Société

Carnet de route/ Axe Ferké-Kafolo-Kong Voyage jusqu’au bout de l’angoisse

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En attendant la fin des travaux de bitumage de la voie, la Nassian-Kafolo demeure très poussiéreuse. (Photo : MZ)
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De Ferkessédougou à Kong en passant par Kafolo, le périple, pour toucher du doigt les réalités économiques et sociales des populations du Tchologo, a été aussi mouvementé que palpitant. L’Avenir partage ce carnet de route avec ses lecteurs.

D’après le recensement général de la population de  2021, la population de la région du Tchologo est estimée à 603.084 habitants. Nichée totalement au Nord de la Côte d’Ivoire, elle est voisine des régions du Hambol, du Boukani et du Poro. Couvrant une superficie totale de  17.728 km², cette région qui regroupe les départements de Ferkessédougou, Kong et Ouangolodougou, du fait de sa proximité avec  le Burkina Faso et le Mali, fait face, depuis quelques années, à la problématique du terrorisme. En juin 2020, une attaque contre une emprise de l’armée ivoirienne dans le village de Kafolo, a fait 14 morts, tous des militaires. Le même village a été de nouveau attaqué en mars 2021 : 5 personnes y avaient trouvé la mort dont 2 militaires. D’autres attaques ou agressions à l’engin explosif improvisé, étaient régulièrement signalées dans cette zone, jusqu’à un passé récent. Mais, avec les nombreux efforts et moyens déployés par le gouvernement, tant au niveau sécuritaire que socioéconomique, les populations retrouvent de plus en plus la quiétude. Eloigner les djihadistes par des actions de développement, c’est la trouvaille de l’État ivoirien, qui entend ainsi lutter contre l’extrême pauvreté. Le vaste programme mis en place par le gouvernement, d’un budget global de 265 milliards Fcfa, visait à renforcer la résilience économique et sociale des populations du Nord qui font face au spectre djihadiste.

 

L’impact des programmes dans le Tchologo

 

Pour la région du Tchologo uniquement, le programme a permis de prendre en charge 3696 personnes, sur un objectif initial de 3742 soit un taux de réalisation de 99%. Pour mesurer l’impact de ces actions sur les populations, notamment les bénéficiaires, nous avons, durant une semaine, sillonné quelques localités de la région. Les Niarafolos, sous-groupe Sénoufo et les Malinkés sont les groupes ethniques dominants du territoire, lequel abrite également plusieurs populations ivoiriennes non autochtones ainsi que des étrangers d’origine africaine en particulier, des Maliens et des Burkinabè. Ce périple dans le Tchologo commence le dimanche 2 juillet 2023 à notre arrivée dans la ville de Ferké, après avoir parcouru près de 600 kilomètres en car. A peine avons-nous foulé le sol de Ferké que le travail commence déjà. Nous sommes attendu par plusieurs groupes de bénéficiaires qui veulent partager leurs expériences. Tout se déroule jusqu’à 21h, lorsque nous regagnons notre hôtel de résidence. Ce lundi 3 juillet, le programme est chargé. Avec l’équipe de l’Agence emploi jeune (AEJ) de Ferké, nous allons à Koumbala, petite ville située à 8 kilomètres. La responsable locale de l’AEJ, Siatta Ouattara, est très sympathique. Assis à l’arrière de sa moto, nous visitons ensemble les uns après les autres, les bénéficiaires des programmes dont elle a la charge. Après plusieurs heures de d’entretien, nous sommes invité par notre hôte à déguster un plat local. Le riz au ‘’soumara lafri’’. Un vrai régal ! Après quoi, nous regagnons Ferké. Nous sommes mardi, troisième jour de notre séjour. Les choses vont devenir un peu plus captivantes. Nous devons embarquer pour Kafolo le mardi matin. Notre visite dans cette localité, qui a fait l'objet d'attaque terroriste il y a quelques années, a été annoncée depuis quelques jours. Il est 8h quand nous sortons de l’hôtel.

 

Des transporteurs véreux

 

Après plusieurs renseignements, nous sommes orienté dans un endroit qui est censé être la gare de Kafolo. 8000 Fcfa, c’est le coût du transport pour ledit village. L'équivalent d’Abidjan-Ferké. « Monsieur, la zone est dangereuse, la route n’est pas bonne, voilà pourquoi c’est couteux », justifie notre interlocuteur. Nous n’avons pas le choix. A la vérité, le ticket coûte 5000 f, le prix a sans doute été surenchéri à cause de notre allure, qui a dû faire deviner que nous ne sommes pas un ressortissant de la région. Ici, les véhicules pour Kafolo sont rares. Pas plus de deux départs par jour. Nous prenons le ticket. Au moment d'embarquer, en lieu et  place du mini car censé nous transporter, nous sommes invité à prendre place à l’arrière d’une moto pour une autre destination. En fait, nous n’étions pas à la vraie gare. Une fois au bon endroit, nous sommes  invité à prendre place dans le bon mini car (Massa). Un véritable tacot qui peine à tenir sur ses quatre roues. La portière ne tient que grâce à plusieurs tours de fils de fer. À l’intérieur du véhicule, nous faisons connaissance avec les cafards et autres insectes visiblement maîtres des lieux. Les sièges, soudés à plusieurs endroits, souffrent sous le poids des passagers. Le ballet interminable  des enfants talibés en rajoute à notre agacement. En attendant que le véhicule se remplisse totalement, nous descendons nous asseoir sur un banc, près du chef de gare. De là, nous pouvons voir le véhicule surchargé avec des ‘’tonnes’’ de bagages. Il 9h15. Au fur et à mesure que le véhicule se remplit de passagers, l’angoisse grandit. La plupart des gens qui prennent place à bord du véhicule, n'ont pas un look très commode. Boubous et djellabas par-ci, blousons et mentaux par-là. Et pour en rajouter à l’angoisse, ils portent des tignasses.

 

Un voyage stressant

 

Le look typique du poseur de bombe de la race de djihadiste, généralement dépeint à la télévision. Et comme si ça ne suffit pas, ils ont tous des sacs noirs. A10h, le véhicule démarre. Vu comment cette guimbarde "tremblote", on se demande bien si elle  pourra nous conduire à destination. À peine arrivés à la sortie de Ferké, nous sommes interpellés par des agents de police : contrôle des pièces d'identité ainsi que des pièces afférentes au véhicule. Les passagers en boubous n'ont pas de documents homologués. Qui sont-ils ? Que vont-ils  faire à Kafolo ? Qu’y a-t-il dans leurs sacs ? Les questions nous turlupinent. Le conducteur et son apprenti n’ont pas d’autres choix que d’aller plaider. Les flics se montrent flexibles. Le voyage peut reprendre.

Après environ 1h40 de route sur bitume, notre calvaire commence à la sortie de Nassian. La piste poussiéreuse pour rallier Kafolo nous tend les bras. Une véritable hantise pour les conducteurs. Ici les travaux de bitumage de la voie vont bientôt démarrer. Pour l’heure, les bulldozers sont à pied d'œuvre pour l’élargissement de la route. Cette route, faut-il le rappeler, traverse la réserve naturelle de la Comoé, un endroit réputé être un maquis où des terroristes auraient été aperçus de temps en temps. Mais avec la présence bien visible des forces de défense et de sécurité, les craintes ont été vite dissipées. Les lieux sont certes sécurisés, mais, ne sait-on jamais. Après quelques kilomètres de piste, nous sommes à nouveau arrêtés à un barrage pour un contrôle. Les gendarmes en service ne sont pas autant compréhensibles que leurs autres collègues policiers. Les passagers ne disposant pas de pièces d’identité civiles sont invités à descendre du véhicule. Les pourparlers prennent beaucoup de temps. Ça semble interminable. Le temps jouant contre nous, nous descendons alors pour plaider à notre tour. Les agents acceptent enfin de libérer nos compagnons de route ‘’sans papiers’’. À bord du "cercueil" roulant, le conducteur se résout enfin à mettre un peu d'ambiance. Il enchaine  des morceaux datant d'une certaine époque. Le cinquantenaire est nostalgique.

 

Grosse frayeur à la vue d’un pick-up surmonté d’un canon

 

Il est 13h45, quand nous foulons le sol de Kafolo. Ce mardi, après la pluie qui est tombée la veille dans la zone, plus de la moitié des habitants ont pris très tôt le chemin des champs. Nos entretiens avec les bénéficiaires trouvés surplace ne durent qu’environ  1h30 minutes. 15h30, nous voilà prêt pour rallier Kong pour la suite du programme du jour. Il faut maintenant prier pour avoir un véhicule pour retourner. Après deux heures d'attente, passées en train d'observer les gamins de ce bled s'amuser, et sauter partout, point de véhicule en vue. Nous  commençons à nous impatienter. « Monsieur…, vous devez quitter les lieux, vous n'êtes pas autorisés à rester au corridor »,  nous enjoint le sergent-chef, chef dudit corridor. Les forces de l’ordre n’ont pas apprécié de n’avoir pas été informées de notre présence dans le village. Elles tiennent à le faire savoir.

Après discussions, tout entre dans l'ordre finalement. Nous pouvons rester là. Mieux, le chef du corridor va lui-même nous aider à trouver un véhicule pour retourner. Après 30 autres minutes, toujours pas de véhicule. Il est 17h15, le temps avance. Nous sommes finalement contraints de faire le chemin retour à moto. Le sergent-chef nous a arrangé ça avec un motard qui passait par-là : il va nous déposer à Nassian. Sur cette route non bitumée, le motard fonce à vive allure. Il en a cure des nids de poule qui nous font monter et descendre au fur et à mesure que nous avançons. Plus loin, un pick-up blanc est en vue. Depuis l'arrière, nous pouvons apercevoir le bout du canon d'un fusil sortir par-dessus la vitre du  véhicule. Dans une zone incertaine comme celle-là, le stress monte d’un cran. Qui sont-ils? Pourquoi sont-ils armés ? Que font-ils ici? Les questions fusent. « C'est le petit frère du député. Il est militaire », nous rassure le conducteur de la moto. Les hommes dans le pick-up chassent du gibier. Ouf, on a eu chaud !

Nous pensions avoir affaire à des djihadistes. Pour autant, nous ne sommes pas au bout de nos surprises. Sur notre chemin, quelques kilomètres plus loin, un python d'environ 1,5 mettre se traîne lourdement. Le reptile semble avoir avalé quelque chose. Le peu de cheveu qui nous reste sur la tête dégarnie, se dresse d'un coup. Le motard dévie le gros serpent de justesse. Le visage totalement recouvert de poussière, nous amorçons les derniers kilomètres pour atteindre la ville prochaine. Après environ 1h45 de route, Nassian pointe à l’horizon.

 

Sauver par les motos

 

Le motard, comme convenu, nous abandonne entre les mains d'un chef de gare, au rond-point de Nassian. Nous tenons difficilement debout, nos pieds continuant de trembler après les nombreuses secousses qu'ils viennent de subir. Il est 18h50. Il n'y a plus de véhicule pour Kong. Pourtant, nous y sommes attendu.  Décidément, c'est la soirée des motos. Un autre motard veut bien nous y emmener. On ne va pas cracher pas sur l’une des seules opportunités. Nous pensons pouvoir y aller et revenir à Ferké la même nuit, mais nous allons très vite déchanter. 19h50, nous entrons à Kong. « Il fait nuit, on ne pourra pas échanger avec des bénéficiaires ce soir. Il faut attendre demain », nous fait savoir le chef local de l’AEJ. «Non, pas question. Je dois finir et rentrer à Ferké», lui rétorquons-nous. Avec un rire narquois, il répond : « cette nuit-là, retourner à Ferké ? Ce n'est pas possible ! ». Eh oui, il a malheureusement raison. Il n'y a plus aucun véhicule en partance pour Ferké. Nous voilà coincé, obligé de passer la nuit dans la ville aux mosquées historiques.

 

Manuel Zako

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