Politique

Dérive tribale et identitaire : Quand Ouattara pousse Gbagbo à la faute

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Depuis son retour au pays, l’ancien chef de l’État, Laurent Gbagbo, surfe sur une rhétorique qui semble lui coller à la peau : le discours identitaire et populiste. Un discours toxique, dans lequel il s’est réfugié, faute d’avoir à redire sur les indéniables réalisations de son successeur Alassane Ouattara, depuis son accession au pouvoir.

Depuis son retour au bercail, l’ex-chef de l’État a entrepris de descendre à nouveau, dans l’arène politique dans l’espoir de revenir un jour au pouvoir. À cet effet, il a choisi de créer un nouveau parti, le Parti des Peuples Africains-Côte d’Ivoire (PPA-CI), abandonnant le Front Populaire Ivoirien (FPI), aux mains de Pascal Affi N’guessan. Fort de ce nouvel appareil politique, il entend peser sur le débat public et, mieux, revenir aux affaires. Mais encore, faut-il reconstituer son « peuple » d’hier, que son absence sur la scène politique et les querelles internes à l’ex-galaxie patriotique, ont dispersé. Pour relever ce pari, l’ex-chef de l’État n’a pas trouvé mieux que de construire un discours de campagne censé attirer vers lui, une bonne frange de la population. De là vient sa propension à surfer sur une rhétorique identitaire et populiste, tendant à faire vibrer la fibre tribale ou agiter le clivage religieux.

C’est ce qui a été donné de voir le samedi 19 mars 2022 dans la banlieue de Songon. S’adressant à ses hôtes, l’ex-chef de l’État a soutenu qu’ils ont été dépossédés de leurs terres. « L’urbanisation d’Abidjan a dépouillé totalement les Ébriés (…) Regardez Abobo aujourd’hui, regardez Marcory, Port-Bouët, Vridi, Songon, tout est parti. Je vous dis yako pour ça. Je vous dis yako pour cette souffrance », a-t-il notamment déclaré. Le disant, il agite le dossier inflammable du conflit foncier, avec en toile de fond, l’intention de dresser les Ébriés contre les « envahisseurs » de leurs terres ou spoliateurs. C’est en cela que ce type de discours est hautement dangereux.

Et pourtant, Gbagbo n’en est pas à son premier propos du genre. On pourrait même dire qu’il est coutumier de telles dérives, puisqu’il a déjà fait de telles sorties de route, lors de deux précédentes prises de paroles publiques.  La plus récente, remonte aux échanges qu’il a eus avec la communauté des églises évangéliques le 13 février 2022 à Yopougon. À l’occasion, l’ex-président de la République a, cette fois, monté en épingle, la victimisation d’une religion, en l’occurrence l’église évangélique. « Cher frère, ma première parole est de dire yako à l’église évangélique. Yako, yako, parce que quand j’ai été arrêté en avril 2011, certaines personnes pas trop cultivées, ont estimé qu’il fallait attaquer et décimer les évangéliques, car pour elles, j’étais leur fruit et ils étaient ma base, donc il fallait les attaquer. Il y a des pasteurs qui ont été tués, des églises vandalisées, même celle-ci. Il y a des églises sur lesquelles on a tiré des balles réelles », a-t-il déclaré, au risque d’entretenir le ressentiment des fidèles de ces églises. Faut-il le rappeler, de tels discours sur les religions peuvent se révéler comme une buchette pouvant engendrer un brasier social.

L’ex-chef de l’État ne semble pas avoir pris la pleine mesure du danger que cela représente, vu que des mois auparavant, soit le 28 août 2021, il se livrait à ce genre de propos inflammables devant une délégation de ressortissants Wê, venus le saluer à Mama, dans son village natal. Ici encore, Gbagbo a lancé des propos dangereux pour la cohésion nationale. « Et puis, peuple Wê, vous avez une grande richesse : la forêt. Et quand je suis allé en 2005, j’ai été ahuri de voir le nombre d’allochtones et d’étrangers qui étaient dans ces forêts. Parce qu’on les avait sortis pour les regrouper à la Préfecture, à la Mairie. J’étais étonné », a-t-il déclaré, laissant insidieusement entendre que les étrangers ont envahi les forêts des Wê. D’ailleurs, il dit clairement que ceux-ci ont été attaqués durant la crise postélectorale de 2010-2011, pour leurs forêts. « Moi, un moment, je me suis dit, les Wê ont beaucoup de forêts, donc les gens vont les attaquer pour prendre leurs forêts. Pour prendre les caféiers, les cacaoyers, donc les gens les attaquent. Peut-être que c’est ce qui explique ça. Mais si c’est ça, c’est grave ! », lâche l’ancien chef de l’État, au risque d’alimenter le sentiment xénophobe, sur fond de conflit foncier.

 

Les dessous d’une rhétorique populiste

 

On observe donc, une constante dans ces prises de parole publiques de Gbagbo : le recours à un logos identitaire, sur fond d’agitation du litige foncier ou de la victimisation d’une religion. L’ex-chef de l’État semble s’être refugié dans cette rhétorique dont il se sert pour hameçonner des citoyens et les amener ainsi, à rallier son parti, le PPA-CI, faute d’arguments pour attaquer les acquis de la gouvernance Ouattara. Il voudrait pourfendre la gestion du pouvoir par son successeur, qu’il aurait beaucoup de mal à redire sur les réalisations de celui-ci. C’est donc en mal d’arguments pour démonter les acquis de l’ère Ouattara, qu’il met en avant, ces propos populistes censés rallier à sa cause, ceux devant lesquels il les délivre. Qu’aurait-il eu à dire contre les actions de développement posées par son successeur depuis qu’il est au pouvoir ? N’a-t-il pas admis lui-même, les jours qui ont suivi son retour au pays, qu’Abidjan a changé ?

De fait, depuis son accession au pouvoir, Alassane Ouattara a remis sur les rails, l’économie du pays, en déliquescence durant la décennie d’avant. Il a bâti des infrastructures socioéconomiques dans toutes les contrées du pays, singulièrement à Abidjan. Plusieurs routes, naguère impraticables, ont été nouvellement bitumées ou réhabilitées ; des ponts sont sortis de terre dont le 3e pont dénommé Henri Konan Bédié, les 4e et 5e ponts en voie d’achèvement. Des universités ont été réhabilitées, dont celle de Cocody. D’autres ont germé, dont celles de San Pedro, Man, Bondoukou et l’université virtuelle des 2 Plateaux. Des centres de santé ont poussé, dont le CHU d’Angré, le CHR ultramoderne d’Aboisso.

Par ailleurs, plusieurs localités, naguère plongées dans le noir, ont désormais accès à l’électricité et à l’eau potable, grâce au Programme présidentiel d’urgence, mis en place dès la fin de la guerre postélectorale. Sans compter le repositionnement de la Côte d’Ivoire sur le plan diplomatique. De paria hier, le pays est désormais fréquentable. Résultat : la Côte d’Ivoire a abrité plusieurs rencontres internationales, au nombre desquelles les 8e Jeux de la Francophonie. La prochaine cérémonie d’envergure internationale, la COP 15, est prévue pour le mois de mai prochain. La Côte d’Ivoire, sous la houlette de Ouattara, a donc reverdi, comme en témoignent les signaux de l’économie ivoirienne que les institutions internationales estiment être au vert.

Dans un tel contexte, que pouvait trouver à redire Gbagbo sur la gestion du pays par Ouattara ? C’est donc, faute de ne pouvoir gloser sur la gouvernance Ouattara que l’ancien chef de l’État a choisi de surfer sur les discours populistes, avec l’espoir de reconstituer son « paradis perdu » : l’ex-galaxie Gbagbo. En pure perte.

 

Assane Niada

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