Au-delà des sanctions qu’elle inflige aux journaux qui ont enfreint les règles et la déontologie du métier à travers le traitement qu’ils ont fait d’une information, l’Autorité nationale de la presse s’emploie à donner aux journalistes, les outils pour une meilleure pratique du métier. D’où les formations qu’elle donne régulièrement dans le cadre de l’ANP Academy, dont la dernière session a porté sur le journalisme face à la manipulation de l’information. Peut-on informer sans manipuler ?
Invité à éclairer les participants sur la question, professeur Nanourougou Coulibaly, enseignant-chercheur à l’Université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan et spécialiste de la rhétorique argumentative, a d’entrée, indiqué qu’« informer sans manipuler reste une grosse épreuve ». Pour lui, en effet, le journaliste est pris au piège des contraintes du métier qui le portent à rester difficilement neutre ou objectif. L’universitaire Nanourougou Coulibaly estime que « la neutralité et l’objectivité sont un vœu pieux », rejoignant ainsi l’auteur Patrick Charaudeau, qui postule « l’impossible transparence » du journaliste.
« L’impossible transparence » du journaliste
Au dire de l’enseignant-chercheur, l’activité de traitement de l’information porte le journaliste à procéder constamment à des choix : choix des événements et des faits qu’il est amené à rapporter et cela, en fonction de l’aspect ou l’angle qu’il entend privilégier ; choix des mots, des images, des tournures phrastiques, des illustrations, etc. Autant de choix qui sont subjectifs et donc, susceptibles d’entacher la neutralité de l’information. Par ailleurs, a fait savoir l’universitaire, les affects du sujet énonciateur, en l’occurrence le journaliste, ainsi que ses croyances et positions politiques, peuvent influencer ses écrits. « Si l’on n’y prend garde, ces éléments s’infiltrent dans le traitement de l’information », a averti Nanourougou Coulibaly. Il en déduit qu’ils peuvent affecter l’exigence de rapporter fidèlement les faits. À toutes ces contraintes, s’ajoute l’impératif de vente du produit journal, qui commande de pouvoir capter le lecteur-client. « Le journaliste est pris au piège : il faut assurer les ventes pour pérenniser le business, mais aussi assurer la crédibilité du journal pour assurer sa notoriété », a soutenu l’universitaire.
Mais le journaliste se doit-il de se plier béatement au besoin du public ? Écrit-on pour le public ou pour l’intérêt public ? Pour l’enseigneur-chercheur, la réponse est sans équivoque : « Le journaliste doit défendre l’intérêt public face aux intérêts du public et aux intérêts privés ». Pour y arriver, il doit avoir constamment en tête, ce qu’il a appelé sa « responsabilité sociétale ». Il doit « avoir en tête que les actes qu’il pose, ont un impact sur la société », a-t-il renchéri. En raison de son rôle dans la formation de l’opinion, le journaliste doit « avoir un rapport distancié dans la convocation des événements », soutient encore ce spécialiste de la rhétorique argumentative. Pour lui, le rôle du journaliste doit rester de « faire savoir » et non « faire croire ni ressentir ».
À sa suite, le président de l’ANP, le journaliste Samba Koné, a appelé les journalistes ivoiriens à un peu plus de professionnalisme. « Nous devons respecter le citoyen et contribuer à la cohésion sociale en étant conscients de l’impact de nos écrits sur les citoyens. Vendre, mais pas vendre à n’importe quel prix et ne surtout pas se vendre », a-t-il exhorté.