
Dans ce document de 38 pages, sont exposés les arguments des différentes parties prenantes dans cette affaire ainsi que ceux avancés par la présidente du tribunal de première instance d’Abidjan, la juge Touré Aminata, épouse Touré. On y apprend notamment les noms des citoyens qui se sont tournés vers la justice pour réclamer la radiation de Tidjane Thiam de la liste électorale, après qu’ils ont été déboutés par la Commission électorale indépendante (CEI).
Voici ceux qui ont saisi la justice
Kokora, Bolou Gouali Eloi, Amouzou Jules Kouassi, N’goran Yapi Servers, Megnan Landry, Assi Asseu Jacques, Diaby Siaka, Diabaté Oumar Mohamed. Ils ont demandé la radiation de Tidjane Thiam de la liste électorale au motif que celui-ci avait perdu la nationalité ivoirienne depuis qu’il a acquis volontairement la nationalité française par naturalisation en 1987 et cela, conformément aux articles 48 et 50 du code de la nationalité. Comme pièces à conviction, ils ont fourni une copie du décret de naturalisation de Thiam, publié dans le journal officiel français. Ils ont été également mis en avant un précédent ayant conduit à la radiation de la liste électorale de M. Tioté Richard Souhaluo, en 2011. Saisi, le Conseil constitutionnel, présidé alors par Francis Wodié, avait conclu que celui-ci avait perdu la nationalité ivoirienne pour avoir acquis la nationalité française en 2007 et cela, en vertu de l’article 48 du Code de la nationalité. La juge balaie « la nationalité par surabondance » Se fondant sur les éléments probants fournis par les plaignants, la juge a estimé recevable leur plainte. Avis que ne partagent pas les avocats de Tidjane Thiam, au nombre desquels Me Rodrigue Dadjé. Après avoir essayé de remettre en cause la compétence du tribunal pour connaître de l’affaire, ils ont tenté dans un premier temps de montrer que, si Tidjane Thiam a été naturalisé en 1987, ce n’est pas parce qu’il a fait une demande dans ce sens, mais parce que les autorités françaises ont voulu récompenser son génie, lui qui aura eu un brillant parcours universitaire à l’Ecole polytechnique de Paris. Selon la juge, Thiam prétend, par la voix de Me Rodrigue Dadjé, « avoir la nationalité française de par le canal de son père, qui est français d’origine et que c’est de manière surabondante qu’il a été naturalisé pour ses prouesses académiques ». A l’évidence, elle n’a pas semblé avoir été convaincue par cet argument. « Il n’a pu apporter la preuve, alors que cela lui incombe, contrairement à ce qu’il a prétendu, que cette nationalité française lui a été attribuée par les autorités françaises en raison de ses prouesses lors de son passage à l’Ecole Polytechnique de Paris », a-t-elle balayé cet argument.
Une « feuille volante » pour prouver la nationalité française de Thiam
Autre argument présenté comme massue, développé par les avocats de Tidjane Thiam, à coups de pièces à conviction : le fait qu’il soit né Français et donc qu’il n’est nullement concerné par les articles 48 et 50 du Code de la nationalité. « Sur ce point d’ailleurs, pour faire la preuve de la nationalité française du père de Monsieur Thiam Cheick Tidjane, son conseil, Maître Dadjé Rodrigue, verse aux débats, une feuille volante non authentifiée, portant l’inscription, au feutre, de la mention ETAT-CIVIL EUROPEEN (EC.E 1962), à laquelle est annexée une copie presque illisible de l’acte de naissance n°394 de Monsieur Thiam Cheick Tidjane, dressé sur le 102e feuillet du registre de naissance. De l’analyse des énonciations de cet acte de naissance, il ne ressort nullement que le père du défendeur, Monsieur Amadou Thiam, né à Dakar, au Sénégal, le 05 août 1923, Directeur de Radio, est de nationalité française », relève la présidente du tribunal. Laquelle ajoute : « Outre les pièces susvisées, Maître Dadjé Rodrigue a également produit copie de l’extrait de naissance n°252 du 11 février 1949 du Centre principal d’état civil de la ville d’Abidjan, concernant le nommé Ehouo Florence Stanislas Adolphe ; il ne démontre en quoi cette pièce a un lien avec la présente procédure ou en quoi elle est de nature à établir la nationalité française du père de Monsieur Thiam Cheick Tidjane ». Elle en a conclu ce qui suit : « Il (Thiam) n’a pu, en dehors de ses déclarations, établir la nationalité française dont aurait joui son père, à un moment donné de son existence ». Et de renchérir : « En tout état de cause, si le père de Monsieur Thiam Cheick Tidjane était de nationalité française, comme le prétend son conseil, ce dernier aurait bénéficié de la nationalité française par hérédité, toute chose qui aurait rendu juridiquement inopportune sa naturalisation par décret, le 27 février 1987 »
La sanction tombe
Ayant ainsi démonté les arguments des avocats de Tidjane Thiam, la juge a tranché : « Ainsi, à la faveur de la révision de la liste électorale 2022-2023, Monsieur Thiam Cheick Tidjane, qui n’était pas Ivoirien, ne pouvait s’inscrire sur la liste électorale, cette inscription n’étant réservée qu’aux personnes jouissant de la nationalité ivoirienne ». Puis, elle a enfoncé le clou en ajoutant : « Par ailleurs, Monsieur Thiam Cheick Tidjane ne peut encore moins figurer sur la liste électorale dressée par la Commission électorale indépendante à la faveur de la révision de l’année 2024, ce, d’autant qu’à cette période, il ne bénéficiait toujours pas de la nationalité ivoirienne, pour l’avoir perdue depuis le 24 février 1987 ». Pour finalement arriver à cette conclusion : « Mieux, le certificat de nationalité ivoirienne par lui produit à la faveur de la révision de la liste électorale 2022- 2023, était inopérant et dépourvu d’effet, ce, d’autant que le 08 juin 2020, date à laquelle cet acte lui était délivré, il ne jouissait plus de la nationalité ivoirienne ». Ainsi s’est achevée cette audience qui marque un tournant dans la vie politique ivoirienne.
Assane NIADA