L’ancien chef de l’État, Laurent Gbagbo, est attendu à l’Ouest de la Côte d’Ivoire. Selon la direction de son parti, il va apporter sa compassion aux populations de cette partie du pays, qui n’ont que trop souffert. Trop souffert des violences engendrées par le discours de haine que les pro-Gbagbo y ont distillé durant près de deux décennies. Retour sur les temps forts de cette dissémination de la haine.
Quand survient la rébellion de septembre 2002, qui finit par gagner l’Ouest de la Côte d’Ivoire, les partisans de Laurent Gbagbo ont tôt fait d’assimiler les animateurs de cette rébellion aux partisans du Rassemblement des Républicains (RDR) d’Alassane Ouattara. Fusèrent alors, des discours tendant à stigmatiser les ressortissants du Nord, taxés de rebelles, d’assaillants. Dans la foulée, ont été formés des groupes d’autodéfense ou miliciens qui vont s’attaquer aux militants et sympathisants du RDR et plus généralement, aux ressortissants du Nord, assimilés à tort à des « assaillants ». À cet antagonisme politique, va se greffer une rhétorique ethnico-religieuse tendant à assimiler systématiquement les Malinké et musulmans à des militants du RDR, lesquels sont livrés à la vindicte populaire par des barons de l’ex-parti au pouvoir, le Front populaire ivoirien, qui sont originaires de l’Ouest. Ce discours clivant aura pour effet de servir de buchette aux tensions intercommunautaires qui vont déchirer l’Ouest durant toute cette décennie de ni paix ni guerre.
De la rébellion de 2002 à la crise post-électorale de 2010
À l’époque déjà, ces ressortissants du Nord étaient présentés par des cadres de l’Ouest comme des étrangers, venus envahir les terres des peuples hospitaliers de l’Ouest. Ce discours xénophobe à relent ivoiritaire a eu pour conséquence de creuser davantage, le fossé entre ceux qui étaient présentés comme les autochtones et les autres qui étaient des allochtones ou allogènes. Au plus fort de la décennie de ni paix ni guerre, cette stratification des populations de l’Ouest a nourri de vives tensions et conduit à des affrontements. Et cela, parfois sur fond de conflits fonciers. C’est que nombre d’élus et cadres de l’Ouest ont inoculé dans l’esprit de leurs parents qu’ils payaient, à travers ces violences, la naïveté qui les a conduits à céder leurs terres aux étrangers. Un message inflammable auquel une bonne frange de la population était réceptive. Voilà comment était continuellement entretenu, le brasier de haine dans l’Ouest du pays.
Quand éclate la crise post-électorale de 2010, elle trouve un terreau fertile : des populations qui se regardaient en chien de faïence, en raison des dissensions politiques, des litiges fonciers, le tout sur fond de repli identitaire. En effet, au second tour de la présidentielle de 2010, des élus et personnalités de l’Ouest ont à nouveau embouché la même rhétorique : « Si Ouattara est élu, ils vont vous arracher vos terres qu’ils occupent déjà ». Agité comme un épouvantail, ce discours a eu pour effet de doper les populations de l’Ouest, partisanes du camp présidentiel d’alors ; lesquelles voyaient ces « occupants » comme des envahisseurs à déloger de leurs terres. À cet effet, des miliciens ont été armés, dont les tueries ont marqué cette partie du pays d’une tache indélébile. « Et on a distribué des kalachs comme des petits pains ! On ne peut pas dire toutes les atrocités que les miliciens ont commises contre les allogènes. Il y avait des morts tous les jours… », témoignait l’imam Idriss Konaté du quartier Carrefour de Duékoué, dans l’ouvrage intitulé « Au-delà du silence et de la fureur. Duékoué (Ouest ivoirien) : rencontres interreligieuses au "Carrefour de la haine" ».
C’est ce contexte de poudrière identitaire, doublée de rancœurs ethno-religieuses, qui explique que l’Ouest a été, plus que d’autres régions du pays, profondément écharpé lors de la crise post-électorale. Et comme si les mêmes pro-Gbagbo n’avaient rien retenu de l’impact dévastateur du discours de haine, ils continuent de le distiller depuis la fin de la guerre post-électorale en agitant, cette fois, le chiffon rouge du génocide Wê. Avec le risque que cette région occidentale du pays s’embrase à nouveau pour avoir été abondamment abreuvée de ces propos incandescents.
Assane Niada