Les autorités soudanaises ont libéré plusieurs hommes politiques qui étaient détenus depuis le coup d'État militaire du 25 octobre, réalisant ainsi une clause clé de l'accord conclu dimanche entre les généraux et le Premier ministre réinstallé Abdallah Hamdok, a indiqué lundi à l'AFP l'un d'eux. Le général Abdel Fattah al-Burhane semble toutefois entériner sa mainmise sur la transition dans le pays.
En réinstallant le Premier ministre civil Abdallah Hamdok un mois après son putsch, le général soudanais Abdel Fattah al-Burhane semble être parvenu à contenter en apparence la communauté internationale tout en consacrant sa mainmise sur la transition, estiment les experts.
Les autorités ont fait un pas de plus dans cette direction en libérant plusieurs hommes politiques détenus depuis le coup d’État militaire du 25 octobre, cela dans le respect d’une clause clé de l’accord conclu dimanche 21 novembre entre généraux et Abdallah Hamdok, a indiqué lundi 22 novembre à l’AFP l’un des libérés.
"J'ai été libéré tard (dimanche soir) alors que j'étais détenu à l'isolement depuis le 25 octobre, complètement coupé du monde" depuis près d'un mois, a déclaré Omar al-Daguir, chef du parti du Congrès.
Il avait été raflé à l'aube le jour du coup d'état en même temps que de nombreux responsables civils soudanais, dont certains partageaient le pouvoir avec l'armée depuis la chute du dictateur Omar el-Béchir, chassé sous la pression de la rue en 2019.
Quelques heures plus tard, le chef de l'armée, le général Burhane, annonçait la dissolution des institutions et décrétait l'État d'urgence.
Le Premier ministre Abdallah Hamdok, arrêté puis placé en résidence surveillée, est lui apparu en public dimanche 21 novembre, pour la première fois depuis le putsch. Il a signé avec le général Burhane un accord en 14 points, qui prévoit notamment son retour au poste de Premier ministre et la libération des responsables civils détenus.
Selon Omar al-Daguir, d'autres personnalités importantes du paysage politique soudanais ont été libérées, dont des cadres du parti al-Oumma, le plus grand du pays.
Abdallah Hamdok a "totalement capitulé"
Ces dernières semaines, les Soudanais ont défilé par dizaines de milliers contre le pouvoir militaire et réclamé la libération des dirigeants civils, malgré une répression sanglante qui a fait 41 morts et des centaines de blessés, ainsi qu'une longue coupure des communications.
S'ils ont longtemps brandi des photos d’Abdallah Hamdok qu'ils considéraient seul dirigeant "légitime" du Soudan, des manifestants ont déchiré dimanche le portrait du Premier ministre, désormais perçu par certains comme un traître à la "révolution" de 2019.
"Le Premier ministre et ses alliés ont totalement capitulé" face au général Burhane, chef de l'armée, qui les avait fait arrêter le jour du putsch le 25 octobre, affirme à l'AFP Magdi Gizouli, chercheur au Rift Valley Institute.
L’accord entre les deux parties entérine également le nouveau Conseil de souveraineté expurgé des partisans d'un pouvoir civil et qu'il dirige toujours avec son second, le paramilitaire Mohammed Hamdane Daglo.
C'est "ce que l'armée voulait depuis le début", explique Magdi Gizouli. Ce n'est donc "pas une surprise, simplement une normalisation du coup d'État qui devient de facto le nouvel état de fait".
Pourtant, les généraux et Abdallah Hamdok ont affirmé s'allier de nouveau pour remettre la transition démocratique sur les rails, dans ce pays qui n'a quasiment connu que la dictature militaire depuis son indépendance, il y a 65 ans.
Mais grâce à l'accord en question, estiment les experts, le général Burhane est surtout parvenu à contenter la communauté internationale tout en consacrant sa mainmise sur la transition.
La Troïka - les États-Unis, le Royaume-Uni et la Norvège - à la manœuvre sur le dossier soudanais, l'Union africaine et l'Union européenne ont déjà salué l'accord, ainsi que l'Égypte et l'Arabie saoudite, deux alliés arabes de l'armée soudanaise.
Le Conseil de souveraineté, formé de militaires et de civils, est la plus haute instance des autorités de transition mises en place en 2019 après la mise à l'écart par l'armée du général Omar el-Béchir sous la pression de la rue. Il est accompagné d'une instance civile, le gouvernement de Abdallah Hamdok.
Après le coup d'État, le général Burhane s'est maintenu à tête de ce Conseil, en y nommant des militaires mais en remplaçant ses membres pro-civils par des civils apolitiques.
"Gouvernement à la merci totale de l’armée et sous la menace" d’un nouveau putsch
"Si Abdallah Hamdok avait cédé avant le 25 octobre, il y aurait eu beaucoup moins de pertes", poursuit Magdi Gizouli, en allusion à la mort de 41 personnes dans la répression des manifestations anti-putsch.
En jouant la montre, le général Burhane est parvenu à "un accord qui fait oublier qu'il y a eu un coup d'État et permet à l'armée de reprendre son souffle (...)", juge Kholood Khair, spécialiste du Soudan pour Insight Strategy partners.
Déjà, les militaires ont répondu aux exigences de la communauté internationale : ils ont acté le retour de Abdallah Hamdok, promis la libération des dirigeants emprisonnés et bientôt un gouvernement de civils.
Mieux encore, les militaires ont fait entrer Abdallah Hamdok dans leur camp - et il est donc devenu comme eux une cible de la rue qui le conspue désormais autant que le général Burhane.
"Il va rapidement perdre toute sa crédibilité et être plus isolé", dit Kholood Khair, soulignant que les Forces de la liberté et du changement (FLC), le bloc pro-civils au Soudan, ont été écartés du Conseil de souveraineté.
"Le futur gouvernement est à la merci totale de l'armée et sous la menace désormais quotidienne d'un nouveau coup d'État", affirme Magdi Gizouli. Car "cet accord n'amène aucun changement systémique", complète Kholood Khair.
Pas de transmission du pouvoir aux civils
Abdallah Hamdok "sera ce que l'armée voudra qu'il soit car quel que soit l'obstacle qu'il rencontrera, il n'aura plus ni levier politique ni base populaire comme avant", explique Magdi Gizouli.
Quant aux autres dirigeants civils, "ceux dont l'armée ne veut pas feront sûrement l'objet de poursuites judiciaires", comme l'a déjà laissé entendre le général Burhane, souligne l'expert.
En plus du remodelage des nouvelles autorités avec des purges dans quasiment tous les secteurs, le général Burhane est parvenu à effacer de la transition le principal point qui lui posait problème.
Il n'est plus question depuis l'accord de dimanche que les militaires remettent la direction du Conseil de souveraineté aux civils, une passation que la feuille de route de 2019 sur le processus de transition prévoyait sous peu.
"Burhane va rester à la tête du Conseil de souveraineté jusqu'aux élections" promises en 2023, note Magdi Gizouli.
Il ne lui reste qu'un obstacle : la rue.
"L'exigence principale de la rue n'était pas la libération de Abdallah Hamdok mais le retrait des militaires de la politique", explique Kholood Khair. "Les doutes initiaux de la rue sur la fiabilité de la pression internationale vont augmenter, de même que l'instabilité au Soudan."
France 24