En Côte d’Ivoire, la presse en ligne en est encore au stade de balbutiement près de deux décennies après la création des premiers médias d’information. C’est la galère. Du moins, à écouter les différentes faîtières et autres promoteurs du secteur. Et cela, pour au moins cinq raisons. La première, c’est une mauvaise connaissance de l’écosystème du numérique dans lequel ils se sont engagés.
Une méconnaissance de l’écosystème du numérique
« Il y a une méconnaissance du secteur », déplore Joël Gnanzou de la Plateforme de la presse numérique de Côte d’Ivoire (PNLCI). « Beaucoup de confrères de la presse en ligne viennent de la presse écrite (…) Rares sont les rédactions de presse en ligne qui disposent réellement de journalistes qui sont formés à comprendre le métier de la presse en ligne et pouvoir l’exercer réellement », souligne quant à lui, le confrère Suy Kahofi, au nom du Réseau de la presse en ligne de Côte d’Ivoire (REPPLECI).
Cette méconnaissance de l’écosystème du numérique a conduit à la création de médias en ligne qui ne reposent pas sur un modèle économique clair. C’est la deuxième faiblesse de la presse en ligne. « Nous produisons donc à perte, parce qu’à la base, il n’y as pas réellement de modèle économique », relève Suy Kahofi. Selon lui, « certains organes de presse en ligne n’existent que par la personne de leur promoteur ».
Les promoteurs ne sont pas des managers
Non organisés, en véritables entreprises, ces médias en ligne pêchent donc par une absence de gouvernance, faute d’être dirigés par des managers de métier. C’est là troisième insuffisance du secteur. « Nous ne sommes pas des managers », souligne Joël Gnanzou. A preuve, poursuit-il, « le journaliste qui crée son média se demande quel type d’information il va donner, alors que le manager, lui, se demande quel est le besoin du public ». La mauvaise connaissance du secteur, couplée à l’absence d’un modèle économique bien pensé, faute de manager outillé, fait que les promoteurs de ces médias en ligne peinent à rentabiliser ou monétiser leur business. C’est la quatrième « plaie » du secteur. « Quelqu’un se lève, il créé un site internet avec 100 000 FCFA et espère gagner de l’argent avec », fait observer Alafé Wakili, promoteur d’une télévision numérique. « Nous produisons à perte. Nous n’avons pas de modèles de consommation basés sur l’abonnement parce que l’information que nous mettons en ligne peut être accessible à tout le monde en temps réel. Si une personne vend ses informations, d’autres la mettront en ligne gratuitement », note le REPPLECI par la voix de Suy Kahofi. « Il est difficile de compter sur les abonnements chez nous en Afrique et en Côte d’Ivoire particulièrement », renchérit Alafé Wakili.
Dur, dur, de rentabiliser
Les acteurs n’arrivent pas non plus à capter la publicité. « Nous avions espéré qu’il y ait un climat de confiance entre nous et les annonceurs de sorte que l’intégralité ou l’essentiel de la publicité qui va être partagée en ligne soit une manne accessible aux média en ligne légalement constitués afin que nous puissions gagner de l’argent pour mieux organiser notre secteur d’activité. Mais ce que nous constatons, c’est que les entreprises les plus crédibles préfèrent avoir recours aux influenceurs que de solliciter la presse en ligne. Ils ont pratiquement toute la publicité dans leur direct. Même les publicités des entreprises de paris sportifs sont données à ces influenceurs », déplore le journaliste de l’Agence France Presse (AFP). Qui ajoute : « La monétisation n’est pas ce qu’on croit. Combien Google ADS va nous payer ? Il y a des entreprises qui ont dix ans d’existence, Google Ads leur a versé 100 000 pour de petites publicités qui passent ». Président de l’Union des patrons de la presse en ligne en Côte d’Ivoire (UPLCI) Nado Dapa note lui aussi que la presse en ligne ne parvient pas à gagner de l’argent avec la publicité. « Google sur lequel on comptait pour avoir des entrées, ne nous verse plus rien », renchérit Nado Dapa,
La cinquième raison raison qui explique que la presse en ligne peine à décoller, c’est la concurrence des réseaux sociaux et des influenceurs qui y pullulent. Mais plus récemment celle de l’intelligence artificielle. Pour contrer l’exploitation gratuite de leurs articles par les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), le REPPLECI exhorte les opérateurs du secteur et, par-delà eux, l’Union nationale des journalistes de Côte d’Ivoire (UNJCI), à faire du lobbying auprès du législateur ivoirien afin qu’une loi soit prise pour contraindre les GAFA à verser des droits d’auteurs encore appelés droits voisins aux acteurs du secteur. « L’autre problème que nous avons, c’est qu’il n’y a pas de loi pour encadrer le contenu qui est référencé par les GAFA (…) La réalité de notre combat, ce n’est pas les miettes que Google nous donne en termes de publicité, mais de nous battre pour que le cadre législatif et réglementaire soit voté par l’Etat de Côte d’Ivoire pour une nous puissions percevoir les droits voisins c’est-à-dire les droits d’auteurs que doivent nous reverser les GAFA, qui exploitent gratuitement nos contenus. C’est de l’argent qui peut financer nos médias », plaident les acteurs du secteur par la voix de Suy Kahofi.
Assane Niada