Cette femme politique influente est incarcérée depuis début mars, à l’instar d’une centaine de détenus d’opinion qui s’entassent dans les prisons béninoises.
(…) Le jour de son arrestation, l’opposante au président Patrice Talon, réélu le 13 avril avec plus de 86 % des voix, rentrait d’un meeting politique à Porto-Novo lorsqu’une dizaine de policiers ont stoppé son véhicule et l’ont conduite dans les locaux de la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet), considérée par plusieurs organismes de défense des droits humains comme une juridiction politique.
« Humiliations et conditions inhumaines »
« Ma cliente n’a jamais été convoquée par le procureur. Elle aurait volontiers déféré à une convocation. Ils ont préféré la capturer, comme un vulgaire malfrat », assure Me Renaud Agbodjo, l’un de ses avocats. Une centaine de détenus d’opinion (blogueurs, militants, manifestants, politiques…) s’entassent aujourd’hui dans les prisons béninoises. Plusieurs ont été arrêtés dans la foulée du scrutin présidentiel du 11 avril, une élection émaillée de violences ayant fait au moins deux morts. Parmi eux, Joël Aïvo, ancien doyen de la faculté de droit de l’université d’Abomey-Calavi, surnommé « le Professeur » et arrêté le 15 avril. Le 26 avril, le Comité de soutien aux détenus et exilés politiques a invité le gouvernement de Patrice Talon à cesser « les humiliations et conditions inhumaines » infligées aux prisonniers. Amnesty International, Freedom House, le groupe de réflexion ouest-africain Afrikajom Center ont également dénoncé la détérioration des droits humains dans ce pays autrefois réputé pour ses valeurs démocratiques. « Le respect et la protection des libertés fondamentales, notamment la liberté d’expression, de réunion pacifique et l’indépendance de la justice, sont essentiels à toute démocratie », a aussi rappelé le département d’Etat américain. Mais rien n’y fait. Les prisonniers politiques restent derrière les barreaux, et notamment Reckya Madougou, une figure de proue de l’opposition béninoise.
Hyperactive et mondaine
« Il n’y a pas de recul des libertés dans notre pays, mais une lutte implacable contre l’impunité et la corruption, réplique Alain Orounla, le ministre de la communication et porte-parole du gouvernement. Ceux qui ont été placés sous mandat de dépôt sont soupçonnés d’avoir préparé ou participé à la déstabilisation des institutions. » La trajectoire de Reckya Madougou est celle d’une femme déterminée et d’une ambition que rien ne semblait jusqu’ici pouvoir ébranler. Diplômée de l’Institut supérieur européen de gestion de Lille, elle travaille dans une société de média panafricain puis crée un cabinet de conseil en communication. Proche de Thomas Boni Yayi, l’ancien président béninois, elle est nommée en 2008 ministre de la microfinance, de la jeunesse et de l’emploi des femmes, puis ministre de la justice et porte-parole du gouvernement. Femme de caractère, hyperactive et mondaine, elle reçoit de nombreuses distinctions comme le prix international Femme de courage du département d’Etat américain, les félicitations du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) pour des programmes de microcrédits ou le prix spécial du leadership de l’année 2020 délivré au Musée des civilisations noires de Dakar. Elle sillonne l’Afrique, parfois en jet privé, et s’invite régulièrement à la table des présidents de la région, notamment sénégalais et ivoirien. Tout le monde s’arrache alors les précieux conseils de Reckya Madougou. En 2017, elle franchit la frontière avec le Togo pour intégrer la garde rapprochée du président Faure Gnassingbé afin d’assurer sa communication et sa réélection en 2020. Elle conseille plusieurs gouvernements africains sur l’inclusion financière et la digitalisation de l’économie. Mais l’ambitieuse se voit aller encore plus haut.
« Brûler le pays, commettre des assassinats »
« Elle m’a avoué qu’elle voulait être la première femme présidente du Bénin, confie un proche. Je pensais qu’elle se présenterait en 2026, pas maintenant. » Début 2021, elle est désignée contre toute attente candidate du parti Les Démocrates, la principale formation politique de l’opposition. Mais sa candidature est rejetée par la commission électorale, faute d’avoir réuni les seize parrainages d’élus requis par la loi. Son arrestation sonne comme un coup de tonnerre. Elle est accusée d’avoir financé un projet de meurtre de deux personnalités politiques dans sa ville natale, Parakou, dans le but, selon le procureur, « de provoquer la terreur, le chaos et parvenir à faire suspendre le processus électoral ». Reckya Madougou nie connaître le colonel Touré, un gendarme à la retraite, présenté comme celui qui aurait dû être l’exécutant du crime. Tout juste reconnaît-elle avoir mis à la disposition de Georges Sacca, un militant de son parti, 15 millions de francs CFA (22 860 euros) pour mobiliser des sympathisants dans la perspective du scrutin. Les autorités s’intéressent également à l’origine des fonds de sa campagne, qu’ils suspectent provenir des autorités togolaises ou d’un puissant homme d’affaires burkinabé, Mahamadou Bonkoungou. Elle « débarque avec des valises d’argent, des sponsors de chefs d’Etat des pays voisins, a indiqué Patrice Talon dans un entretien à RFI et France 24, vendredi 30 avril. Les gens de son parti ont dit publiquement qu’ils empêcheront l’élection par tous les moyens… A des fins politiques, ils ont planifié et recruté des gens pour brûler le pays et commettre des assassinats aveugles. S’ils ont été interpellés, c’est qu’il y a des preuves. » Un coffre-fort à bijoux En présence de Reckya Madougou, les policiers ont procédé, dès le lendemain de son arrestation, à la perquisition de son domicile dans le très huppé quartier des Villas-Cen-Sad à Cotonou. Ils en sont repartis, selon les informations du Monde, avec un coffrefort à bijoux. Près de deux mois après son arrestation, le coffre n’a toujours pas été ouvert, en tout cas pas en présence de sa propriétaire et de ses conseils, comme le prévoit la procédure, souligne une source proche du dossier. Le quotidien de Reckya Madougou est aujourd’hui celui de toutes les détenues. Elle partage sa cellule avec six autres femmes transférées le jour même de son arrivée de la prison civile de Cotonou : « La décision de la faire incarcérer et son lieu de détention étaient donc actés avant qu’elle ne soit présentée aux magistrats. A partir de là, tout a été fait pour lui offrir de la compagnie, ironise l’un de ses avocats. On peut craindre que certaines de ses compagnes de cellule ne soient pas de vraies détenues. » Mais il en faut plus pour décourager Reckya Madougou. Depuis sa cellule, elle organise sa défense, écrit des notes et des éléments de langage à l’attention de ses avocats. Dans sa tenue bleue de détenue, elle rédige aussi son journal de bord dans lequel elle dénonce sa condition carcérale, le fait, par exemple, d’être obligée de faire la chasse aux rats et aux cafards et l’indigence de la nourriture. Récemment, son quotidien s’est durci. Les visites hebdomadaires de sa mère, âgée de 71 ans, seule personne autorisée à lui apporter des repas, ont été brutalement réduites de cinq à trois. Deux régisseurs de prison et deux surveillants, suspectés de bienveillance à son égard, ont été relevés de leurs fonctions. Enfin, lors d’une fouille nocturne de sa cellule, le 15 avril, tout ce qui pouvait atténuer son isolement a été supprimé : four à micro-ondes, réfrigérateur, fer à repasser, ventilateur, radio… « Tous les objets qui lui ont été retirés sont autorisés pour les autres prisonniers, déplore Me Agbodjo. L’objectif est de la faire craquer. Comment comprendre autrement qu’on lui dénie même le droit de s’informer en lui retirant sa radio ? » Sous-alimentée, Reckya Madougou a fait une détresse respiratoire le 23 avril et elle aurait besoin d’un suivi cardiologique, selon le médecin appelé à son chevet. Récemment, un président influent d’Afrique de l’Ouest s’est entretenu avec Patrice Talon pour défendre sa cause, mais la conversation a tourné court.
Le Monde