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Burkina Faso : Paul-Henri Damiba met en garde Ibrahim Traoré contre les exactions contre les civils

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Depuis Lomé, jeune Afrique nous apprend que l’ancien président de la transition burkinabè, Paul-Henri Sandaogo Damiba, a adressé un courrier à son successeur, Ibrahim Traoré, dans lequel il exprime sa profonde inquiétude face à la dégradation continue de la situation sécuritaire au Burkina Faso. Dans cette lettre datée du 1er juillet, Damiba appelle urgemment Traoré à prendre des mesures concrètes afin de protéger les civils et de restaurer la sécurité.

Exilé au Togo voisin, le lieutenant-colonel Damiba n’a pu rester silencieux face aux événements qui secouent son pays d’origine. « Je ne peux pas garder le silence face aux exactions contre les civils », a-t-il écrit, faisant écho à une préoccupation croissante parmi les Burkinabè et la communauté internationale. Damiba, renversé par le capitaine Traoré après une attaque majeure contre un convoi militaire ayant causé la mort de 37 soldats et de nombreux civils, exprime son désarroi face à l’incapacité persistante de rétablir la sécurité.

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Depuis sa prise de pouvoir le 24 janvier 2022, le lieutenant-colonel Damiba avait tenté d’appeler à la raison et à la cohésion sociale pour éviter une guerre fratricide. Cependant, ces efforts se sont avérés insuffisants pour contenir la montée de la violence et du terrorisme. Le coup d’État mené par le capitaine Traoré le 2 octobre 2022, qui a conduit à la démission de Damiba, était en grande partie motivé, selon les putschistes, par ce manque de résultats tangibles dans la lutte contre les djihadistes et par une attitude jugée trop conciliante avec le clan de l’ancien président Compaoré.

Situation sécuritaire en détérioration

Deux ans après le départ de Damiba, la situation sécuritaire au Burkina Faso continue de se détériorer. Le pays, dirigé par un capitaine souvent abonné aux discours panafricanistes plutôt qu’à des actions concrètes sur le terrain, fait face à des défis sécuritaires de plus en plus complexes. Les exactions contre les civils, dénoncées par Damiba, ajoutent une couche supplémentaire de gravité à un contexte déjà extrêmement fragile.

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Un avertissement clair

La lettre de Paul-Henri Damiba est un avertissement clair à Ibrahim Traoré. A l’en croire, la situation pourrait continuer de s’aggraver, occasionnant des conséquences désastreuses pour le pays et sa population. Exacerbées par l’inaction de la junte, des milliers de Burkinabè ont trouvé refuge chez les voisins, notamment en Côte d’Ivoire et au Bénin. L’ancien président de la transition exhorte par conséquent son successeur à prendre des mesures urgentes pour endiguer cette spirale de violence et restaurer la sécurité dans le pays.

 

Voici l'intégralité de sa la LETTRE DU LIEUTENANT-COLONEL Paul-Henri Sandaogo Damiba du 1 er juillet 2024

 

Quinze mois après ma première correspondance datée du 31 mars 2023 qui, vous recommandait d’emprunter les chemins de la réconciliation et de la cohésion sociale, puis de garantir la cohérence et la verticalité dans les forces de défense et de sécurité et enfin qui vous exhortait à maintenir une certaine confidentialité en ce qui concerne les capacités opérationnelles majeures dont les drones pour éviter que soient mises en œuvre des contre-mesures pour réduire vos chances de succès ; je me fais le devoir de vous transmettre à nouveau ce courrier par l’intermédiaire des autorités de la république du TOGO qui m’ont fait l’amitié et l’humanisme de m’accueillir dans leur pays. 

Vous avez été porté à la tête du pays en déclarant votre appartenance au mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR) que j’ai personnellement créé et dénommé ainsi au regard de l’amour que je porte pour notre pays et de l’engagement que je m’étais assigné pour œuvrer sans relâche afin que le BURKINA retrouve la stabilité. Le MPSR n’a en aucun cas été pensé pour être une structure pérenne et j’ai personnellement exigé d’acter sa suppression dès la mise en place effective des organes de la transition que je conduisais. Conformément à la première charte de la transition en son article 37, le MPSR cessait d’exister dès la mise en place effective des organes de la transition cités dans l’article 3. La mise en place du Conseil d’Orientation et de Suivi de la Transition (COST) a entériné la dissolution de facto du MPSR dans un souci de cohérence et de respect de la parole donnée. 

Excellence 

J’aime mon pays plus que tout, car le BURKINA m’a tout donné et je ne saurai l’expliquer pour être sûr d’être bien compris. C’est pourquoi, je ne puis me réjouir quand il va mal, je ne puis rester insensible quand il enterre ses forces combattantes ou ses fils et ses filles. J’ai tout reçu de mon pays ; depuis l’âge de onze ans jusqu’à maintenant, comme une mère et comme un père, le pays a pourvu à tous mes besoins et c’est la raison pour laquelle je veux et je dois lui donner en retour tout ce que je peux lui offrir pour sa paix et pour son développement. 

Nous avons osé les 23 et 24 janvier 2022 pour voir le pays s’apaiser, pour voir les attaques contre les détachements et les convois se réduire, pour voir les souffrances des militaires et des populations civiles s’amenuiser. Vous savez bien que je n’ai été manipulé par personne ; ni par les partis intérieurs, ni par les forces extérieures. Seul le désir d’éviter les hécatombes que nos forces subissaient et la volonté de travailler à donner de l’espoir à la jeunesse et à l’ensemble des hommes et des femmes des villes et des campagnes comptaient pour moi. Même si certains de nos pourfendeurs et partisans de la majorité au pouvoir d’alors ont vite fait de nous relier à des forces politiques nationales ou à des courants extérieurs, vous savez consciemment que nous n’avons nourri aucune haine à l’égard du Président KABORE, de ses proches et de la majorité présidentielle ; tout ce qui comptait c’était d’obtenir une accalmie et une stabilité rapide pour nos militaires et pour nos populations.

 

Monsieur le Président de la Transition ! 

Je ne puis rester silencieux face à la souffrance et à la tragédie que nous vivons. Vingt et un mois après avoir accepté ne pas faire ombrage à mes jeunes frères d’armes, 21 mois après avoir supporté tout ce qui a pu être raconté sur ma personne, ma famille et mes proches, 21 mois après vous avoir regardé, observé, fait des suggestions, 21 mois à espérer et à penser que peut-être vous et vos collaborateurs, vous finirez par comprendre que la guerre est une science et que comme le dit cette sagesse ancienne « celui qui endosse son armure pour aller au front ne doit pas se vanter ou se glorifier comme celui qui dépose son armure de retour du front » ; jour après jour et en dépit de la bataille informationnelle, la réalité saute aux yeux. 

Je ne veux pas, je ne peux pas et je ne dois pas garder le silence face à l’amère réalité de situation de mon cher pays. Devant tant de victimes civiles et militaires et face à l’échec de la stratégie du tout militaire, je m’impose le devoir de vous demander une énième fois que si le même amour pour le pays vous anime, de ne point laisser l’aveuglement et la surdité avoir raison de vous. 

Contre les règles de la discipline militaire, contre les lois nationales et internationales, nous avons contraint le président KABORE à rendre sa démission bien qu’il ait été élu par la majorité de nos compatriotes parce que nous espérions éviter une débâcle militaire après les pertes successives des positions militaires de KOUTOUGOU, de TONGOMAYEL, de NASSOUMBOU, d’INATA, de BARABOULE, et de YENSE. Sous votre magistère, nos positions de BAHN, de TINAKOF, de DEOU, d’OURSI et récemment de MANSILLA sont tombées et nous courrons à nouveau vers un chaos national voir régional. 

Si j’ai été aux avant-gardes pour fustiger la gestion de la question sécuritaire sous le président KABORE, Dieu lui-même ne me pardonnerait guère de garder le silence face aux exactions contre les civils, face aux attaques multiples contre les cantonnements et les bivouacs de l’ensemble des forces engagées et face aux violations des droits civils élémentaires qui ont cours à l’encontre des personnes civiles et militaires poursuivies et opprimées. Je voudrais, avec tous les égards dus à votre fonction et à vos responsabilités actuelles, plaider avec insistance pour que vous preniez en considération l’urgence de la nécessité d’œuvrer pour ne pas plonger notre chère patrie dans une catastrophe sans précédent. 

Je demeure convaincu comme bon nombre de personnes que les dignes fils et filles du BURKINA ne doivent ni se soucier de leur sort, ni regarder à leurs intérêts personnels. Seul doit être considéré le bien-être de tous et le devenir des générations futures dans la paix et le respect de nos différences. 

Depuis ma terre d’accueil, je vous invite ardemment à trouver les mesures idoines pour dégager un consensus avec l’ensemble des forces de notre nation, à atténuer les violences et les haines intercommunautaires, à oser et à sauvegarder les vies des acteurs engagés contre l’extrémisme violent et celles des innocentes populations civiles. Les hommes passent mais le pays demeure. 

Tout en rendant hommage à la mémoire de nos compatriotes civils et militaires qui ont perdu la vie et en compatissant avec l’ensemble des personnes qui souffrent de la crise sécuritaire, je formule le vœu que la bienveillance divine vous accorde la grâce de la clairvoyance, de la remise en cause et de la priorisation de l’intérêt supérieur de tous. Que maintenant ou jamais vous puissiez accepter que l’heure est venue de panser les plaies du peuple, de reconstruire la cohésion nationale et de faire de la quête de l’union des hommes et des femmes du BURKINA, la pierre angulaire pour un renouveau du pays.

 

Lomé, le 01 juillet 2024.

 

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