Économie

Interview / Donatien Robé (socio-économiste): « La redistribution de richesse ne peut se faire mécaniquement »

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Le président de l'association citoyenne "La Côte d'Ivoire sociale" lève un coin de voile sur les perspectives qui s’offrent à la Côte d’Ivoire sous l’ère du Président Alassane Ouattara durant ces 10 dernières années. Par ailleurs, il fait des propositions au gouvernement pour une meilleure condition de vie des populations.

 

La Côte d’Ivoire a affiché une résilience économique malgré la Covid-19, comment percevez-vous l’approche du gouvernement face à la cherté de la vie ?

En ce qui concerne la cherté de la vie, il faut dire que depuis un moment, ce n'est pas une spécificité ivoirienne. Cela se constate dans quasiment tous les pays en raison des tensions internationales du moment. Il faut tout de même reconnaître que le coût élevé de la vie en Côte d'Ivoire, s'explique aussi par d'autres facteurs dont par exemple, la hausse des charges fiscales et sociales des entreprises. La réforme des retraites par exemple, en 2012, a favorisé la hausse du simple au double des cotisations retraites des entreprises. Et malheureusement, les entreprises incluent ces charges sociales et fiscales dans le prix de vente des produits sur le marché. La solution réside donc dans la baisse des charges patronales ou la subvention par l'État de certains produits de première nécessité.

 

Vous disiez, la crise mondiale a créé un déséquilibre entraînant une cherté de vie, pensez-vous que la Côte d'Ivoire pourra résister à la situation ?

La Côte d’Ivoire résiste déjà à la situation au regard de son produit intérieur bruit et de sa croissance. En tout cas, de mon point de vue, la Côte d’Ivoire ne s’en sort pas mal, parce qu’elle a des fondamentaux économiques solides. Maintenant, se pose la question de la redistribution de la richesse créée. Le problème de la Côte d’Ivoire se pose en ces termes. Les riches s’enrichissent et les pauvres s’appauvrissent. Cela est dangereux pour la cohésion sociale. Nous souhaitons donc que ce gouvernement resserré fasse clairement des choix pour aider les plus vulnérables de notre pays.

 

« La Côte d’Ivoire a des fondamentaux économiques solides »

 

Il a été question pour le chef de l’État, Alassane Ouattara d’opter un gouvernement resserré. Pensez-vous que cette réduction peut améliorer les conditions de vie des Ivoiriens ?

Disons que la réduction des membres du gouvernement est une bonne option pour réduire les dépenses publiques. Le Président Ouattara l’avait annoncé et il a tenu sa promesse. Le président de la République avait aussi indiqué que cette réduction du nombre de ministres allait avoir pour conséquence, la résilience sociale en Côte d’Ivoire. Ça aussi, c’est salutaire pour nous qui sommes spécialisés dans la protection sociale et qui militons pour une meilleure protection sociale en Côte d’Ivoire.

 

« Si le Président Ouattara réforme la CMU… »

 

Vous avez été parmi les premiers à faire des propositions au président de la République à l’issue du remaniement ministériel. Pouvez-vous revenir sur ces doléances ?

Il y a deux questions essentielles à se poser si le Président Ouattara veut qu’il y ait effectivement une résilience sociale en Côte d’Ivoire : est-ce que la seule réduction du nombre de ministres peut suffire ? Je ne pense pas. Je pense qu’il faut aussi faire des économies dans toutes les poches de dépenses publiques, notamment réduire les budgets de toutes les institutions publiques. La seconde question est : dans quoi on investit pour impacter socialement le quotidien des Ivoiriens afin de relever leur pouvoir d’achat ? Nous estimons qu’investir dans l’amélioration de la demande de soins en Côte d’Ivoire est une bonne option. Cela veut dire qu’il faut rendre véritablement efficace la CMU, car la maladie cause plus de désolation et de tristesse dans toutes les familles. La maladie appauvrit aussi les familles en raison des dépenses catastrophiques auxquelles elles sont parfois confrontées. Il y a l’octroi massif des bourses d’études comme au temps du Président Houphouët-Boigny et la suppression de l’apport financier des familles quand l’enfant est orienté dans une école privée. Cette mesure va soulager les parents. Et améliorer le taux global de scolarisation. Je n’oublie pas l’insertion sociale et professionnelle des personnes handicapées, la baisse ou la suppression des charges sociales des entreprises de moins de 10 salariés. Cela permettra aux jeunes dont le gouvernement finance les projets et ceux qui s’autofinancent de sortir de l’informel, et donc de la précarité. L’ensemble des propositions est dans mon dernier livre.

 

« Le Président Ouattara a tenu sa promesse »

 

Le chef de l'État a une vision clairement définie dans un programme dénommé « la Côte d'Ivoire Solidaire » pour faire du social, est un élément important de sa gouvernance. Ne pensez-vous pas que vos propositions sont déjà prises en compte ?

Pour nous, toute initiative ou intention pour améliorer les conditions de vie des populations vulnérables est à saluer. Nous saluons donc les initiatives du gouvernement. Il y a en effet, certains projets du gouvernement qui prennent en compte nos propositions. C’est le cas de la CMU qui est toujours mentionnée dans le projet du gouvernement. Le seul fait que ce projet existe, est la preuve que le gouvernement a l’intention d’aider les Ivoiriens à se soigner. Cependant, est-ce que les choix techniques qui ont été faits pour la mise en œuvre de ces projets sont bons ? Je ne pense pas, car pour nous et pour de nombreux Ivoiriens, la CMU n’est pas efficace en termes de prise en charge. Il faut donc changer certaines choses.

 

Quel regard jetez-vous sur la Côte d'Ivoire au cours de ces dernières années ?

La Côte d’Ivoire, ces dernières années, a fait un bond en avant du point de vue des infrastructures économiques. Elle a bien progressé aussi en termes de création de richesse avec un PIB autour de 31 000 milliards de FCFA et une croissance économique moyenne de 7 %, ces dernières années. Tout cela est indéniable. J'ai toujours été critique vis-à-vis de la gouvernance du Président Ouattara. Mais, je reconnais ces avancées très nettes. Le problème de la gouvernance du Président Ouattara, au risque de me répéter, demeure la redistribution de cette richesse créée. Il est vrai que le revenu par habitant a augmenté mais ça reste une moyenne. Et en matière de statistiques, la moyenne ne reflète pas toujours la réalité. Le Président Ouattara pense que cette redistribution peut se faire mécaniquement. Ce n'est pas le cas, car les plus riches captent l'essentiel de cette richesse. On voit que la réalité dans le panier de la ménagère exige que l'État s'implique dans cette redistribution, en mettant en place, des projets sociaux efficaces. C'est d'ailleurs pour cette raison que je milite pour la réforme profonde de la CMU. Dans tous les pays du monde, l'assurance maladie publique est un puissant levier de redistribution de la richesse nationale. Ne dit-on pas que la santé avant tout ? Je pense que le Président Ouattara doit y songer. Il est profondément libéral mais, même dans un pays ultra-libéral comme l'Angleterre, la santé est financée à 99 % par des fonds publics. Si le Président Ouattara réforme la CMU dans le sens de son efficacité, il aura réussi sur tous les tableaux. Les Ivoiriens lui seront reconnaissants, de mon point de vue, car ils sont confrontés au quotidien, aux dépenses dites catastrophiques, c’est-à-dire des dépenses de santé plus élevées que leurs revenus. Et cela conduit inéluctablement à la pauvreté.

 

Interview réalisée par Venance Kokora

 

 

 

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