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TÉLÉ D’ICI, VALEURS D’AILLEURS : ALLER AU-DELÀ DE L’AFFAIRE YVES DE M’BELLA

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La société civile ivoirienne ou du moins la galaxie 2.0 vient de remporter une importante bataille, celle de l’affaire ‘‘apologie du viol’’ incriminée à une chaîne de télévision nationale que nous nous gardons de citer par soucis de confraternité. La mise en scène d’un viol orchestré par un pseudo violeur, a entraîné une avalanche de réactions qui a débouché sur un procès au terme duquel une icône de l’animation en Côte d’Ivoire, a écopé d’une condamnation à douze mois de prison, même si celle-ci est assortie d’un sursis. Après la clameur populaire suscitée par cette affaire où l’on a vu toutes sortes de réactions, il est temps de se poser les bonnes et les vraies questions sur les valeurs que défend notre société en ce 21ème siècle. Au-delà de la condamnation somme toute exemplaire et de l’acte de contrition de l’animateur incriminé, il faut se départir de ce que raconte la vulgate digitale pour s’interroger sur les valeurs que nous voulons léguer à la société de demain. Dans ce débat, il faut donc éviter de clouer au pilori, cette chaîne de télévision qui a reconnu son erreur et s’interroger sur les vertus qui caractérisent notre société actuelle. La télé d’ici comme l’indique le nom de l’émission à la base de l’affaire, est vraiment la télé d’ici. Mais toutes les valeurs qu’elle promeut ne sont pas d’ici.  Certains téléspectateurs n’ont pas d’ailleurs hésité à lister une série d’émissions sur d’autres chaînes de télévision où des sorciers convertis, des ‘‘microbes’’ resocialisés ou encore des ‘‘brouteurs’’ repentis sont venus raconter avec force détail, le récit de ce qu’ils faisaient quand ils étaient encore dans le monde, pour parler comme les adeptes du prosélytisme. Il faut donc aller au-delà de l’affaire Yves De M’Bella.  Depuis l’intrusion des réseaux sociaux dans notre quotidien, nous assistons à une sorte de déshumanisation frénétique de notre société au point où nos meilleurs amis et notre première source de formation et d’information se trouvent dans le monde virtuel. Sur la question, personne n’échappe à la règle. De l’universitaire émérite à la modeste ménagère dans une contrée reculée de notre pays, tout un chacun dispose d’au moins, un compte sur l’un des réseaux sociaux. Et comme si cela ne suffisait pas, le monde du showbiz s’est engouffré dans une recherche sans limite du buzz, quelle que soit la manière. Le sociologue ivoirien Francis Akindès, dans une contribution relayée ces derniers temps par les médias, n’a pas manqué de mettre les pieds dans le plat et d’attirer l’attention de l’opinion sur notre société en état de décrépitude morale très avancée, du fait des réseaux sociaux. 

Le contenu de cette émission télé qui a choqué toutes les consciences, n’est que le reflet de la société dans laquelle nous vivons aujourd’hui. Autant il faut condamner et punir sévèrement l’apologie du viol, autant il faut condamner et blâmer tous ces feuilletons et télé-réalités qui snobent la culture occidentale et constituent un véritable poison pour nos valeurs et cultures africaines. Autant il est vrai d’affirmer que tout ce qui vient de l’Occident n’est pas bon, autant il faut aussi reconnaître que tout ce qui est africain n’est pas mauvais. Dans une société où les frontières n’existent plus, il est impérieux de faire un benchmarking social intelligent afin de ne pas tomber dans une société d’anomie

« Dans la civilisation de l’éphémère en construction, il faut aller très vite, très vite. La fin justifie les moyens. Pour cela, les réseaux sociaux sont un puissant véhicule. La méthode : faire le buzz par le choc. Exceller dans l’escalade de la légèreté, de la désinvolture et de la vulgarité dans la façon de voir, de se donner à voir, sa posture, ses propos. Le tout au mépris de la décence. Ce sont les réseaux sociaux qui disent désormais aux femmes ce qu’elles doivent penser et être aujourd’hui. Les nouvelles égéries pullulent sur les réseaux sociaux, toutes en concurrence médiatique dans l’extravagance et dans l’outrecuidance. En Côte d’Ivoire, fini le temps de l’éducation des filles à la mode Sainte Marie ou Notre Dame des apôtres.  Fini le temps de l’éducation à la prise de responsabilité vis-à-vis de soi et des autres. Ce qui existe encore chez eux, qui nous domine et qui risque de nous dominer encore pour longtemps, pendant que nous usons nos cerveaux à chercher les circuits courts d’enrichissement rapide et sans cause. En clair, exister par le buzz, est une nouvelle manière de réussir en Côte d’Ivoire », dixit le Professeur Francis Akindès. Il ne faut donc pas se méprendre. Nous sommes de plain-pied dans ce que les sociologues ont appelé la société d’anomie qui renvoie à des périodes de développement économique intense de crise politique ou de crise économique et qui indique les mécanismes générateurs de désorganisation et de démoralisation en période de changement social. Le mal est profond et il faut éviter de stigmatiser X ou Y. Dans une société, on ne peut pas se délecter publiquement d’obscénités, encourager ceux qui s’y adonnent ou les avoir comme modèles et prétendre dénoncer la dépravation des mœurs ou les atteintes à la dignité de la personne humaine.  Comme l’a questionné le Pr Akindès dans sa lumineuse contribution, « Demain, qu’apprendrons-nous à nos enfants qu’on ne dit pas, qu’on ne fait pas, puisque tout est permis pour avoir de l’argent ? » On ne peut pas faire la promotion de la médiocrité et des antivaleurs et vouloir une société laborieuse qui se démarque par le fruit de son travail. C’est en cela qu’il faut encore revisiter le discours prononcé par le président Alassane Ouattara en octobre 2015, lors du lancement de sa campagne pour la présidentielle de cette année-là, dans lequel il a appelé de tous ses vœux à l’avènement d’un « ivoirien nouveau ». Cet ivoirien nouveau, ce n’est pas seulement dans le comportement citoyen et républicain, c’est aussi cette capacité à s’approprier des valeurs morales qui fondent notre société à travers un savant dosage de ce que l’on acquiert ailleurs et de ce qui constitue nos valeurs cardinales. Le contenu de cette émission télé qui a choqué toutes les consciences, n’est que le reflet de la société dans laquelle nous vivons aujourd’hui. Autant il faut condamner et punir sévèrement l’apologie du viol, autant il faut condamner et blâmer tous ces feuilletons et télé-réalités qui snobent la culture occidentale et constituent un véritable poison pour nos valeurs et cultures africaines. Autant il est vrai d’affirmer que tout ce qui vient de l’Occident n’est pas bon, autant il faut aussi reconnaître que tout ce qui est africain n’est pas mauvais. Dans une société où les frontières n’existent plus, il est impérieux de faire un benchmarking social intelligent, afin de ne pas tomber dans une société d’anomie. 
Kra Bernard

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