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Interview exclusive : 8 ans après son départ à la retraite: L’ex-animateur EKF sort de son silence et se vide

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Célèbre animateur à Radio Côte d’Ivoire dans les années 80-90, Emile Konan Fréjus, plus connu sous l’appellation d’EKF, est à la retraite depuis près de 8 ans. Hier, coqueluche de la jeunesse, il coule, à 70 ans bientôt, des jours heureux dans sa résidence de Bingerville où il nous a reçu récemment. Dans cette première partie de l’interview, il revient sur son entrée à la radio et sa rencontre avec d’autres célébrités du monde des médias.

 

Quand et comment êtes-vous entré à la RTI ?

Après mon échec au BAC, j’avais voulu postuler pour le CESTI de Dakar, mais n’ayant pas eu le BAC, j’ai opté pour l’école de la RTI. J’y suis entré en 1974. Je suis de la même promotion que Roger Fulgence Kouassi, Brou Amessan, Soro Solo, feu Adolphe Zady, feu Jean-Baptiste Kakou Bi. On a fini la formation en 1976. Et je suis entré à la RTI où j’ai évolué pendant 5 ans, avant de m’envoler pour la France à l’issue d’un concours.

À l’époque, les responsables de la RTI nous répétaient constamment qu’accéder au micro, était la consécration. Malgré votre talent, lorsque vous arrivez, on vous mettait dans l’antichambre, parce que le micro, ça grise vite. Donc, si vous ne restez pas longtemps dans l’antichambre et qu’on vous propulse, vous risquez de vous casser la figure. J’ai donc commencé comme journaliste reporter, puis je suis devenu journaliste présentateur.

 

 

 

On vous connaît pourtant comme animateur radio. Comment se fait-il que vous ayez commencé par être journaliste ?

C’est lorsque je suis allé en France que j’ai appris la production, l’animation et la réalisation radio. En tant que journaliste reporter, lorsque vous rentrez de reportage, même si vous avez eu à poser des questions là-bas, vous coupez votre voix et vous faites le résumé de votre reportage que remettez au journaliste présentateur. Un après-midi, quand je suis rentré de reportage, le journaliste qui devait présenter le flash info, était absent. Et comme j’avais « faim » du micro, je me suis dit que j’allais profiter de cette occasion. J’ai pris tous les papiers de lancement et à 14h pile, je me pointe en studio. Le directeur des programmes de l’époque était surpris de me voir. Je lui ai dit que le journaliste programmé était absent et je suis donc venu sauver la situation. Et cela, de ma propre initiative. Ne dit-on pas que qui ne risque rien n’a rien ?

 

Et que s’est-il passé après ?

Dès que j’ai fini le flash, j’ai entendu le téléphone de la cabine sonner et le technicien qui me dit : c’est pour vous. Et au bout du fil, j’entends la voix du directeur de l’information, monsieur Koné Ibrahim, un monsieur très rigoureux. Quand je lui explique pourquoi j’étais à l’antenne, il me dit : désormais, c’est toi qui vas animer cette tranche horaire. C’est ainsi que, par la force des choses ou plutôt par mon audace, je suis arrivé à l’antenne. Ça devait être fin 1977-début 1978. Voilà comment je commence à présenter le journal. Puis, sont arrivés à la radio, d’autres journalistes venus du CESTI de Dakar, parmi lesquels Ali Coulibaly, Soro Adam’s, Noël Ebony et tant d’autres. Puis, il y a eu la fameuse grève à la RTI en 1980-1981.

 

Comment avez-vous vécu cette « fameuse grève », comme vous le dites ?

 Pour avoir déclenché cette grève, le ministre de l’Information de l’époque nous a traités de déstabilisateur du régime. Et pourtant, nos revendications étaient de type corporatiste. Pour avoir fait cette grève, certains membres actifs du syndicat ont été envoyés à Séguéla dans l’armée, et nous autres, également membres actifs du syndicat, avons été vidés de la radio. Nous sommes restés 10 mois sans salaire. Nous avons été traduits devant le conseil de discipline de la fonction publique. Le principal chef d’accusation était que nous étions des déstabilisateurs, qui avons cassé le matériel de la RTI, évalué à 21 millions F CFA.

 

Avez-vous également été traduits en justice ?

Non, mais plutôt devant le conseil de discipline de la fonction publique. Nous étions une centaine d’agents. Nous avons été défendus par un collège de 13 avocats, qui était dirigé par Me Emile Boga Doudou. Ils nous ont défendus gracieusement et nous avons gagné le procès. C’est ainsi que nous avons été rétablis dans nos droits et dans nos fonctions. Par la suite, un concours professionnel a été lancé par la fonction publique. Mais, il n’y avait pas de poste de journalisme. Il y avait la production, l’animation et la réalisation. Pour le concours direct, il y avait parmi nous, Degny Maixent, George Aboké, A.M Taki et tant d’autres. Je me suis dit que j’allais tenter ma chance. Voilà comment je suis arrivé à l’animation et à la production.

 

Qu’est-ce qui a poussé le journaliste que vous étiez à opter pour l’animation ?

À la fonction publique, il faut tous les deux ou trois ans, passer des concours pour espérer changer de grade et de corps. Je voulais changer de corps, puisque tout cela se comptabilise à la fin de votre carrière. Au cours de la formation, on faisait à la fois la radio et la télé. Pendant le stage à Bry Sur Marnes, dans la banlieue parisienne, feu Fulgence Kassy, qui me voyait en situation professionnelle télé, insistait pour que j’opte pour la télé. Or, moi, je préférais rester dans mon petit coin à la radio. Je me suis donc formé essentiellement à l’animation et à la production en France pendant 18 mois et nous avons parachevé la formation en Côte d’Ivoire. C’est finalement sur conseil d’un collègue du nom de Maurice Yao Konan, que j’ai opté définitivement pour l’animation. J’animais une émission du soir, appelé « Antenne Soir ».

 

À ce propos, durant votre temps d’antenne, vous avez dénoncé les « opérations coups de poings » qui avaient pignon sur rue dans les années 80. Ce qui vous a valu d’être interpellé. Comment avez-vous vécu cela ?

À l’époque, j’ai profité de mon temps d’antenne pour dénoncer l’opération coups de poings qui battaient son plein. C’étaient des rafles systématiques : on vous arrêtait et on vous emmenait à la préfecture de police sans autre forme de procès. Étant journaliste dans l’âme, j’ai profité de l’émission que j’animais pour déplorer cette façon de traiter les citoyens. Mais, j’avais pris soin d’écrire mon texte. Car, on nous a enseignés que la meilleure improvisation est celle que l’on prépare. Le lendemain, je vois débarquer un monsieur du nom de Djeni Kobenan, qui était, à l’époque, le directeur de cabinet du ministre de l’Intérieur. Il va voir le directeur de la radio et lui dit : quelqu’un nous a écorchés hier soir pendant qu’il animait. Le ministre m’a demandé de venir le chercher. Sans chercher à m’écouter, mes responsables m’ont livré en pâture. J’ai été donc embarqué.

 

Que s’est-t-il passé par la suite ?

Arrivé dans les locaux du ministère de l’Intérieur, où est située aujourd’hui la police criminelle, le ministre de l’Intérieur m’a reçu et m’a dit : c’est vous qui sabotez le travail que nous abattons ? Je lui ai répondu que je trouvais le mot saboter trop fort. Et lui de me dire qu’on lui a rapporté que j’ai critiqué sévèrement son travail. C’est alors que j’ai sorti mes textes pour les lui présenter. Finalement, il m’a dit qu’il a été mal informé et m’a conseillé d’entrer en contact avec ses services, si j’avais besoin d’informations. C’est ainsi que monsieur Djeni Kobenan m’a ramené à la radio. J’ai été accueilli en héros en arrivant dans la cour de la radio. C’est un souvenir que je garde de ma carrière, qui aura été parsemée d’agréables souvenirs.

 

Racontez-nous un bon souvenir

Lorsque j’étais en stage en France, dans un module, j’avais choisi de travailler sur l’installation de la Haute Autorité de l’Audiovisuel en France. La Haute Autorité dépendait de l’Elysée. La cérémonie devait se dérouler à la maison de Radio France, non loin de la Seine. Pour y accéder, il fallait aller prendre son accréditation à l’Elysée, c’est-à-dire à la présidence de la République française. J’ai dû donc aller chercher mon accréditation à l’Elysée. C’était la première fois que j’y mettais les pieds. Quand j’y suis arrivé, j’ai été accueilli avec un certain égard, car en Europe, le journaliste n’est pas méprisé. À cette époque-là, voir un nègre exercer ce métier au point de mettre les pieds à l’Elysée, ça paraissait insolite. Et le jour de la cérémonie, j’ai interviewé le Premier ministre d’alors et maire de Lille, Pierre Mauroy. Quand je suis rentré avec les photos, mes condisciples et amis étaient tout ébahis par ce qui apparaissait à leurs yeux comme un exploit.

 

Qu’avez-vous retenu d’autre, de ce séjour didactique en France ?

Durant notre formation, on nous envoyait en stage dans des radios de provinces, partenaires de Radio France. J’avais choisi d’aller à Radio Vaucluse à Avignon. Quand je suis arrivé, on m’a demandé de proposer une émission de vacances. J’ai alors fait mon synopsis que j’ai déposé chez le directeur des programmes. J’avais demandé une émission d’une heure, qui s’appelait « Merveilles d’Afrique ». Je donnais l’actualité africaine, ponctuée des meilleurs titres de l’époque. Ils m’ont dit qu’ils ne pouvaient m’accorder que 15 minutes. C’est alors que je me suis souvenu de ce conseil que m’a donné l’un de nos éminents formateurs, pour qui j’avais beaucoup d’admiration, Mamadou Ben Soumahoro. Il m’a dit : EKF, si on te donne 15 mn d’animation et qu’on te programme à 23H, mets-y tout ce que tu vaux et tu auras des auditeurs pour ces 15 mn et cette tranche d’antenne. C’est ta valeur qui va attirer les auditeurs. Mettant en pratique ce conseil de Ben Soumahoro, j’ai donc commencé à Radio Vaucluse avec 15 mn d’antenne. Finalement, je suis passé de 15 mn à 30 mn et de 30 mn à 1H (il éclate de rire). J’ai gardé un très bon souvenir de mon séjour d’un mois à Avignon. J’ai également été marqué positivement par mon émission du matin « Bonjour le jour », avec mes slogans : « Les matins qui chantent sur Radio Côte d’Ivoire avec Emile Konan Fréjus », « L’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt » ou encore « Pour avoir le plaisir de se retrouver, il faut savoir se quitter » (Rire).

 

Beaucoup de jeunes de l’époque vous ont connu à travers cette émission. Comment avez-vous vécu cette célébrité ?

À l’époque, il me revenait que des gens exploitaient mon nom pour faire des gaffes en ville. Un matin, une jeune fille est venue à la radio avec un bébé. Elle a demandé à rencontrer monsieur EKF. Quand je me suis présenté à elle, elle me dit qu’elle veut voir le vrai EKF. Je lui ai expliqué que c’est Assi Akawa et moi, Emile Konan Fréjus, qui animons le réveil matinal. Elle me répond que le EKF qu’elle connaît, est noir et un peu chauve. Je lui demande pourquoi elle veut le voir. Elle m’explique qu’elle est sa petite amie, mais que, depuis qu’elle est tombée enceinte, il a disparu. Elle a ajouté que « son » EKF et elle se sont rencontrés à Abobo. Je lui ai fait savoir que moi j’habitais à Yopougon. Et donc que le EKF dont elle parlait était un faux. J’ai fini par me rendre compte que c’est un jeune homme, qui venait de temps à autre voir mon collègue Achille Dépié et donc, connaissant nos habitudes, utilisait abusivement mon nom. Il mangeait même à crédit dans les maquis en se faisant passer pour moi. Ces genres de situation m’ont obligé à faire quelques apparitions dans des émissions télé pour que les gens mettent enfin, un visage sur le nom.

 

 

 

 Vous avez également vécu un moment de votre carrière qui vous aura appris que de grands diplômes ne font pas forcément le bon journaliste. De quoi s’agit-il ?

C’était en 1979. J’étais encore journaliste reporter et présentateur. La Conférence des Nations Unies pour le Commerce et le Développement (CUNCED) avait besoin de deux journalistes de la RTI pour la couverture médiatique de l’évènement et pour un colloque sur le dialogue Nord-Sud. Ils ont donc demandé les Curriculum Vitae (CV) de deux journalistes. Monsieur Koné Ibrahim, le directeur de l’information d’alors, m’a désigné avec un autre de la télévision, qui avait fait de très hautes études. Nos dossiers ont été transmis au siège des Nations Unies. Je ne sais par quel miracle, c’est ma candidature qui a été retenue. Quand le directeur de l’information a dit, au cours d’une réunion de la rédaction, que c’est moi qui ai été retenu, il y a eu une levée de boucliers. « Il est trop jeune, il n’est pas bardé de diplômes », ont fulminé les protestataires. Et monsieur Koné Ibrahim de leur dire : « N’ayez pas le mythe de la diplomite ». J’ai retenu cette formule. Il a ajouté qu’on n’a pas besoin forcément de grands diplômes pour être un bon journaliste. « Je fais confiance à Emile et je sais qu’il fera honneur et à la rédaction et à la Côte d’Ivoire », avait-il ajouté. J’ai commencé alors à me documenter sur l’évènement pendant 2 à 3 mois. Puis, je me suis envolé pour Manille aux Philippines où devait se tenir cette rencontre de la CUNCED. Avant la tenue de la Conférence, j’ai fait un avant-papier qui a eu un écho retentissant, au point que deux éminents journalistes, alors étudiants en 2e année à l’Université de Cocody, à savoir Levy Niamkey et Traoré Abou, sont venus me voir pour me dire : « Nous avons tellement aimé votre papier que nous aussi, nous allons devenir journalistes ». C’est depuis ce jour que Levy Niamkey m’appelle chef.

 

Assane NIADA

NB : La suite à lire lundi 23 mai 2022

 

 

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