Économie

Ambroise Fayolle (Vice-président de la Banque Européenne d’Investissements) : « La Côte d’Ivoire l’une des places financières les plus dynamiques en Afrique »

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Pour Ambroise Fayolle, les missions de la BEI sont claires : financer des projets à fort impact pour les populations (Ph : DR)
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La Banque Européenne d’Investissements a inauguré le mercredi 13 Septembre à Abidjan son siège régional qui couvre à la fois toute l’Afrique occidentale et l’Afrique centrale. En marge de cette activité, SEM Ambroise Fayolle, Vice-président de cette institution financière s’est confié à L’Avenir. Dans cet entretien, le N°2 de la BEI dit tout sur cette Banque, ses missions et ses projets pour l’Afrique.

Quelle est la vision et quelles sont les missions de la Banque Européenne d’Investissement (BEI) ?

En ce début d’entretien, je souhaiterais tout d’abord dédier ces premiers mots et mes pensées aux victimes du tremblement de terre au Maroc. La BEI, avec l’Union européenne et ses partenaires, est mobilisée pour apporter tout son soutien et son assistance à la population. La BEI est la banque de l’Union européenne (UE) et sa mission est de financer des investissements utiles pour l’économie et les populations au sein de l’Union européenne comme à l’extérieur. L’Afrique est d’ailleurs le continent où la BEI a investi le plus hors de l’UE ces dernières années, avec une activité qui représente environ 50% du total de nos financements hors UE. L’objectif de ces investissements est de financer des projets concrets dans des secteurs clefs pour l’économie des pays tels que la transition énergétique, l’eau et l’assainissement, l’agriculture, la santé, les télécommunications et les corridors de transport régionaux, ainsi que le soutien au secteur privé, notamment les PME ou la microfinance. Et nous souhaitons aller plus loin dans notre action avec nos partenaires. Avec BEI Monde, notre nouvelle branche dédiée au développement, notre objectif est de renforcer notre soutien à des projets à fort impact en intensifiant les partenariats avec les différents acteurs des secteurs publics et privés. Nous allons également être plus présents sur le terrain avec l’Equipe Europe et l’ensemble de nos partenaires, et notre nouveau Pôle régional pour l’Afrique occidentale et centrale dont j’ai dévoilé la plaque inaugurale hier (ndlr : mercredi 13 Septembre) à Abidjan. 

 

Un bref séjour en Côte d’Ivoire. Pouvez-vous nous indiquer les raisons de ce déplacement ? 

J’ai toujours un immense plaisir à me rendre en Côte d’Ivoire. J’ai pu m’entretenir avec le Vice-président de la République M. Tiémoko Meyliet Koné et plusieurs membres du Gouvernement, afin de faire un point d’étape sur le soutien financier que nous apportons à des projets dans des domaines de l’énergie, de l’eau, de la gestion durable des villes, de l’agriculture et de la gestion des forêts, de la santé et de la microfinance. Je tiens d’ailleurs à remercier vivement les autorités ivoiriennes pour l’accueil et nos échanges reflétant le partenariat de grande qualité que nous avons depuis des années avec la Côte d’Ivoire. En transformant notre bureau régional basé à Abidjan en Pôle régional, ou « Hub », pour l’Afrique occidentale et centrale, notre ambition est de répondre, avec l’ensemble de notre équipe présente sur le terrain, de manière encore plus efficace à notre stratégie en Afrique.

Il s’agit du deuxième Pôle régional créé par la BEI en Afrique après celui de Nairobi au Kenya.

Cette visite a été de plus l’occasion de me rendre à la 3e édition de l’académie BEI dédiée aux banques des PME et aux microfinances en Afrique de l’Ouest et Afrique centrale. Débats et présentations interactives se sont ainsi enchaînées autour du thème : « Saisir les opportunités de la finance verte et durable ». Et en marge de cet évènement, nous avons signé deux contrats de financement, en soutien au secteur privé en Afrique de l’Ouest. Il s’agit d’abord d’octroyer un prêt de 65 millions d’euros à Atlantic Business International, holding du Groupe Banque Atlantique, pour soutenir les entreprises de Côte d’Ivoire, du Burkina Faso et du Sénégal. D’ici trois ans, cette coopération doit permettre aux Banques Atlantiques d’apporter jusqu'à 130 millions d’euros de financements aux entreprises ivoiriennes, sénégalaises et burkinabaises, soit le double du montant initial. Notre objectif est ainsi de faciliter l’accès aux financements nécessaires au développement des entreprises, principalement des PME. J’insiste sur un point : au moins 30% de cette enveloppe financière sera mobilisée en faveur de l’emploi des jeunes et autant pour l’inclusion financière des femmes.

Nous venons également de signer deux prêts de 16 millions d’euros à COFINA Côte d’Ivoire et 10 millions d’euros à COFINA Sénégal pour renforcer le développement d’une agriculture durable dans ces deux pays.

 

Cet accord permettra très concrètement de renforcer les chaînes de valeur agricoles, dont notamment le cacao, l’anacarde et les cultures vivrières en Côte d’Ivoire, les céréales et l’horticulture au Sénégal. Cet accord a des objectifs ambitieux en matière d’action climatique, de durabilité environnementale et d’inclusion financière, notamment pour les femmes, conformément à notre initiative « 2X Challenge ». Ces deux opérations sont parmi les premières conduites dans le cadre du nouvel Accord 2023-2027 entre la Commission européenne et la BEI pour le financement de 4 milliards d’euros d’investissements portés par le secteur privé en Afrique, dans les Caraïbes et le Pacifique. Nous avons également conclu un programme d’assistance technique de 7 millions d’euros pour le développement de villes durables en Côte d’Ivoire, au Ghana, au Kenya et en Ouganda. 

 

Vous avez ouvert un pôle régional à Abidjan qui couvre à la fois toute l’Afrique occidentale et l’Afrique centrale. Dans quel but et pourquoi avoir fait le choix de la Côte d’Ivoire ? 

La Côte d’Ivoire est aujourd’hui une place financière de référence en Afrique de l’Ouest et l’une des plus dynamiques en Afrique.

C’est aussi le siège de la Banque africaine de développement, qui est un partenaire important de la BEI. Il était important pour nous, au vu du dynamisme de son économie et de son rayonnement régional, d’y installer un Pôle pour l’ensemble des régions d’Afrique occidentale et centrale, sous la direction de Roger Stuart qui vient de prendre ses fonctions. Il prend le relais de Jane Feehan dont je tiens à saluer le travail formidable à Abidjan ces dernières années. Ce nouveau « Hub » va nous permettre d’être plus présents sur le terrain, au plus près des besoins des acteurs et porteurs de projets, tout en développant de nouveaux types de partenariats aux niveaux local, régional et international. L’objectif est de financer des projets à fort impact pour les populations grâce à une équipe étoffée d’experts dans les secteurs clefs pour l’économie des pays concernés. J’ajouterai que la Côte d’Ivoire est un partenaire clef pour l’Europe. La première représentation en Afrique de l’Ouest de la Banque Européenne d’Investissement, tout comme le tout premier investissement financier africain, s’est fait en Côte d’Ivoire, en 1963, il y a maintenant 60 ans. 

En marge de son séjour en Côte d’Ivoire, SEM Ambroise Fayolle a inauguré le siège de la BEI à Abidjan pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre (Ph : DR)

Quels sont les secteurs dans lesquels la BEI intervient en Côte d’Ivoire ? 

La BEI est un partenaire important de l’Afrique depuis de nombreuses années. Rien que pour l’année 2022, la BEI a investi 4,2 milliards d’euros pour soutenir les secteurs public et privé sur l’ensemble du continent dont 500 millions d’euros en Afrique occidentale et centrale. Il s’agit d’engagements concrets en faveur d’investissements énergétiques durables, axés également sur le développement des télécommunications et du numérique, l’amélioration des soins de santé et l’accès à l’eau potable et aux infrastructures d’assainissement sans oublier le transport durable et le financement des entreprises. Le soutien au secteur privé, de la micro aux grandes entreprises, nous a permis de porter une croissance plus créatrice d'emplois et de valeurs, notamment pour les femmes entrepreneures et dans des secteurs importants comme celui agricole.

En Côte d’Ivoire, l’une des réalisations phares est le dispatching de Yamoussoukro construit dans le cadre du programme ENERGOS, avec CI-Energies.

Il s’agit d’une infrastructure stratégique que la BEI est très fière d’avoir soutenu à hauteur de 77 milliards de Francs CFA (117 millions d’euros). C’est un projet d’envergure pour la Côte d’Ivoire, avec le Pool énergétique ouest-africain. En modernisant et en étendant le réseau de distribution, le nouveau dispatching a permis d’optimiser la gestion des flux électriques nationaux et sous régionaux. L’extension du réseau à moyenne tension s’est accrue de 15kV à 36kV, desservant les grandes villes de Bouaké, San Pedro et Abidjan. À cela s’ajoutent 224 000 nouveaux raccordements dont 107 000 via le programme social « Electricité Pour Tous ».

Au total, ce sont plus de 8 300 localités qui bénéficient désormais d’une électricité de meilleure qualité.

Par ailleurs, 74 000 luminaires publics sont en cours d’installation sur l’ensemble du territoire national. Mais nous avons aussi été actifs dans le domaine de l’eau et des villes, avec, le projet d’Alimentation en eau potable de la ville d’Abidjan, où nous travaillons avec l’AFD, un de nos partenaires importants au sein de Team Europe. Nous avons aussi soutenu le secteur privé et les entrepreneurs, y compris en développant la microfinance avec notre partenaire Baobab Côte d’Ivoire. 

Vous faites de la lutte contre le changement climatique l’une des priorités de la BEI. Vous avez lancé pour la première fois en Afrique une enquête sur le climat, quelles en sont les conclusions ?

La BEI s’est positionnée très tôt, comme la banque européenne du climat en alignant toute son activité sur les objectifs des Accords de Paris et en ayant l’objectif de consacrer plus de 50% de son activité à l’action pour le climat et la durabilité environnementale. Consciente de cet enjeu et de son impact dans les différentes régions du monde, la BEI a mené, depuis 2018, des enquêtes climatiques à grande échelle en Europe, en Chine et aux États-Unis. Et pour la première fois, nous l’avons mené en Afrique fin 2022. En Côte d’Ivoire, cette enquête révèle notamment que pour 91 % des Ivoiriens le changement climatique a déjà un impact sur leur vie quotidienne et pour 63 % d’entre eux, le changement climatique et les dommages environnementaux ont affecté leurs revenus ou leurs sources de revenus. L’enjeu climatique est déjà bien perçu au cœur de la vie quotidienne des Ivoiriennes et des Ivoiriens. 

Vous insistez beaucoup sur l’action en faveur du climat, qu’en est-il du secteur de l’innovation ?

 

L’action en faveur du climat et l’innovation sont étroitement liés.

Pour réduire les émissions à zéro, la décarbonation requise d’ici 2030 est possible avec les technologies disponibles, mais, d’ici 2050, près de la moitié des réductions d’émissions exigées nécessiteront des technologies qui ne sont pas encore sur le marché ou pas matures. Prenez l’exemple de l’hydrogène bas carbone, que nous soutenons dans plusieurs pays africains. Pour les secteurs comme le transport de longue distance ou l’industrie lourde, où il sera encore plus difficile de diminuer les émissions, il faudra compter encore davantage sur des technologies toujours en cours de développement à l’heure actuelle. L’enjeu est aussi de pouvoir garantir dès maintenant, des transitions justes et équitables, notamment pour les employés et les secteurs dont le futur dépend actuellement d’activités à forte intensité de carbone.  

 

Outre l’action climatique, la BEI met l’accent sur l’essor du secteur privé en Afrique, notamment en Côte d’Ivoire. Comment ?

Le soutien au secteur privé est également une grande priorité pour la Banque de l’Union européenne en Afrique et notre objectif est d’aider le maximum de micro, petites et moyennes entreprises ivoiriennes, et donc la croissance et l’emploi en Côte d’Ivoire. Nous les avons soutenues et nous continuons de les soutenir en finançant les institutions financières implantées en Côte d’Ivoire comme Baobab ou encore COFINA et Banque Atlantique avec lesquelles je viens de signer des accords de partenariats.

A travers ces financements, c’est la formation, l’emploi et une croissance plus inclusive que nous soutenons, notamment pour les femmes et les jeunes. 

 

Quels sont aujourd'hui, les piliers de la stratégie de la BEI en Afrique ?

 

En tant que Banque de l’Union européenne, nous soutenons les grandes priorités de l’UE, en particulier, la stratégie « Global Gateway », axée sur la connectivité, les corridors de transport, le numérique ou encore la santé et l’éducation. Et en tant que banque du climat de l’UE, un de nos piliers stratégiques est assurément la transition verte. Nous avons une feuille de route pour le climat qui s'applique également à notre action en dehors de l’Europe, donc en Afrique, avec comme objectif, l’augmentation des volumes de nos financements en faveur des projets qui permettent de mieux lutter contre les changements climatiques, tant dans le domaine des énergies renouvelables, que celui de l'innovation, de l'efficacité énergétique ou de l'adaptation. L’amélioration de la santé et de l’accès aux soins est également un axe fort de notre action en Afrique.

Nous avons notamment fortement soutenu la fabrication de vaccins sur le sol africain au bénéfice des Africains, avec des projets très intéressants au Sénégal avec l'Institut Pasteur de Dakar, mais aussi au Rwanda et en Afrique du Sud.

Ce qui me paraît très important aussi, c’est de promouvoir la croissance et les emplois, notamment pour les jeunes. Pour moi, et c’est aussi une des conclusions du Sommet de Paris sur un nouveau Pacte financier global qui s’est tenu en juin 2023, il ne faut pas opposer développement économique et transition verte. Au contraire, ces deux volets peuvent se renforcer mutuellement, et créer des emplois, si on sait organiser une transition juste et accroître la résilience de nos économies. 

 

L’Afrique de l’Ouest subit une série de coups d’État ces derniers mois, sans compter les conséquences du conflit en Ukraine. Ces phénomènes n’ont-ils pas affecté les interventions de la BEI dans ces pays (Burkina Faso, Mali, Niger, …) ? 

 

Bien sûr, comme Banque de l’Union européenne, nous suivons les orientations prises par l’Union européenne. Notre vision est d’investir dans un avenir durable pour tous. La paix et la stabilité étant essentielles au développement, nous suivons avec beaucoup d’attention, la situation géopolitique dans laquelle se trouve actuellement l’Afrique de l’Ouest. Le soutien aux populations les plus fragilisées est au cœur de notre action, c’est le sens de notre engagement dans cette région. 

 

Interview réalisée par Kra Bernard

 

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