Handicapée elle-même, Nelly Georgette Aka est très engagée pour la cause des personnes en situation de handicap. Un engagement qui lui a valu de recevoir récemment, le Prix d’honneur African Womens Awards à Conakry en Guinée. Dans cette interview, elle explique le sens de son combat.
Nous vous savons déterminée et très engagée sur les questions de handicap. D’où vous vient cet engagement ?
Je sais comment on se sent lorsqu’on est en situation de handicap, puisque je suis moi-même dans cette situation. Aujourd’hui, je suis engagée dans cette cause, parce que je veux vraiment qu’il y ait un changement de regard sur le handicap. Je tiens cette force de Dieu. Quand on vit dans une société qui vous voit différemment, c’est très difficile. J’ai appris à tirer du positif dans ce que les gens pensent de négatif sur moi.
L’une de vos phrases fétiches est ‘’ mon handicap, mon atout’’. Que doit-on comprendre par cette formule ?
Très honnêtement, je considère mon handicap comme une qualité. On peut trouver cela paradoxal, mais c’est un challenge que je relève chaque jour. Je suis résiliente. À travers ma joie de vivre, mon sourire et mon engagement sur les choses qui concernent le handicap, j’ai pu affiner ma personnalité.
Comment faire alors pour que le handicap soit un véritable atout ?
Je dirai qu’il faudrait s’accepter soi-même. C’est à ce prix-là que, quel que soit ce que les gens diront, ça ne vous atteindra.
Que faire pour que les personnes en situation de handicap épousent cette idée ?
Bien évidemment, tout le monde ne pourra pas épouser cette idée. Dans l’esprit de la majorité des personnes, celles en situation de handicap sont des sous-hommes. À tel point que les personnes qui sont dans cette situation se recroquevillent sur elles. Il faut vraiment une grande campagne de sensibilisation pour que les regards changent.
Certains parents cachent leurs enfants handicapés, victimes de railleries. Que leur conseillez-vous ?
Aujourd’hui, les choses sont en train de changer. Des personnes en situation de handicap sont des cadres aussi bien en entreprise que dans l’administration en Côte d’Ivoire. Les critiques négatives sur le handicap font mal, mais quand on a la volonté de faire réussir son enfant, quel que soit son statut, on y arrive. Les parents doivent donner beaucoup d’amour à leurs enfants, c’est cet amour qui va permettre à ces enfants de développer un mental très fort.
Défilé de mode, atelier pour parler de sexualité, recherche de financement pour prothèse pour enfants. Quel regard les personnes en situation de handicap portent sur toutes ces initiatives ?
Au départ, lorsque je sensibilisais pour que le handicap soit vu autrement, je le faisais d’abord pour moi. Au fur et à mesure, à travers ma présence sur les réseaux sociaux, d’autres personnes en situation de handicap ont pu faire comme moi. Je suis heureuse, parce qu’au-delà de ma famille, des personnes que je ne connais pas, appréhendent mon handicap autrement. Elles ne voient plus Nelly la handicapée, mais Nelly tout simplement. Et j’en suis heureuse.
Vous êtes en couple et mère d’une petite fille de 4 ans. Comment se passe votre vie de couple ?
Ma vie de couple se passe très bien. Mon compagnon me soutient toujours dans ce que je fais dans mon combat. Un secret : on parle rarement de mon handicap dans mon couple, parce qu’il me voit comme tout le monde. Je me suis acceptée, donc il m’a acceptée. C’est une grâce d’avoir un homme qui vous accepte. Concernant ma fille, à son si jeune âge, elle se rend compte déjà que sa mère est en situation de handicap. Par moments, elle me pose des questions comme ‘’Maman, pourquoi tu marches comme ça ?’’, et je lui réponds très sereinement que je suis née avec une déformation au pied droit. C’est pour cela que j’ai un pied plus long que l’autre. Il faut éduquer les enfants sur son handicap.
Avez-vous déjà été discriminée en raison de votre handicap ? Comment avez-vous réagi ?
Un soir, je voulais aller en virée nocturne avec mes amis. Et lorsque nous sommes arrivés devant le night-club, les vigiles ont refusé que j’entre avec les autres. Je devais rester dehors parce que selon eux, par ma manière de marcher, je mettrais les clients très mal à l’aise. Le propriétaire de l’endroit m’a juste demandé de m’en aller, parce que j’indisposais ces autres clients. Lorsque je suis arrivée à la maison, j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps. Je me sentais très mal. Et je me suis posée toutes les questions sur ma situation. Je ne voulais plus jamais sortir de la maison, parce que pour moi, je n’étais pas agréable à regarder. Malgré les efforts que je faisais pour que les autres changent de regard sur ma personne, des gens me regardaient juste comme une handicapée.
En entreprise comme dans la vie de tous les jours, les gens ne savent pas toujours comment s’y prendre avec les personnes en situation de handicap. Un conseil ?
Lorsqu’une personne en situation de handicap arrive en entreprise, elle a tendance à être braquée elle-même d’abord. Se disant que déjà, les autres la voient d’un autre œil. J’aimerais que les collègues de ces personnes en situation de handicap comprennent qu’à part le handicap, il y a d’autres choses dans la vie de celles-ci. Il faut s’intéresser à leur vie aussi et non être focus sur leur situation de handicap.
Un mot à l’endroit des personnes en situation de handicap…
À l’endroit des personnes en situation de handicap, j’aimerais qu’elles comprennent que le handicap ne doit jamais être considéré comme une fatalité. Il ne doit jamais vous empêcher de faire ce que vous avez envie de faire. Vous êtes des êtres à part entière. Ne prenez pas les critiques négatives au premier degré. Considérez votre handicap comme votre plus grand atout. Quant aux autorités, je les appelle à prendre plus sérieusement en compte, la question du handicap. Plus de 700 000 personnes en situation de handicap en Côte d’Ivoire, c’est énorme.
Interview réalisée par Roxane Ouattara
