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Ils sont les héritiers d’une descendance de forgerons. À l’instar de leurs ancêtres, ces artisans travaillent le fer au marteau, après l’avoir fait chauffer au feu de la forge, pour en faire de magnifiques outils.
Le travail du fer fait vivre environ plus d’une centaine de personnes, comme le souligne Brahima Soro, qui est l’un des forgerons du village.
« Le forgeron est incontournable dans la société sénoufo. Les sénoufos vont au champ, mais ils ont besoin de dabas, houes, machettes ; alors on les fabrique ici. Tout ce qui intervient dans l’agriculture est fait de manière artisanale », explique-t-il.
Il est midi, ce vendredi 19 juillet 2024 à Koni, la cité des forgerons est bouillante. De hauts fourneaux construits en terre qui se dressent dans le décor, sont impressionnants. Les coups de marteau au contact de l’enclume en provenance des forges, produisent une sorte de musique au rythme cadencé.
Son savoir-faire, Brahima Soro le détient de son père, l’ayant à son tour reçu de son géniteur. Ainsi de suite. C’est une affaire générationnelle qui remonte dans le temps.
« Depuis tout petit, c’est précisément à l’âge de 05 ans que je suis dans ce métier. Le savoir se transmet de père en fils. Je suis fier d’avoir hérité cela de mon père qui l’a reçu également de son père. Je fabrique des dabas, des flèches, des couteaux, des haches et bien d’autres objets. Je travaille en fonction des commandes », informe-t-il.
L’homme, la quarantaine d’années révolue, est passionné par le métier du fer. Il le démontre si bien à travers ses faits et gestes assortis de sourire. « Le métier nourrit son homme ». Il nous apprend que « souvent, quand le paysan n’a pas les moyens, il lui offre une daba en contrepartie de la nourriture. Soit du riz, mil, sorgho et maïs. »
Rassurant que le contact avec le feu n’est pas un obstacle pour eux. « On se relaie au fur et à mesure pour souffler le feu. Je produis en moyenne plus de 50 petites dabas par jour et 05 grandes », soutient Brahima Soro.
Des techniques de production du fer parmi les plus vieilles au monde
Les forgerons traditionnels de Koni perpétuent leur savoir-faire ancestral à travers l’originalité et la finesse de leurs œuvres. Mais la règle de la société est régie par des principes.
« Pour faire une daba, il n’y a pas de totem, mais cela demande de la patience, de la méticulosité et de l’abnégation. À côté de cela, on adore nos fétiches que nous ont légués les anciens. Pour le faire, il nous faut une poule avant l’extraction du fer. Il n’est surtout pas déconseillé d’avoir des rapports sexuels dans la période. Cela peut provoquer un accident de travail », prévient-il.
Partout où nous sommes passé, tous se reconnaissent en Brahima Soro, parce qu’au sein de leur communauté, il est celui qui se « débrouille » assez bien en français.
Non loin d’une case, notre interlocuteur nous présente une importante quantité de sable. Un stock provenant d’une de leur mission d’extraction. « Ce tas de sable contient du fer. Pour l’avoir, on adore le dieu « fronlaion », le dieu du feu et du fer, c’est notre fétiche. Les Blancs l’on surnommé Saint Eloi. Nous l’adorons avec une poule avant de commencer le travail. Nous le faisons pour détecter une zone où il y a du fer. Lorsque le minerai est lavé », lâche-t-il.
Et Sékongo Alexis, promoteur culturel, porte-parole, d’enrichir. « Quand nous faisons l’adoration, c’est une poule qui nous situe le lieu propice pour recueillir le fer. Tout ce qui est sur la terre appartient à Dieu. Une fois le résultat obtenu, nous creusons un trou d’une profondeur de 20 m pour recueillir du sable. Ensuite, on le lessive pour le rendre plus fin en vue de faire des boulettes ».
Une fois, le fer obtenu, les forgerons traditionnels font des boulettes qui sont soumises à différentes étapes, depuis la récolte à la fabrication des outils à partir des matières obtenues.
« On obtient 400 boulettes à l’issue du sable obtenu qu’on introduit étape par étape dans un haut fourneau pour la fusion. D’abord, on introduit 180 boulettes pour un sac de charbon de 100 kg. Après 02 heures, on introduit une quantité de 200 boulettes, ensuite les 20 autres boulettes. La fusion fait une journée entière », développe-t-il.
La préparation dure 24 h, avant que le forgeron ne retire le liquide de fer dans lequel on trouve les résidus de charbon. Une autre phase s’ouvre dans le processus d’extraction du métal.
« Nous obtenons de la poudre que nous faisons fondre à nouveau. Pendant ce temps, sur le sol, on fait une forme sphérique de ce qu’on veut concevoir, soit une daba. Si c’est une daba ou un autre objet que je veux faire, on coule le liquide de fer », commente-t-il.
Le travail de forgeron est extrêmement physique, parce qu’il exige de l’endurance, en plus de la technicité. Grâce à leur habilité, ces travailleurs du fer détiennent des secrets dont l’un de ces mystères est la détection du fer par leur affinité. Brahima Soro informe qu’ils se servent de leur langue comme moyen de détection du fer dans les quantités de sable.
« C’est à partir de la langue qu’on sait qu’il y a du fer dans le tas de sable. On connaît le goût du fer. C’est comme ça que nous détectons le fer. C’est du sacré. Le fer obtenu est mis sur une grande pierre avant de le faire fondre », note-t-il.
Un travail rudimentaire à l’épreuve du modernisme
« Nous savons qu’il y a des forgerons, mais les vrais sont à Koni. C’est le royaume des forgerons », précise M. Soro.
Le travail est rudimentaire, car pour concevoir des haches, des couteaux, des machettes, des dabas, des serpettes et herminettes des sculpteurs sur bois, ainsi que des balles en fer pour des fusils de chasse, les forgerons traditionnels disposent d’appareils traditionnels et sont sans aucune protection.
Ils disent ne pas être fermés à une approche du gouvernement dans le but d’un partage d’expériences.
« C’est un partage d’expériences avec l’approche du gouvernement. Les différentes familles pourront bénéficier davantage de formations pour améliorer la qualité du travail, parce qu’il est fait de manière artisanale. Je crois qu’avec l’apport des autres experts du domaine, cela va apporter un plus, une dimension positive à l’activité. Cela va nous faire plaisir », ajoute Sékongo Alexis.
Assisté de quelques compagnons venus lui rendre visite à l’occasion, notre intrelocuteur note que sa communauté veut bénéficier de l’État, des formations pouvant lui permettre de mener à bien l’extraction de fer et améliorer ses productions.
« Le métier est menacé avec le modernisme, parce qu’à un moment donné, l’État nous demande d’être dans les conditions plus sécurisantes. Certes, nous faisons des pratiques pour nous protéger, mais je pense que le gouvernement peut nous apporter son expertise en nous formant. Ce n’est pas pour nous demander d’abandonner ce que nous faisons, mais en nous aidant à produire plus. Le peuple sénoufo est à cheval sur le modernisme et la tradition. C’est un plus et cela est à notre avantage », insiste-t-il.
Entre deux mots, il se met à raviver le feu de son fourneau. Deux personnes sont commises à la tâche. Le son des soufflets est similaire au rythme du Boloye, danse sacrée sénoufo.
Quand l’orpaillage menace la fabrication du fer et la santé des populations
Les populations de la sous-préfecture de Koni, comme la plupart des localités du Tchologo, sont menacées par le phénomène de l’orpaillage clandestin. La situation est d’intérêt et la chefferie de ce village s’est saisie du dossier. Ici, la décision qui ressort, est que tous les administrés doivent déclarer tout étranger de passage sur leur territoire.
Ils sont tenus également d’informer les autorités coutumières sur les intentions du visiteur. Pour les forgerons, la présence de ces intrus exaspère et met à mal leur activité.
« Le sénoufo est d’abord forgeron et a pour activité principale le travail du fer. En ce qui concerne l’extraction du fer, sa transformation, sa production n’ont pas de secret pour le forgeron. Notre village dispose d’un sous-sol très riche, mais désormais, nous craignons pour notre santé, parce que les produits que ces gens utilisent, nous exposent à plusieurs maladies. On expose aussi nos enfants à des dangers, parce qu’ils sont menacés par les trous qui sont abandonnés », déplore ce porte-parole.
Venance Kokora