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Maroc-Afrique du Sud, un choc qui dépasse le cadre sportif

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Des supporteurs marocains au stade Laurent Pokou à San Pedro, le 24 janvier 2024. (Ph : DR)
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Pretoria fait partie des soutiens du Front Polisario dans le litige qui oppose le mouvement indépendantiste à Rabat au sujet du Sahara occidental.

Leur rivalité dans l’arène politique a davantage attiré l’attention que leur confrontation sportive. Le Maroc et l’Afrique du Sud se retrouvent mardi 30 janvier à 21 heures en huitième de finale de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) à San Pedro. Pour l’heure, les Bafana Bafana mènent au score avec trois victoires, trois nuls et deux défaites, mais les Lions de l’Atlas, auréolés de leurs succès lors de la Coupe du monde au Qatar, entendent ramener les compteurs à égalité. Une revanche qui serait d’autant mieux accueillie dans le royaume que les relations diplomatiques entre Pretoria et Rabat sont en dents de scie.

Depuis qu’elle a reconnu en 2004 la République arabe sahraouie démocratique, l’Afrique du Sud fait partie des soutiens du Front Polisario dans le litige qui oppose le mouvement indépendantiste à Rabat au sujet du Sahara occidental. La décision a eu pour effet de geler les relations diplomatiques avec le Maroc, qui a fait revenir son ambassadeur pour consultation dans la foulée, avant son rappel définitif deux ans plus tard. Il a fallu attendre 2018 pour que le royaume nomme un nouveau représentant à Pretoria, qui ne l’accrédita que l’année suivante.

Entre-temps, la mésentente entre les deux pays a été marquée par plusieurs contentieux. Le choix de l’Afrique du Sud comme pays organisateur de la Coupe du monde de football en 2010 a été très mal accueilli au Maroc – également candidat –, où la presse a dénoncé un « scandale de corruption ». Mais les frictions ont surtout culminé en 2017 quand l’Afrique du Sud a émis des réserves sur le retour du Maroc au sein de l’Union africaine, finalement entériné sans vote. La même année, un cargo transportant 55 000 tonnes de phosphates en provenance du Sahara occidental fut arraisonné à Port Elizabeth à la suite d’une plainte du Front Polisario – le Maroc ne récupéra son chargement qu’au bout d’un an.

Signe que le soutien à la cause sahraouie n’est pas une vieille lutte oubliée en Afrique du Sud, le chef du Front Polisario, Brahim Ghali, avait été reçu en grande pompe par le président Cyril Ramaphosa à Pretoria lors d’une visite d’Etat en octobre 2022. Une rencontre à laquelle le ministre des affaires étrangères marocain, Nasser Bourita, avait réagi en dénonçant les « gesticulations et les agitations de Pretoria ».

L’Afrique du Sud, partenaire commercial majeur du Maroc

Plus généralement, Rabat a toujours vu d’un mauvais œil la proximité entre l’Afrique du Sud et l’Algérie, fondée sur les liens historiques qu’entretiennent le Congrès national africain (ANC) et le Front de libération nationale (FLN) depuis les années 1960, au moment où l’Etat algérien aida financièrement et matériellement Nelson Mandela et les cadres de l’ANC dans leur lutte contre l’apartheid.

« Que l’Afrique du Sud ne soit pas notre meilleur ami, c’est certain, mais cette rivalité ne présente aucune des dimensions que revêt celle qui oppose le Maroc à l’Algérie, nuance toutefois, sous le couvert de l’anonymat, un spécialiste des relations maroco-africaines. Rabat et Pretoria ne se sont jamais fait la guerre, ils n’entretiennent pas de rivalité militaire et l’Afrique du Sud ne menace pas directement le Maroc. C’est lié à leur éloignement géographique, mais aussi à une compréhension mutuelle de leurs intérêts communs. »

Bien qu’il n’existe pas de vols directs entre les deux pays, l’Afrique du Sud s’affiche comme un partenaire commercial majeur du Maroc, le second sur le continent en 2022 selon l’Office des changes. Symbole de ces liens économiques, la vente en 2018 du fleuron de l’assurance Saham, alors propriété de l’homme d’affaires et ancien ministre de l’économie Moulay Hafid El Alamy, au groupe sud-africain Sanlam, déjà présent dans le tour de table de l’entreprise, avait été interprétée à l’époque comme le signe d’un rapprochement. « Une opération à plus d’un milliard de dollars qui n’a pu se faire qu’avec le feu vert du palais », glisse un patron marocain.

Les rapports entre supporteurs sont au beau fixe

Le principal actionnaire de Sanlam, Patrice Motsepe, président de la Confédération africaine de football (CAF) et neuvième fortune africaine en 2023, selon le magazine Forbes – dont l’une des sœurs est mariée à l’actuel président sud-africain Cyril Ramaphosa –, est sans doute la figure la plus médiatique du tour nouveau qu’ont pris les relations entre le Maroc et l’Afrique du Sud. Selon Moncef Lyazghi, chercheur en politique du sport, l’élection du milliardaire à la tête de la CAF en 2021 est le résultat d’un accord passé avec Gianni Infantino, le président de la FIFA, et Fouzi Lekjaa, qui dirige la fédération marocaine.

« Tous les candidats se sont désistés, Motsepe a été désigné président et Lekjaa a obtenu en contrepartie de siéger au comité exécutif de la FIFA », raconte l’universitaire, qui y voit plus largement un succès du Maroc et de sa diplomatie par le football. Patrice Motsepe et Fouzi Lekjaa entretiennent « une relation de proximité », relève de son côté un journaliste marocain.

Mais la fédération dirigée par le Sud-Africain avait été saisie d’une affaire embarrassante en janvier 2023. Le 13, Mandla Mandela, l’un des petits-fils de l’ancien président Nelson Mandela avait été invité à s’exprimer pour la cérémonie d’ouverture du Championnat d’Afrique des nations (CHAN), dans le stade qui porte le nom de son grand-père à Alger. « En son honneur, n’oublions pas la dernière colonie d’Afrique, le Sahara occidental. Battons-nous pour libérer le Sahara occidental de l’oppression », haranguait le député sud-africain.

La Fédération marocaine de football (FRMF) avait rapidement sollicité la CAF pour lui demander d’« assumer toute la responsabilité face à ces transgressions flagrantes qui n’ont aucun lien avec les principes et valeurs du ballon rond ». Après enquête, la CAF n’avait pas jugé la fédération algérienne responsable des propos tenus par Mandla Mandela. Dans un article au vitriol, un journaliste du média 360, réputé proche du palais marocain, s’en prenait à la CAF, une institution « qui se meurt à petit feu » et qui protège « les idiots ». Ce sont finalement les supporteurs du Raja Casablanca qui avaient répondu au « Petit Mandela » sur l’une de leur banderole en lui faisant remarquer que « la dernière colonie d’Afrique, c’est Orania », en référence à la communauté construite et réservée aux Blancs en Afrique du Sud.

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