisme.

 

Ténin Bè Ousmane

 

 

Newsletter
Inscrivez-vous à notre lettre d'information

Inscrivez-vous et recevez chaque jour via email, nos actuaités à ne pas manquer !

Veuillez activer le javascript sur cette page pour pouvoir valider le formulaire