C’est l’une des informations majeures de la semaine qui vient de s’écouler. Lors de la première édition des Awards des sociétés coopératives et institutions qui s’est tenue ce samedi 10 septembre 2021, à l’auditorium de la CAISTAB à Abidjan-Plateau, le ministre d’État, ministre de l’Agriculture, a fait une importante annonce portant sur le retour de la Coupe nationale du progrès, qui était l’un des événements phares pendant les 30 premières années de l’indépendance de la Côte d’Ivoire. « Pour célébrer tous les acteurs de la chaîne de valeur agricole, je pense qu’il est plus que jamais nécessaire de relancer les activités de la coupe nationale du progrès, qui sera l’occasion de valoriser davantage le métier d’agriculteur. Nous sommes en train d’y réfléchir, très bientôt, nous allons renouer avec la coupe nationale du progrès », a indiqué le ministre d’État Kobenan Kouassi Adjoumani. Si cette annonce a été très bien accueillie dans les milieux de ceux qui ont connu les heures de gloire de l’économie ivoirienne, il n’en demeure pas moins que 28 années après le décès de Félix Houphouët-Boigny, l’on doit faire une profonde introspection sur les conditions de la résurrection de ce prix. La coupe nationale du progrès, il faut le reconnaitre, a été un stimulant efficace et un puissant instrument de saine émulation dans le monde paysan. C’est pourquoi, il est bon de saluer cette volonté affichée du ministre d’État de faire renaître ce prix qui a fait les beaux jours de la Côte d’Ivoire agricole. Lui-même planteur, Houphouët-Boigny avait initié ce prix pour récompenser les vrais acteurs du développement de la Côte d’Ivoire, parce que pour lui, « l’économie de ce pays repose sur l’agriculture ». Et grâce à la Coupe nationale du progrès, les Ivoiriens ont connu des lauréats comme Yao Fils Pascal et Sansan Kouao de Niablé, Tchimou N’Dori Léonard et Maho Affo Rose d’Agboville, Goué Pascal de Duékoué, Baté Zogbo de Daloa, Kassi Kouamé d’Ayamé, Yao Koffi de Gagnoa, Assanda Tiékoura d’Akoupé, Yobou Antoni d’Alépé, etc. À ces lauréats, l’on peut ajouter Bléhoué Aka d’Aboisso et Adé Pra Augustin de Béttié, qui sont de richissimes planteurs, ont reçu des prix d’excellence pour leurs performances dans les cultures de rente. Sous Félix Houphouët-Boigny, la coupe nationale du progrès était une véritable compétition nationale avec des éliminatoires départementales, régionales et une finale à l’échelle nationale, pour récompenser les meilleurs paysans, la meilleure communauté rurale et les meilleurs exploitants agricoles. Pour combler le vide, la Journée nationale de valorisation de l’agriculture (JNVA) a été instaurée en 2009 par une structure privée pour essayer de faire revivre les beaux jours de cette compétition. Mais les JNVA n’avaient pas la dimension de la coupe nationale du progrès. C’est en cela qu’il faut se féliciter du retour de ce prix qui permettra de reconnaître à nouveau, les mérites des acteurs du monde agricole. Cependant, la partie ne sera pas une sinécure pour le ministère de l’Agriculture, qui devra trouver un nouveau format et identifier de nouveaux enjeux à cette compétition.
Il est vrai que l’économie de ce pays continue de reposer sur l’agriculture, mais le succès ne dépend plus seulement du binôme café-cacao. En véritable héritier de Félix Houphouët-Boigny, le ministre d’État Kobenan Kouassi Adjoumani veut faire renaître la coupe nationale du progrès. C’est une œuvre salutaire. Mais une étude en profondeur mérite d’être menée pour établir les modalités de cette autre résurrection du père fondateur de la Côte d’Ivoire moderne.
Sous Houphouët-Boigny, le problème de terre ne se posait pas. Chaque paysan, en fonction de ses moyens et capacités, pouvait se donner des grandes plantations à perte de vue. 30 années après, les données ont radicalement changé. Aujourd’hui, 90% de la forêt ivoirienne a disparu du fait de la dépendance de l’économie ivoirienne au binôme café-cacao. Du couvert forestier qui était de 16,5 millions d’hectares en 1960, il ne reste que 2,97 millions en 2021. La tendance culturale aujourd’hui est de trouver de nouveaux systèmes de production du cacao performants, résilients et à haut rendement tout en préservant l’environnement. Or, par le passé, ce problème ne se posait pas et pour pouvoir espérer remporter la coupe nationale du progrès, il fallait disposer d’une vaste étendue de plantations. Aujourd’hui, des normes et des labels existent pour sanctionner tous les pays producteurs de cacao qui violeraient certaines règles dans le domaine de la protection de l’environnement. À titre d’exemple, lors de la COP 23, qui s’est tenue à Bonn en 2017, les Nations Unies ont adopté l’« Initiative Cacao et forêts » qui a pour objectif de « contribuer à mettre fin à la déforestation et à la dégradation des forêts dans la chaîne d’approvisionnement mondial du cacao, en commençant par la Côte d’Ivoire et le Ghana ». Pour le retour de la coupe nationale du progrès, comment instaurer une compétition entre agriculteurs et lutter efficacement contre la déforestation ? C’est une question cruciale à laquelle les experts en agriculture et les services du ministre Kobenan Kouassi Adjoumani devront trouver des réponses. À côté de l’importante question environnementale, il faudra aussi réfléchir sur les structures qui doivent encadrer cette compétition nationale dans sa nouvelle version. Pour accompagner et soutenir la coupe nationale du progrès, l’État avait mis sur pied des structures spécialisées. Il s’agit, entre autres, de la Banque nationale pour le développement agricole (BNDA), de la Société d'assistance technique pour la modernisation agricole en Côte d'Ivoire (SATMACI), la Société pour la motorisation de l’agriculture (MOTORAGRI), etc. Il y avait également la Caisse de stabilisation et de soutien au prix des productions agricoles (Cssppa), plus connue sous le diminutif de CAISTAB. Aujourd’hui, la plupart de ces structures ont disparu. Il est vrai que de nouvelles entités ont été mises sur pied, mais les missions ont largement évolué. De plus, contrairement au passé, nous ne sommes plus dans un contexte de stabilisation. La fixation du prix d’achat du kilogramme du cacao et du café est largement tributaire des fluctuations du marché international. La Bourse du Café-Cacao a un très bon dispositif pour juguler ces fluctuations, mais c’est une donnée dont il faudra impérativement tenir compte dans la définition du nouveau format de la coupe nationale du progrès. Au total, il est vrai que l’économie de ce pays continue de reposer sur l’agriculture, mais le succès ne dépend plus seulement du binôme café-cacao. En véritable héritier de Félix Houphouët-Boigny, le ministre d’État Kobenan Kouassi Adjoumani veut faire renaître la coupe nationale du progrès. C’est une œuvre salutaire. Mais une étude en profondeur mérite d’être menée pour établir les modalités de cette autre résurrection du père fondateur de la Côte d’Ivoire moderne.
Kra Bernard