Sport

Interview Adam Khalil (Journaliste et membre du jury du Ballon d’or) : « Le Ballon d’or France Football est l’un des prix les plus crédibles au monde »

interview-adam-khalil-journaliste-et-membre-du-jury-du-ballon-dor-le-ballon-dor-france-football-est-lun-des-prix-les-plus-credibles-au-monde
Pour l’Ivoirien Adam Khalil, membre du jury du Ballon d’or, Messi est le vainqueur incontestable de l’édition 2023. (Ph : DR)
PARTAGEZ
L’actualité sportive était dominée la semaine dernière, par l’attribution du Ballon d’or qui consacre les footballeurs les plus méritants sur une année. Après le 8e sacre de l’Argentin Lionel Messi qui continue de faire couler beaucoup d’encre et de salive, le journaliste sportif Adam Khalil, l’unique Ivoirien membre du jury depuis 2007, parle et livre des secrets…

Vous êtes le seul Ivoirien dans le jury du Ballon d’or France Football. Comment s’est opéré votre choix pour faire partie de ce jury ?

Depuis 2007, plus précisément au cours de la saison 2006-2007, je suis membre du jury du Ballon d’or France Football. Lors de cette saison, le Ballon d’or a été ouvert aux journalistes du monde entier, parce qu’à l’époque, le jury était exclusivement composé de journalistes européens qui votaient pour le Ballon d’or. C’est dans le cadre de la mondialisation que nous avons intégré ce jury. En 2007, le Ballon d’or se retrouvait dans sa troisième grande phase de changement. En 1995, avant que Georges Weah ne remporte le trophée, le Ballon d’or était exclusivement réservé aux joueurs européens, évoluant sur le continent européen. À partir de 1995, il y a eu une ouverture et le trophée était adressé à tous les joueurs, sans distinction de nationalité, mais évoluant dans les championnats européens. Voilà comment Georges Weah, Libérien, a pu décrocher ce trophée. Il demeure à ce jour, le seul africain à l’avoir remporté. La troisième phase de changements qui est intervenu en 2007, comme je le disais, a coïncidé avec l’ère de la mondialisation et d’intégration. Le Ballon d’or s’est donc à nouveau ouvert, aussi bien pour les joueurs que pour les votants. Au niveau des joueurs, le Ballon d’or s’est ouvert à tous les athlètes des championnats du monde entier. Ce qui fait que même le championnat de Côte d’Ivoire est concerné par les votes.

 

Comment sont cooptés de façon globale, les jurys du Ballon d’or ?  

D’une manière générale, le choix des membres du jury se fait en tenant compte de la bonne moralité, de l’expérience, du fait de participer à plusieurs compétitions, etc. Quand en 2007, j’ai été appelé pour faire partie de ce jury, une enquête de moralité a été ouverte pour s’assurer de ma probité.

Et cela a été aussi possible, parce que j’ai été dans la foulée, correspondant de France Football.

 

La semaine dernière, le prodige argentin, Lionel Messi, a remporté pour la 8e fois, le Ballon d’or. Ce qui est inédit dans l’histoire de cette distinction. Personnellement, comment jugez-vous ce sacre ?

Je suis membre du jury, donc, je dirai que c’est tout à fait mérité pour Lionel Messi. S’offrir ce 8e Ballon d’or, c’est vraiment inédit. On aurait pensé qu’à l’époque, Pélé, Platini ou Maradona, pouvait être à ce niveau. Mais, j’ai expliqué les subtilités de ce Ballon d’or, qui ont fait que certains joueurs, parce que n’évoluant pas sur le continent européen, ne l’ont pas remporté. France Football a rattrapé cela en donnant des titres beaucoup plus honorifiques, consacrant les grands noms comme Pélé ou Maradona, comme des légendes du football mondial. Pour revenir à Messi, c’est aujourd’hui celui qui a eu le plus grand nombre de suffrages, sur l’ensemble des 100 votants. C’est le cumul des points de chacun des votants qui a donc permis à Messi de soulever ce 8e Ballon d’or.

 

Mais depuis ce 8e Ballon d’or, beaucoup d’analystes et non des moindres, estiment qu’il y a eu de la complaisance. En tant que membre du jury, que pouvez-vous dire sur la question ?

Le Ballon d’or France Football est l’un des prix les plus crédibles qui puisse exister.

Depuis sa création, l’organisation a toujours pris le soin de publier, sans distinction et sans exception, tous les votes des différents jurys, dans le journal. Il suffit d’aller regarder le site internet ou dans le journal France Football, pour comprendre comment chacun des votants a fait son choix. C’est à l’issue du cumul des points que le prix est décerné au vainqueur. Ce qui me conforte, en outre, à dire que c’est un prix crédible, c’est le fait que ce sont des journalistes sportifs, outillés, qui font le choix. Des gens qui ont déjà couvert au moins 5 Coupes du monde et des compétitions majeures, dont la Ligue des Champions européenne, des compétitions africaines, etc. Ils sont un peu partout dans le monde. Pour rendre beaucoup plus crédible le vote, les jurys sont choisis en fonction de l’indice de chaque fédération. Ce sont les jurys des 100 premiers pays au classement FIFA qui votent le Ballon d’or. Ce sont donc des votants qui ont une véritable connaissance du football. Lorsque des jurés de ce type font des choix, on peut dire que c’est Messi qui est légalement et légitimement le vainqueur de ce Ballon d’or et le meilleur de tous, pour l’instant.

 

« Messi est légalement et légitimement le vainqueur de ce Ballon d’or et le meilleur de tous, pour l’instant »

 

De façon pédagogique, expliquez-nous les critères d’attribution du Ballon d’or ?

C’est très simple. Le premier critère, c’est la performance individuelle et l’esprit de décision, c’est-à-dire être décisif sur un terrain. Le second dans la hiérarchie, c’est la performance collective et le palmarès, c’est-à-dire, la performance du joueur aussi bien en club qu’en sélection. Le troisième critère, c’est la classe du joueur et son fair-play.

Tous ces critères sont soumis au jury, qui se charge de composer un quinté dans l’ordre décroissant, sur la base des 30 joueurs nominés par la Rédaction de France Football. Et donc, dans ce quinté, le journaliste votant désigne 5 joueurs, qui se verront attribuer 6 points pour le premier, 4 points pour le second, 3 points pour le troisième, 2 points pour le 4e et 1 point pour le 5e. Voilà le mécanisme et c’est à l’issue de celui-ci, que tous les choix des votants sont recoupés et regroupés. Ensuite, on cumule les points des 30 joueurs nominés. Celui qui aura le plus grand nombre de points selon le cumul, est le gagnant.         

 

Sur la base des critères que vous venez de relever, ce que d’aucuns ne comprennent pas, c’est que Mbappé qui est arrivé en 3e position, a été le meilleur buteur du mondial. Haaland a remporté la Champions league, le trophée de meilleur buteur de l’UEFA, contrairement à Messi qui, en dehors du mondial, n’a pratiquement rien remporté. Qu’est-ce qui a milité en faveur de Messi, malgré tous ces paramètres ?

Oui, mais il ne faut surtout pas oublier que Messi et Mbappé ont joué au Paris Saint Germain. Ils n’ont donc pas remporté de Ligue des Champions. Messi a remporté la Coupe du monde et Mbappé a été le meilleur buteur du mondial. Au même instant, Haaland, le Norvégien, n’était pas à la Coupe du monde. Mais il a remporté la Ligue des champions. Voici pourquoi les jurés font le classement de 5 joueurs dans l’ordre décroissant. Les jurés ne se mettent pas ensemble pour choisir ou pour dire qu’on va favoriser tel par rapport à tel autre. C’est le cumul des points qui fait la différence. À partir du moment où un joueur est dans les 10 premiers avec le niveau actuel des footballeurs, cela signifie qu’il mérite amplement d'être sur le podium. Messi a eu les suffrages de plusieurs jurés.

Pour livrer une confidence, moi, j’ai attribué un seul point à Messi dans mon vote par rapport à Mbappé à qui j’ai attribué 6 points. Dans mon classement, Mbappé était donc le premier. Mieux, je n’ai pas mis Haaland dans mon tiercé, parce que j’ai préféré Victor Osimhen, le Nigérian de Naples.

Il a fait revenir Naples au plus haut niveau après une vingtaine d’années où Maradona l’avait laissé. J’ai estimé que les performances individuelles de ce joueur étaient beaucoup plus explosives que celles de Haaland de la Ligue des champions. Dans mon vote, j’ai mis Rodri, l’Espagnol, en N°3 et Alvarez, l’Argentin, en N° 4. J’ai estimé que le jeu décisif est beaucoup plus le milieu de terrain. Cependant, je ne suis pas le seul votant. Il y a donc ces subtilités qui font que quand on cumule tous les points, finalement, c’est Messi qui passe devant.

 

Après l’attribution de ce Ballon d’or, il y a eu beaucoup de controverses et de polémiques. D’aucuns parlent de lobbyistes et de gros sponsors qui orientent le choix du jury. Est-ce que dans l’histoire d’attribution du Ballon d’or, il y a eu un choix sur lequel le jury est passé à côté de la plaque ?

Les débats et les polémiques ont lieu quand les résultats des votes ne sont pas encore publiés. C’est le seul prix où on montre à l’opinion publique, les votes de chacun des votants. Ça, c’est du jamais vu ! Chacun à son niveau peut faire le cumul pour voir si le résultat final est faux ou biaisé. Le groupe de lobbyistes dont les gens parlent ne peut pas exister. L’Afrique avait 52 ou 53 pays qui votaient à l’époque. Maintenant, c’est moins parce que, ce sont les 100 premiers pays de l’indice FIFA qui votent. Mais pourquoi Eto’o et Didier Drogba n’ont pas eu de Ballon d’or ?  Nous, votants africains, on aurait pu dire que ce sont nos Ballons d’or, parce que ce sont nos frères et aussi parce qu’on avait le plus gros contingent de votants. Un groupe de lobbyistes pouvait se lever pour dire que ce sont des Africains et qu’on doit voter pour eux. Retenez que les votants ne sont pas des gens qui sont nés de la dernière pluie dans la presse sportive. La corruption ne peut pas exister en tant que telle. En votant, il y va de notre crédibilité et de notre réputation.

 

Des Africains estiment que Samuel Eto’o, Didier Drogba et Yaya Touré ont été des joueurs exceptionnels de classe mondiale et qu’ils méritaient logiquement le Ballon d’or. Pourquoi ces grands joueurs n’ont pas pu avoir le Ballon d’or dans leur carrière ?

Peut-être qu’il fallait faire plus que Messi, Ronaldo, Karim Benzema, qui sont leurs contemporains et qui ont remporté le Ballon d’or (Rires).

 

Pour vous, comment Messi et Ronaldo ont régné pendant plusieurs années sur le football mondial ? Quel commentaire sur ce long règne de Messi et de Cristiano Ronaldo sur le Ballon d’or ?

Il y a une grande leçon à retenir.

Vous avez évoqué tout à l’heure, les noms de Didier Drogba et de Samuel Eto’o Fils. Quand on regarde leur carrière, ils ont passé plus de 15 années au très haut niveau et en sélection nationale et en club. Ce qui signifie qu’ils ont eu une très bonne hygiène de vie. Ils ont été des professionnels dans l’âme et sur les pelouses. C’est le même cas avec Cristiano Ronaldo et Lionel Messi. Il ne doit pas avoir de scandale sur leur long règne sur le football mondial. Ce sont des professionnels aguerris et ils sont toujours au très haut niveau, bien qu’ils aient dépassé la trentaine d’années. Lorsqu’on regarde les coups francs de Cristiano Ronaldo, on se rend compte qu’il les prépare minutieusement depuis plusieurs années. Lorsqu’on regarde aussi les déplacements et les appels de balles de Lionel Messi et comment il s’incruste dans la profondeur du jeu, on se rend également compte que ce sont des gestes qu’il étudie et qu’il prépare minutieusement. Dans un tel contexte, Messi et Ronaldo ne peuvent que dominer le football mondial de leur temps, parce que pendant ce temps, ils ont été les plus professionnels et ils ont très bonne hygiène de vie et un encadrement très professionnel pour maintenir leurs performances.

 

Au lendemain de l’attribution du Ballon d’or, certains fanatiques du football sont en train de rouspéter sur les conditions d’attribution de ce 8e ballon d’or à Messi. Que pouvez-vous dire à l’ensemble du public sportif qui suit cette actualité ?

Il faut se réjouir du fait que le Ballon d'or connaît depuis sa création, une plus grande notoriété auprès de tous ses partenaires dans le monde entier. C'est le lieu de rappeler que dans sa nouvelle et prochaine forme, le groupe Amaury, propriétaire de France Football et de L'Équipe, s'accorderont avec l'UEFA pour remettre ce trophée. C'est déjà acté. Ce qui signifie que la Confédération européenne va devenir, dès 2024, le partenaire principal pour l'organisation de la cérémonie qui récompense le meilleur joueur et la meilleure joueuse du monde. Le président Ceferin et ses collaborateurs vont mettre leur expertise au service du prix.

Avec le travail initiatique lancé déjà par Didier Drogba, les responsables de l'UEFA se chargeront aussi d'inviter les plus grandes stars, mais également de développer la partie commerciale de l'événement.

Ce qui ne changera aucunement le mode et les critères de désignation des lauréats qui est l'apanage d'un jury exclusivement composé d'experts, de journalistes spécialisés dans le monde entier. Il faut donc comprendre qu'en dépit de tout, le Ballon d'or étend son influence dans le monde. Des gens vont rouspéter parce que le choix d’une personne n’est pas forcément le choix de l’autre.

 

 

Réalisée par Kra Bernard

Newsletter
Inscrivez-vous à notre lettre d'information

Inscrivez-vous et recevez chaque jour via email, nos actuaités à ne pas manquer !

Veuillez activer le javascript sur cette page pour pouvoir valider le formulaire