Jamais autant de migrants n'ont tenté de traverser la Manche sur des embarcations de fortune qu'en 2021. Plus de 28 000 personnes ont effectué illégalement la traversée du bras de mer qui sépare les côtes françaises des côtes britanniques, une situation qui vire au casse-tête humanitaire et politique pour Paris.
Ce bilan de l'année écoulée est fourni par l'agence de presse britannique PA et reprend des données du ministère britannique de l'Intérieur.
Plus de 28 000 traversées, c'est presque trois fois plus qu'en 2020, les traversées de la Manche sont pourtant extrêmement dangereuses. Le trafic y est très dense, notamment par le nombre de porte-conteneurs qui empruntent cette voie commerciale. Les courants peuvent être très forts et la température de l'eau très faible en hiver.
Et si seulement 30 km séparent Calais des côtes britanniques, la présence renforcée des forces de l'ordre aux alentours de cette ville française, poussent les migrants à partir de plus loin et donc à allonger leur temps de traversée.
Au moins 36 personnes ont perdu la vie dans la Manche au cours de l'année 2021, dont 27 dans le naufrage du 24 novembre. Un drame qui avait jeté une lumière crue sur ce phénomène, dont les enjeux n'avaient pas vraiment dépassé jusque-là les frontières franco-britanniques.
Une situation amplifiée par le bouclage du port de Calais et d’Eurotunnel
La fermeture d'autres voies de passage a contribué à accélérer le développement rapide de cette voie de migration. Le port de Calais a été bouclé. Des murs et des barbelés ont été érigés pour protéger son accès et celui de l'autoroute qui mène à l'entrée du tunnel sous la Manche.
Jusqu'en 2018, les migrants tentaient de se cacher à bord des poids lourds pour passer la frontière. C'est encore le cas, mais dans des proportions qui se sont effondrées. Malgré le danger, le Royaume-Uni reste un objectif pour ces exilés, qui viennent de pays déstabilisés par des conflits, le réchauffement climatique ou une crise économique comme le Soudan, l'Érythrée, l'Éthiopie, l'Irak, la Syrie ou encore l'Afghanistan.
Selon le gouvernement français, 62% des personnes sont éligibles au droit d'asile, mais seulement 3% d'entre elles en font la demande en France. La plupart de ces migrants cherchent à rejoindre des membres de leur famille déjà installés en Grande-Bretagne. Le pays est aussi connu pour son marché de l'emploi plus souple qu'ailleurs en Europe. Une personne sans papier peut travailler et payer des impôts au Royaume-Uni. Et enfin Londres expulse très peu.
Or, certains des migrants qui espèrent franchir la frontière sont des "dublinés". C'est-à-dire qu'ils ont été enregistrés dans le pays européen par lequel ils sont entrés, la Grèce ou l'Italie par exemple. Ils sont de fait potentiellement expulsables vers ces pays où ils ne souhaitent pas s'installer. Avec le Brexit, la Grande-Bretagne n'est plus soumise à ce règlement.
Le casse-tête politique pour Londres et Paris
La Grande-Bretagne veut durcir ces mesures contre l'immigration clandestine. Un projet de loi est en cours d'examen. Les demandeurs d'asile arrivés illégalement pourraient voir leurs droits limités. Cela créerait des immigrés de seconde classe en gros. Et les déboutés pourraient être renvoyés vers les pays sûrs par lesquels ils sont passés.
Côté français, l'objectif est d'éviter à tout prix, l'installation de candidats à la traversée sur les côtes, notamment à Calais et Grande-Synthe. Éviter la reconstitution de ce qui avait été appelée une jungle, jusqu'à fin 2016, soit un immense bidonville de plusieurs milliers d'occupants et qui aboutit à des expulsions quasi quotidiennes des exilés qui tentent de survivre dans des camps de fortune.
Les associations dénoncent actuellement un harcèlement inhumain, qui ne règle en rien le problème. Les ONG précisent que plus les conditions de vie des migrants sont difficiles sur la côte, plus ils seront prêts à prendre des risques pour traverser la Manche au plus vite.
Lutter contre les réseaux de passeurs
L'objectif affiché du gouvernement français est aussi de lutter contre les réseaux de passeurs, qui profitent de cette détresse. Selon le ministère de l'Intérieur, 162 passeurs présumés ont été interpellés depuis janvier 2021, 41 organisations démantelées. Mais certains de ces réseaux sont installés sur le sol britannique. « La coopération franco-britannique pourrait mieux marcher » selon les mots pesés de Gérald Darmanin.
Les relations sont extrêmement tendues, à ce sujet, surtout depuis le naufrage de novembre. Londres reproche à Paris de ne pas empêcher les départs. Paris répond que la participation financière britannique n'est pas suffisante pour sécuriser des dizaines de kilomètres de côtes. Sans concertation entre Paris et Londres, le phénomène n'est malheureusement pas près de disparaître en 2022.
RFI