Après la vague déferlante des coups d’État dans les années post-indépendance, la sous-région ouest-africaine est à nouveau dans l’œil du cyclone. En l’espace de 18 mois, cette partie du continent vient d’enregistrer son troisième coup d’État, alors qu’on croyait avoir conjuré les vieux démons du péril kaki. Que nenni ! Trois pays unis par l’histoire, la géographie, la sociologie et l’anthropologie viennent de s’illustrer de la plus mauvaise des manières. Le premier, c’est le Mali qui a ouvert le bal en mars 2012 avec le coup d’État du tristement célèbre Amadou Haya Sanogo qui fut l’un des putschs les plus saugrenus de l’histoire. En août 2020, le pays de Modibo Keïta subit encore un autre coup d’État où des officiers de l’armée, après avoir déposé le président Ibrahim Boubacar Keïta, ont fait une promesse ferme à la CEDEAO d'organiser des élections dans un délai de 18 mois. Mais en mai 2021, les mêmes acteurs organisent un coup d’État dans le coup d’État, déposent le président de la transition Bah N’Daw et établissent un plan pour rester au pouvoir pendant cinq années. Ce qui a déchaîné le courroux de la CEDEAO et de l’Union africaine. Cinq mois après ce putsch malien, ce fut au tour de la Guinée où des soldats sont apparus à la télévision nationale pour annoncer qu'ils ont destitué le président Alpha Condé. Quatre mois après, le spectacle se répète au Burkina Faso où des militaires proclament le renversement du chef de l'État, Roch Kaboré. Désormais, dans ces trois pays qui partagent une frontière commune avec la Côte d’Ivoire, ce sont des ‘‘hommes forts’’ qui sont aux commandes. Mais au-delà de toutes ces aspérités institutionnelles, ce qui peut choquer toute conscience rationnelle, c’est quand des individus dont le pays est cité en exemple au plan économique et qui connaît une relative stabilité politique, prient ou souhaitent que leur pays subisse le même sort que ses voisins qui sont sous le joug de putschistes.
Oui, après le coup d’État au Mali en mai 2021, en Guinée dans le mois de septembre de la même année et dernièrement au Burkina Faso dans ce mois de janvier 2022, il s’est trouvé des Ivoiriens sur les réseaux sociaux qui ont osé écrire « Seigneur, à quand notre tour ?». D’autres encore, dans un sarcasme de mauvais aloi, sur la base des indicatifs téléphoniques, se sont interrogés qu’après le 223 (Mali), le 224 (Guinée), pourquoi le phénomène a-t-il sauté le 225 (la Côte d’Ivoire) pour atterrir au 226 (Burkina Faso) ? Cela peut faire l’effet de la dérision comme les Ivoiriens en sont friands. Soit. Mais là où le bât blesse, c’est quand des leaders politiques de premier plan et leurs partis soutiennent ouvertement ces putschs dans ces pays limitrophes et invitent leurs militants à constituer une chaîne de solidarité autour de ces régimes d’exception au nom d’une prétendue lutte émancipatrice contre l’ancienne tutelle coloniale. En démocratie, le rôle du parti au pouvoir, c’est de gouverner le pays et le rôle de l’opposition, c’est de s’opposer en s’organisant pour accéder au pouvoir selon les normes de la démocratie. On peut donc ne pas aimer la tête du président en exercice, mais de là à prier pour que l’effet contagion des coups d’État atteigne son propre pays, est une hérésie. Comme l’a dit Anatole France, tous les changements, même les plus souhaités, ont leur mélancolie. Si le désordre s’installe à nouveau en Côte d’Ivoire par un coup d’État, il n’épargnera pas ceux qui prient nuit et jour pour son avènement, encore moins, leurs familles. Quand on se dit influenceur sur les réseau sociaux, anti-impérialiste ou militant d’un parti politique, on ne doit pas prier pour qu’un coup d’État ait lieu dans son pays pour la pure et simple raison que l’on n’aime pas la tête du président qui est en place. L’on a coutume de dire que ceux qui connaissent mieux la valeur de la paix, sont ceux qui ont vécu la guerre. Mais manifestement, chez nous en Côte d’Ivoire, des individus semblent n’avoir pas pigé cette leçon. Ils rêvent de la moindre occasion pour jouer le match retour de 2011. Prions pour eux.
Kra Bernard